Crédité de plus de 11 % d’intention de vote pour les législatives espagnoles de ce dimanche, le néo-parti d’extrême droite axe une partie de sa campagne sur les droits des femmes. Nous sommes partie à la rencontre de ses électrices.
C’est jour de mauvais temps dans la capitale andalouse. Mercredi soir, le 24 avril, deux heures avant le meeting de Vox à Séville, une file d’attente se dessine sur plus d’une centaine de mètres à l’entrée du Palais des Congrès. Un vendeur ambulant propose pour 15 euros des parapluies rouge et jaune. Si le vert pomme est la couleur officielle du parti, c’est sous celles du drapeau espagnol que préfèrent s’abriter les soutiens de Vox. Maria José, qui s’est déjà faufilée à l’intérieur, près de la buvette, a opté pour plus discret : le bracelet en tissu rouge et jaune, qui sont souvent griffés « Viva España ». Cette ancienne œnologue de 71 ans est venue depuis Jerez de la Frontera, à 90 kilomètres plus au sud d’ici. Elle se présente aussi comme une ancienne conseillère locale du Parti Populaire, la droite. « J’ai quitté le PP (Le Parti populaire, classé à droite, ndlr) à cause du coup d’État en Catalogne. Vox me redonne espoir en la politique », affirme-t-elle.
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La crise catalane d’octobre 2017 a exacerbé le ressentiment à l’encontre de Mariano Rajoy et du PP, à l’époque au pouvoir. Jusqu’alors, Vox n’était qu’un micro-parti lancé dans la plus grande indifférence fin 2013 et dont le seul record était d’avoir cumulé 1,5 % des voix aux Européennes de 2014. Leur nombre d’affiliés a pourtant explosé au moment où le parti s’est joint à « l’accusation populaire » dans le procès des dirigeants catalans, qui s’est tenu en février dernier. Ce dispositif juridique permet à tout citoyen ou organisation de se porter plaignant dans les affaires d’intérêts publics.
Le parti de la testostérone
Le parti a surgi pour de bon sur la scène politique il y a moins de cinq mois, lorsqu’ils ont décroché 12 sièges au parlement d’Andalousie. « Il n’y a pas si longtemps, on n’avait que 3.000 encartés au niveau national. On va aujourd’hui vers les 50.000« , s’enorgueillit ce soir-là sur l’estrade sévillane Santiago Abascal, le leader de Vox. Face à lui, une tribune de plus de 3.500 personnes, fait virevolter des petits drapeaux. Dans les rangées, on observe une majorité d’hommes. La formation a été surnommée par la presse ibérique « le parti de la testostérone » car il fédère une majorité d’électeurs masculins.
Pour autant, la question des droits des femmes y est centrale. Dans sa lutte contre tout ce qui pourrait diviser la société espagnole, Vox place les « féminazies » en ligne de mire. Cette expression, qui sort de la bouche d’Abascal durant le meeting, est la contradiction de « féminisme » et « nazisme ». « Je suis contre tous les ‘isme’: machisme comme féminisme », renchérit Marie José. « Le féminisme veut détruire les familles. Mais les femmes sont libres de se défendre. Personne ne doit nous dire ce qu’on doit faire ou comment être libre. »
« Vox dit tout haut ce que des millions de personnes pensent tout bas »
C’est un écho aux propos de Rocío Monasterio, la figure féminine du mouvement. La vice-secrétaire, architecte de formation, scandait dans une vidéo, diffusée en amont du 8 mars, journée internationale de lutte pour les droits des femmes : « Je suis une femme et je veux me libérer de votre burqa idéologique, qui veut nous imposer une doctrine totalitaire. »
Un hashtag sur les réseaux sociaux avait été lancé à ce moment #NoHablesEnMiNombre, soit « Ne parlez pas en mon nom ». Maria Jose l’assure : « Vox dit tout haut ce que des millions de personnes pensent tout bas. » Dans un pays où la démocratie est récente – Franco est mort en 1975 – Vox n’est-il pas lui-même un facteur de division ? Pour Maria Jose : « Vox n’est pas un parti d’extrême droite. C’est un parti d’extrême nécessité ! »
❌ No nos vamos a sumar a la huelga feminista del 8 de marzo porque denigra a las mujeres al tratarlas como personas débiles e indefensas.
📢 RT #NoHablesEnMiNombre pic.twitter.com/H4rmWREKIB
— VOX 🇪🇸 (@vox_es) March 4, 2019
Même rengaine du côté de la jeune génération. Maria, 20 ans, mange un sandwich avant de filer écouter Abascal en compagnie de son petit ami. « J’étais en train de travailler à la bibliothèque quand il m’a dit : tu fais quoi ce soir ? Viens au meeting ! », sourit l’étudiante. À peine arrivée dans la file, elle raconte s’être laissée envahir par l’excitation ambiante. « J’ai secoué un drapeau en criant ‘Viva Espana’ », s’en amuse-t-elle. Qu’est-ce qui lui plaît dans Vox ? « Je suis pro-vie », répond-elle plus sérieusement.
Vox a publié « 100 mesures » pour résumer ses idées. La 56e : « supprimer du secteur de santé publique les interventions indépendantes de la santé », ce qui comprend l’avortement. Cette mesure fait écho à un projet de loi proposé par le PP fin 2013 pour restreindre de nouveau l’avortement à trois critères : viol, danger pour la vie de la mère, ou malformation grave du fœtus. L’annonce avait provoqué un tollé et déclenché une série de manifestations monstres pour empêcher son passage.
Maria ne s’était pas jointe au cortège. Le féminisme la répugne à tel point qu’elle préfère parler de « Hembrismo », que l’on peut traduire par « femellisme ». « C’est vrai qu’on est plus touchées par les viols, reconnaît-elle. On est plus faibles physiquement. À moi, il ne m’est jamais rien arrivé car j’évolue dans un bon milieu. » Puis elle conclut : « C’est vrai qu’on a été opprimées pendant longtemps. Mais cela ne justifie pas que l’on soit aujourd’hui placées au-dessus des hommes. »
« Leur discours contamine » tout le reste de la droite
L’étudiante fait référence à la mesure numéro 70, qui prévoit l’abrogation de la loi intégrale contre les violences de genre. Promulguée en 2004, c’est un texte pionnier en Europe, qui a notamment entraîné l’ouverture de tribunaux spéciaux pour juger les auteurs de violences conjugales. La loi condamne aussi la diffusion du sexisme dans la publicité et instaure tout un arsenal d’aides pour les victimes. En 2003, année de publication des premières données fiables à ce sujet, 71 femmes avaient été tuées par leurs conjoints ou ex dans le pays, contre 47 en 2018.
« Le danger de Vox, c’est que leur discours contamine tous les partis conservateurs. Ils manquent d’idées alors ils reprennent n’importe quoi, analyse par téléphone la philosophe Amélia Valcárcel. En France, les autres partis s’unissent sous forme de cordon sanitaire contre l’extrême droite. Mais ici, ce n’est pas le cas. » Au parlement andalou, le PP et Ciudadanos, centre-droit, ont pactisé avec Vox pour que la droite prenne la tête. À un jour des élections législatives, Vox pourrait bien jouer un même rôle levier vers la majorité. « Dimanche, on va marquer l’histoire », promet Santiago Abascal. Le public ressort galvanisé par ces promesses. Un homme s’enthousiasme : « Vox redonne l’espoir que les choses puissent changer ! » L’espoir est un faux-ami car, en espagnol, cela se dit : « ilusión ».
Laurène Daycard, à Séville. Teresa Suárez Zapater a contribué à ce reportage.
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