La vente de l’hebdomadaire affichant en une la caricature de Mahomet tombe sous le coup d’une loi anti-blasphème votée en 2009. Une loi qui est loin de faire l’unanimité.
Charlie Hebdo n’a pas fini d’agiter les consciences. Aujourd’hui, c’est en Irlande que l’hebdomadaire satirique français fait des remous. Alors que 1 500 exemplaires de l’édition du 14 janvier, premier numéro post-attentats, sont en vente dans le pays, des représentants de la communauté musulmane et d’associations laïques ont mis en garde le gouvernement : la caricature de Mahomet en une du journal tombait sous le coup de la loi anti-blasphème.
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La sanction peut s’élever à 25 000 € d’amende
L’Irlande est en effet l’un des derniers pays européens, comme la Grèce, la Pologne ou même l’Allemagne, à avoir une loi anti-blasphème dans son arsenal législatif. Elle a été promulguée en 2009, sous le gouvernement de coalition Fianna Fáil-Green, par le ministre de la Justice Dermot Ahern. Tombe sous le coup de cette loi toute « publication ou propos jugé extrêmement injurieux ou insultant envers des choses tenues sacrées par une religion et causant de fait un outrage à plusieurs fidèles de cette religion ». En cas de condamnation, la sanction peut s’élever à 25 000 € d’amende.
Pas de condamnation depuis 1855
« En pratique, il n’y a pas eu de poursuite à cause de cette loi de 2009, et la dernière condamnation pour blasphéme en Irlande a eu lieu en 1855 », rappelait en octobre Aodhan O Riordain, ministre délégué aux communautés, à la culture et à l’égalité. Mais la publication des caricatures du prophète Mahomet, dans le climat actuel, relance le débat sur l’abrogation de cette loi passéiste. Une abrogation réclamée depuis plusieurs années maintenant par les associations athées ou laïques, comme Irlande Athée. L’année dernière, le gouvernement a promis la tenue d’un référendum en 2015, mais le processus tarde à se mettre en place.
Aucune plainte déposée pour le moment
Aujourd’hui les militants de tous bords montent donc une nouvelle fois au créneau. Le Centre culturel islamique irlandais dont le représentant à Dublin, Ahmed Hasain, met en avant, dans The Guardian, le caractère blasphématoire de la une de Charlie Hebdo : « Selon nous, la vente du journal est clairement une violation du droit irlandais. Cette caricature est blasphématoire et tombe donc sous le coup de la loi. » Ahmed Hasain va plus loin, affirmant que l’existence de cette loi est « une bonne chose, car elle protège toutes les croyances ». Pour le moment, le Centre culturel islamique irlandais n’a pas encore décidé s’il allait ou non porter plainte, mais il rappelle que tout citoyen du pays est en droit de le faire s’il se sent offensé.
50 % des Irlandais voteraient l’abrogation
Michael Nugent, cofondateur d’Irlande Athée, reconnaît, toujours dans le journal anglais, que la vente de Charlie Hebdo sur le sol irlandais est une violation de la loi. Mais il en profite pour prendre le contre-pied de Ahmed Hasain. « Les gens qui se sentent offensés ne devraient pas réagir en plaidant l’outrage devant la justice, encore moins en des temps difficiles comme ceux que nous vivons en ce moment. Ils devraient se montrer plus mesurés. » Pour lui, la loi dans l’état actuel incite à l’outrage plus qu’autre chose :
« Si quelqu’un exprime une certaine croyance ou conviction à propos de Dieu, et que d’autres considèrent que cette croyance est une insulte à leur Dieu, alors ils peuvent se sentir outragés, déclarait-il en 2009 au moment de la promulgation de la loi anti-blasphème. Le fait qu’ils se sentent outragés peut alors faire de la personne qui a exprimé librement sa croyance un hors-la-loi ! »
Un sondage réalisé l’année dernière révélait que 50 % des personnes interrogées voteraient en faveur de l’abrogation quand 19 % voteraient contre, 26 % n’ayant pas d’opinion à ce sujet. Si les Irlandais semblent donc majoritairement prêts à tourner la page d’une loi qualifiée par Nugent de « médiévale », Irlande Athée n’entend pas lâcher le gouvernement. Une réunion avec le premier ministre Enda Kenny est prévue mardi prochain. Objectif : obtenir la tenue du référendum avant les élections générales qui auront lieu en 2016.
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