En Chine, alors que Xi Jinping faisait voter une réforme constitutionnelle lui permettant de devenir président à vie, nous avons suivi durant une semaine Leïla Slimani dont les romans Dans le jardin de l’ogre et Chanson douce viennent d’être traduits en mandarin. De Pékin à la ville industrielle de Shenyang, l’écrivaine franco-marocaine a défendu les droits des femmes et les valeurs universelles de la langue française.
C’est un marathon qu’elle a débuté en tirant une grosse valise. Le 7 mars dernier, quand elle débarque à l’aéroport de Pékin, en jogging et les cheveux attachés, Leïla Slimani sait que son périple sera sportif. Durant une dizaine de jours, en plein mois de la francophonie, de Shanghai à Shenyang en passant par Nanjing, l’écrivaine franco-marocaine de 36 ans va assurer la tournée promo de ses deux romans, Dans le jardin de l’ogre (2014) et Chanson douce (2016, prix Goncourt), récemment traduits en mandarin – ça tombe bien. Après avoir fait tamponner son passeport, elle passe devant un taximan tenant une pancarte au nom de Marc Levy. Bienvenue en Chine.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Le fond de l’air est lourd dans la capitale chinoise. L’ancienne grand reporter de Jeune Afrique s’en rendra vite compte. En traversant la ville en taxi, elle observe la cohorte de chemises bleu ciel qui font le pied de grue devant la Cité interdite, ainsi qu’une cinquantaine de bus à quai devant la place Tian’anmen.
Une mégalopole en état de siège
Près de trois mille députés venant de tout le pays ont fait le déplacement pour voter le projet de réforme constitutionnelle. Derrière les immenses colonnes de marbres du Palais du peuple, Xi Jinping – pas encore réélu – va faire tranquillement abolir la limite des mandats présidentiels. C’est dans cette mégalopole en état de siège, où les images du nouvel “empereur à vie” s’affichent en une des journaux et défilent en boucle sur les chaînes de télé, que l’auteure francophone la plus lue du moment va se battre pour faire valoir les droits des femmes et les valeurs universelles de la langue française.
Le 8 mars, au lendemain de son arrivée, elle est déjà à pied d’œuvre. En cette journée mondiale des droits des femmes, Leïla Slimani a rendez-vous dans un hôtel moderne du quartier résidentiel de Sanlitun pour une discussion publique avec une célébrité locale : Hung Huang. Méconnue en France, cette touche-à-tout (médias, cinéma, mode…) est suivie par plus de treize millions de personnes sur Weibo (le Twitter chinois).
Sa mère Zhang Hanzhi a enseigné l’anglais à Mao avant de devenir sa traductrice préférée. Sa fille est connue pour ses prises de position en faveur du droit des femmes. Toute de noir vêtue à l’exception de ses chaussettes orange, Hung Huang interroge la romancière franco-marocaine sur la scène d’ouverture de Chanson douce, qui voit mourir deux jeunes enfants sous les coups de couteau de leur nourrice.
“La peur de perdre ses enfants provoque beaucoup d’inquiétudes chez nous”
“La peur de perdre ses enfants provoque beaucoup d’inquiétudes chez nous, explique-t-elle. On la ressent toutes. Le rôle de la nourrice questionne la difficile place entre la maternité et le travail dans nos vies.” Dans une société chinoise où le modèle de l’enfant unique prévaut, le dernier-né est l’objet de toutes les attentions. Parents et grands-parents investissent toutes leurs économies pour s’assurer de la réussite de celui qu’ils surnomment affectueusement “petit empereur” (“Xiao huángdì”).
“Renverser les rôles définis par la société patriarcale”
“Comment trouver le bon équilibre entre vie familiale et vie professionnelle ?”, questionne Hung Huang en se tournant vers la romancière. “Quand je voyage, on me fait bien sentir que je ne joue pas mon rôle dans la cellule familiale, confie Leïla Slimani, mère de deux enfants. Je crois qu’il faut accepter de ne pas être parfaite mais aussi de renverser les rôles définis par la société patriarcale. Quand j’ai reçu le prix Goncourt, mon mari a arrêté de travailler. Et pendant que je suis avec vous, il s’occupe de mes enfants.”
