A moins d’un mois de l’ouverture de la Coupe du Monde de football TF1 et BeIn Sports se mettent déjà à l’heure du Brésil : annonce des dispositifs pour couvrir l’événement, rodage des commentateurs, reportages dans les magazines et journaux. Entretien avec Jacques Blociszewski, auteur de « Le match de football télévisé ».
Le Mondial 2014 au Brésil va-t-il innover en utilisant de nouvelles technologies ?
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Il s’agira plus d’intensification des apports technologiques que d’innovation. La couverture des matches va passer par exemple de 32 à 34 caméras, et la spidercam mobile accrochée à des câbles pour filmer au dessus du terrain va jouer un rôle plus important. Mais elle était déjà utilisée sur l’Euro 2012. Le souci va surtout résider dans la compréhension de ce qui va se passer sur le terrain. Avec la multiplication des ralentis, le révélateur de hors-jeu…, la TV a changé les choses. La FIFA et l’UEFA préfèrent utiliser les réalisateurs provenant de France, d’Allemagne et d’Angleterre, réputés pour leur maîtrise technologique, car elles ne veulent aucun pépin de retransmission, vu les enjeux. Mais les réalisateurs français ont tendance à abuser. En 2010, ils diffusaient une centaine de ralentis par match contre une soixantaine pour les Anglais ou Allemands. Et encore, les écarts se réduisent lors des grands événements, car les images alimentent le signal international, qui doit parler aux téléspectateurs du monde entier. Un match du Mondial proposera donc moins de ralentis qu’une rencontre de Ligue 1, à la diffusion plus hachée.
Que reflète cette différence de traitement ?
Des pays à forte tradition sportive tels l’Allemagne et l’Angleterre respectent le football comme jeu collectif, avec ses mouvements d’équipe. En France, les réalisateurs mettent l’accent sur la virtuosité du joueur, multiplient les gros plans sur les visages, sur les gestes. Un plan de vue dure de 7 à 15 secondes, tandis qu’en Angleterre, il monte facilement à 30 secondes. Et les Espagnols n’hésitent pas à diffuser des plans larges allant jusqu’à 2 minutes, pour montrer l’organisation d’équipes comme Barcelone. Certains estiment d’ailleurs que la Ligue 1 étant moins bonne que la Liga espagnole ou la League anglaise, la TV cherche à montrer autre chose, de crainte d’ennuyer le public. Sauf qu’un PSG-Monaco avec ses nombreux internationaux et un match entre deux équipes de milieu de tableau sont filmés de la même façon.
Est-ce une manière d’attirer d’autres publics que les seuls fans du ballon rond ?
Naturellement. Les diffuseurs pensent que les femmes sont sensibles à autre chose que le jeu, qu’elles préfèrent les ralentis. En conséquence, les actions de jeu sont souvent sacrifiées au profit de ces autres images et au final, on peut rater jusqu’à 2 minutes d’une rencontre, notamment les remises en jeu…voire les buts. Il devient compliqué de suivre un match. A la TV allemande, les caméras suivent le ballon du début à la fin et ce sont les magazines d’après-match qui se consacre au reste.
Le choix parmi plusieurs caméras -sur un joueur, sur le banc des remplaçants…- constituera un des nouveaux services proposés au public par les applications pour tablette ou smartphone des chaînes. Que peut-on y voir ?
A priori une liberté pour le téléspectateur qui construit son match. Toutefois, ce type d’offre peut rapidement lasser. Malgré des réalisations françaises contestables, on a besoin d’un réalisateur, d’un passeur qui fait le lien entre le terrain et le salon. Ce dispositif risque de devenir un gadget, sauf pour ceux qui ont un intérêt autre que sportif à regarder. En Allemagne, la TV filme les réactions de l’entraîneur mais elle les réserve aux magazines, pas à la retransmission du match.
Ce type d’images n’illustre-t-elle pas une suprématie de l’émotion ?
Bien sûr. Mettre en avant l’émotion du terrain à l’occasion d’un but est compréhensible. Mais suivre en continu celle d’un entraîneur renvoie à nos propres comportements, à nos échecs ou nos réussites. L’entraineur a la particularité d’être en même temps acteur et spectateur de ce qui se passe. Où est la spécificité du football là-dedans? On nous fait suivre de la même façon la joie d’un candidat à un jeu TV qui vient de gagner 2 millions.
Ne voit-on pas la même chose avec les séquences sur le public?
Le public est devenu un élément important du spectacle. Il est passé de figurant à acteur. Le fait de venir au stade déguisé et maquillé aux couleurs de son équipe n’est certes pas nouveau, mais c’est maintenant un concours pour passer sur les écrans. D’ailleurs, une grande partie des spectateurs vont dans les stades pour se montrer. Ils ne regardent plus le terrain mais les écrans géants installés dans l’enceinte. Pendant longtemps, on y donnait juste le score du match. Maintenant, on y voit tout : des jeux, de la pub, les buts, les ralentis… de l’infotainment pour distraire le public. La notion de risque a même disparu. Avant, c’était très strict, les écrans ne montraient presque rien et surtout pas d’images litigieuses. Maintenant, le spectateur a les mêmes droits que le téléspectateur.
Dans les commentaires, le Mondial ne donne-t-il pas lieu à un certain chauvinisme ?
Le chauvinisme est déjà présent dans la réalisation, avec les équipes TV dédiées à une nation, à un club. C’était déjà flagrant sur la finale France-Italie du Mondial 2006. Comme lors des Jeux olympiques où le téléspectateur voit essentiellement l’athlète représentant son pays à l’écran. Le diffuseur estime que le public est plus intéressé par les sportifs portant ses propres couleurs. Concernant les commentaires, il est normal d’avoir un parti-pris pour ce genre d’événement digne d’une grande fête nationale. C’est surtout leur pauvreté qui est affligeante. Le Mondial pourrait faire découvrir d’autres pays, d’autres cultures. Mais que vont raconter les présentateurs français sur le Honduras ? Quant au point de vue footballistique, technique, les commentaires y compris ceux des personnes qualifiées comme les anciens joueurs sont généralement ennuyeux. Et ils parlent trop. La TV a peur des moments de silence, synonymes de vide.
Votre analyse et vos critiques font penser aux changements opérés par Canal+. Sont-ils une amélioration ou une détérioration du traitement du football à la TV ?
Il ne faut pas idéaliser le foot télévisé des années 60, avec ses trois caméras dont une de rechange. On y voyait les actions collectives mais pas les détails. Canal a eu une volonté de changement, de l’image et aussi du son, qui ont tout révolutionné. Mais, à un moment donné, celui-ci en a fait perdre le fil du match, certaines retransmissions comportant jusqu’à 130 ralentis. La tentation était trop grande de vouloir attirer tous les publics. Le paroxysme a été atteint pour David Beckam avec le match PSG-OM. Les images relevaient d’un traitement people avec des caméras revenant en permanence sur la vedette anglaise -voire sa femme- alors qu’il n’a joué qu’un quart d’heure. Une vraie caricature, où le match et ses acteurs ne servaient que de décor.
Propos recueillis par Didier Si Ammour
Le Match de football télévisé (Editions Apogée – Collections Médias et Nouvelles technologies – 2007)
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