Un journaliste et un photographe sont partis en Ukraine à la recherche des statues déboulonnées de Lénine. Leur livre de photoreportage dresse une carte des conflits mémoriels.
Le 8 décembre 2013, la révolution ukrainienne atteint son paroxysme à Kiev. Alors que 800 000 manifestants antigouvernementaux défilent dans les rues de la capitale, certains d’entre eux s’en prennent à la statue de Lénine, sur la place Bessarabka.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Déboulonnée, frappée à coups de massue, décapitée, l’idole déchue, symbole de l’influence russe sur le pays, disparaît mystérieusement, démembrée par la foule. Plusieurs mois plus tard, alors qu’ils couvraient quotidiennement les rebondissements d’un conflit sans fin, le photographe Niels Ackermann et le journaliste Sébastien Gobert décident de se mettre sur sa trace.
Une purge symbolique en avril 2015
“La chasse au Lénine, ça semblait être une manière ludique de rompre le quotidien de la couverture de guerre”, explique ce dernier. Cela s’avère aussi une manière subtile de dresser le portrait de l’Ukraine d’aujourd’hui, tiraillée par un passé soviétique qui ne passe pas. Car en chemin, les deux acolytes élargissent leurs recherches.
Dans le contexte de la crise ukrainienne de 2013-2014, des centaines de statues de Lénine ont été détruites sauvagement, avant que les lois de “décommunisation” d’avril 2015 n’organisent plus officiellement cette purge symbolique. Alors qu’en 1991 l’Ukraine avait la densité de statues à l’effigie du révolutionnaire bolchevique la plus importante de toute l’URSS, il n’en reste désormais plus une debout.
Les photos de Niels Ackermann dans Looking for Lenin montrent ce qu’elles sont devenues : affalées face contre terre, décapitées, peinturlurées, grimées en cosaque ou en Dark Vador, elles ont été tantôt laissées en pâture aux herbes folles, tantôt précieusement conservées pour des motifs affectifs, politiques ou historiques.
Un moyen de rompre avec le passé
Les témoignages des receleurs recueillis par Sébastien Gobert dressent une carte des conflits mémoriels qui traversent le pays, à l’instar de La Fin de l’homme rouge – Ou le temps du désenchantement, de Svetlana Alexievitch à propos de la Russie. Si beaucoup d’Ukrainiens voient dans le “Leninopad” (littéralement, la “chute de Lénine”), un moyen de rompre avec le passé, et donc avec la Russie, d’autres sont plus circonspects sur l’attitude à adopter.
“Nous avons ce dicton : ‘Si vous tirez sur l’histoire avec un pistolet, elle ripostera au canon.’ Si tout est défiguré au point que l’on oublie d’où l’on vient, nous ne formerons jamais une nation”, philosophe ainsi un conseiller municipal de la commune de Chabo. “Fonder une nouvelle narration nationale sur cette histoire conflictuelle, selon une vision très polarisée de rejet de tout ce qui est soviétique, peut se révéler dangereux, en particulier en période de guerre”, prévient aussi la chercheuse Ioulia Shukan.
Looking for Lenin de Niels Ackermann et Sébastien Gobert (Noir sur Blanc), 176 pages, 25 €
{"type":"Banniere-Basse"}