Avant d’ajouter d’une voix lente : “On a longtemps considéré la maternité comme quelque chose de merveilleux. Je pense que c’est faux. La maternité est beaucoup plus complexe. Dans mon roman, Myriam (la mère – ndlr) fait appel à une nounou car elle veut se créer un monde adulte, un monde à elle.”
Auréolée de son Goncourt et de son statut de femme libre, Leïla Slimani est scrutée avec admiration par la petite assemblée qui lui fait face. Après avoir pris le micro, une jeune Chinoise se présente d’une voix fluette. Elle a 32 ans et elle est devenue ingénieure après des études entre Paris et Genève. “Bienvenue à Pékin madame Slimani, je voudrais savoir quel est le but de la vie ? Avoir des enfant ou un bon poste ?”
“Le but de la vie, c’est de s’inventer soi-même”
Surprise par cette question existentielle, la romancière esquisse un sourire : “Je vous répondrai que le but de la vie, c’est d’être libre. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont élevée avec comme seule valeur celle de l’émancipation, et qui me disaient toujours qu’il n’y a pas d’injonction. Le but de la vie, c’est de s’inventer soi-même. Il faut se méfier de tous ceux qui vous expliquent ce qu’est le bonheur. Il faut que vous fassiez ce qui va vous rendre heureuse.”
Un discours d’une trop grande modernité
Leïla Slimani assure que l’on traverse une “période révolutionnaire” sous l’impulsion du mouvement #Metoo. Avec opiniâtreté, elle défend l’idée que “le féminisme est un humanisme qui ne devrait pas connaître de frontières” mais se confronte pourtant à la barrière de la langue. Hung Huang dodeline lorsqu’elle entend le mot féminisme et indique “préférer un vocabulaire plus adouci”.
En Chine, le discours de Leïla Slimani peut encore paraître d’une trop grande modernité pour une société traditionaliste. Alors que la Fédération nationale des femmes de Chine, l’un des piliers du régime, compte plus de 90 000 fonctionnaires, se revendiquer de la lutte pour l’égalité des droits est perçu comme une remise en cause du système.
“Dès lors que l’on se réclame du féminisme, on passe pour une marginale et le public nous abandonne”, nous expliquera après la conférence l’écrivaine Zhang Yueran, qui a soigneusement préfacé la traduction chinoise de Chanson douce. “En Chine, quand on est une femme, on a un espace défini et si l’on tente de s’en échapper, on s’isole socialement.”
“Est-ce qu’il n’existe pas d’autres combats à mener avant ?”
Quelques minutes plus tard, un homme lève le doigt. Il est journaliste pour une chaîne de télévision hongkongaise. Il porte un blouson de cuir et de longs cheveux bruns. Sa question va plomber l’ambiance : “Vous évoquez la question du féminisme mais la France est une démocratie, ce qui n’est pas le cas de la Chine. Est-ce qu’il n’existe pas d’autres combats à mener avant ?”
Gênée aux entournures, Hung Huang passe directement la parole à Leïla Slimani. “Quand je vais au Maroc et que je me mets à parler de féminisme, très souvent quelqu’un, souvent un homme, me dit que ça ne relève pas de sa culture”, répond celle qui a un portrait de Simone Veil accroché dans son bureau parisien.
“Le féminisme doit être un combat qui transcende les particularités culturelles”
“On me répond la même chose pour la dépénalisation de l’homosexualité. Je lutte contre ce relativisme. Comme s’il y avait des pays ou des cultures où l’on pouvait accepter que des femmes soient réduites à un rôle mineur. Le féminisme doit être un combat qui transcende les particularités culturelles. Je pense que l’on se doit d’être des acteurs de sa culture plutôt que de considérer qu’elle est immuable.”
Des banderoles potaches sont hissées dans les campus chinois
Chaque année, lors de la journée des droits des femmes, des banderoles potaches sont hissées dans les campus chinois. Dans la prestigieuse université de Tsinghua, située au nord-ouest de Pékin, entre le quatrième et le cinquième périphérique, cette tradition a pris cette année un tour plus politique.
