Passé le buzz déclenché par WikiLeaks, l’heure est à la réflexion pour les médias : sur l’éthique, la responsabilité, la qualité des enquêtes…
Une masse sans précédent d’informations, une alliance inédite entre cinq grands journaux occidentaux, un débat sur le bien-fondé d’exploiter des câbles diplomatiques…
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En même temps qu’il aura provoqué une réflexion dans les ambassades sur une meilleure protection du secret diplomatique à l’avenir, le « Cablegate » de WikiLeaks aura soulevé de nombreuses questions sur le journalisme actuel. Sur son fonctionnement, son éthique et son futur. Plus simplement : y a-t-il un avant et un après-WikiLeaks ? Pour les cinq journaux – The New York Times, The Guardian, Der Spiegel, Le Monde et El País – sollicités par le site pour publier les mémos du département d’Etat américain, la réponse est simple.
« WikiLeaks n’a, à mon sens, pas révolutionné le journalisme, il est davantage un symptôme de ce qu’Internet peut lui apporter : davantage de transparence, de sources, bref d’informations », estimait ainsi Bill Keller, le directeur du New York Times, fin février.
Quant au directeur d’El País, Javier Moreno, il n’hésitait pas à aller plus loin : « WikiLeaks a incontestablement réhabilité le travail classique du journaliste, puisque c’est à lui qu’a été confié le soin de trier, d’analyser et de diffuser ces documents. »
Mais au milieu de ce concert d’autocongratulations, WikiLeaks fait surgir certaines interrogations. La première d’entre elles concerne la difficulté pour les journaux d’exploiter des informations tirées de sources la plupart du temps anonymes, ce qui aura forcément été le cas pour les câbles (des rapports, ndlr) de la diplomatie américaine. Comment, en effet, vérifier une information dont on ne connaît pas l’auteur ? Pour Yves Eudes, grand reporter au Monde, il s’agit d’un « faux problème ».
« Il est en effet assez simple d’authentifier les documents qui vous parviennent, explique ainsi le journaliste. Quant à l’exactitude, il faut évidemment faire sa propre enquête. Il nous est ainsi arrivé de ne pas publier certains câbles qui ne citaient qu’une seule source ou qui n’étaient pas clairs. »
Un défi à la responsabilité des médias
Autre question soulevée par WikiLeaks dans le futur : en accordant sa préférence à une poignée de médias pour leur transmettre des informations confidentielles, le site de Julian Assange ne risque-t-il pas d’écorner sérieusement le principe du pluralisme de l’information ? Pourquoi en effet confier à seulement cinq journaux une matière dont tous devraient pouvoir juger si elle est digne d’être exploitée ou non ?
Aux yeux du spécialiste des médias Dominique Wolton, ces questionnements ne font qu’effleurer le noeud du problème. Ce chercheur du CNRS, qui considère que « les révélations sont le fruit d’un vol et non d’une enquête », affirme que WikiLeaks représente un défi à la responsabilité des médias.
La question que pose WikiLeaks est la suivante : que faut-il faire, que faut-il rendre public dans un monde déjà saturé d’informations ? La réponse, c’est de l’information de qualité, des enquêtes qui valident leurs informations, et non des ragots non vérifiés de diplomates. Il faut donc accepter de sortir de la logique de révélation permanente qui, à terme, risque de renforcer la méfiance de l’opinion publique à l’endroit des médias et des politiques. »
Publier ou non une information difficilement vérifiable car anonyme : un dilemme qui, avec l’apparition de clones de WikiLeaks, ne fait donc que commencer.
Christophe Lehousse
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