Des étudiants l’ont utilisée pour tourner en dérision la révision constitutionnelle de Xi Jinping. “Il n’y a pas de limite de temps pour t’aimer. Et s’il y en a une, je l’enlèverai”, “Un pays ne peut exister sans constitution et moi je ne peux pas vivre sans toi”, pouvait-on ainsi lire dans les travées de cette cité universitaire qui produit l’essentiel de l’élite du Parti communiste chinois.
La nuit tombée, alors que Leïla Slimani traverse le campus et ses vastes pelouses, les bannières ont déjà été retirées des bâtiments en brique. Les rares photos ayant immortalisé l’événement sur WeChat, la principale application de messagerie en Chine (Twitter, Facebook ou Instagram étant interdits), ont quant à elles été censurées.
Un tour de vis autoritaire
Depuis deux ans, l’Empire du milieu connaît un tour de vis autoritaire grâce à des moyens technologiques inouïs permis par le big data et l’intelligence artificielle. Le gouvernement chinois se vante d’avoir fermé plus de 13 000 sites internet et près de dix millions de comptes sur les réseaux sociaux en moins de trente-six mois. En parallèle, quelque 170 millions de caméras dotées d’intelligence artificielle ont été installées, et près de six cents millions pourraient l’être d’ici 2020.
S’ajoute à cela un système de crédit social (encore en phase d’expérimentation) que l’on croirait tout droit sorti d’un épisode de Black Mirror, visant à attribuer une note à chaque citoyen en fonction de ses écrits et de son comportement. “Je me rappelle très bien que lorsque l’on rentrait dans la Tunisie de Ben Ali ou l’Egypte de Moubarak, on sentait tout de suite que c’était une dictature, se souvient l’ancienne reporter Leïla Slimani, qui rencontrera également de nombreux militants d’ONG au cours de son séjour en Chine. Ici, c’est d’autant plus anxiogène que tu ne t’en aperçois pas immédiatement même si tu sais qu’il y a des caméras partout et que l’on te flique sur internet. C’est vraiment Big Brother !”
On ne perçoit que le clapotis des claviers d’ordinateur lorsqu’elle prend la parole au quatrième étage d’un pavillon dédié à l’ingénierie hydraulique. Dans un amphithéâtre bondé, l’écrivaine est venue parler des “sujets féminins dans la littérature contemporaine” en compagnie de Ge Fei, prix Mao Dun 2015 (l’équivalent du Goncourt en Chine).
Avec gourmandise, la romancière évoque la révélation que fut pour elle la lecture de L’Insoutenable Légèreté de l’être de Kundera à l’âge de 16 ans, sur une plage de Kabila, dans le nord du Maroc. Elle détaille ensuite sa passion immodérée pour Tchekhov (son “écrivain préféré”) ou bien encore Maupassant qu’elle préfère à Flaubert “car il est plus imparfait et cruel”.
“Ecrire me rend libre. A travers le métier d’écrivain, je peux faire tous les métiers”
Après avoir connu une crise existentielle en 2012 en quittant le journalisme et en essuyant un refus d’un éditeur parisien pour son premier manuscrit, Leïla Slimani savoure pleinement sa vie d’auteure à succès. Elle dit : “Ecrire me rend libre. A travers le métier d’écrivain, je peux faire tous les métiers.” Et veut croire que si “la littérature ne peut pas changer le monde, elle peut influencer ceux qui la lisent”.
“Dans les livres de Leïla Slimani, on découvre des femmes libres !”
A la fin de la conférence, les étudiants qui se pressent en file indienne pour obtenir une dédicace semblent en être convaincus. Vêtue d’un grand manteau en damier, Yi Fei, 22 ans, trouve que Chanson douce fait écho aux préoccupations de sa génération. “Les femmes, en Chine, sont souvent contraintes d’être tendres et obéissantes. Et quand on ne veut pas se marier, nos parents disent que nous ne nous comportons pas bien. Dans les livres de Leïla Slimani, on découvre des femmes libres ! J’espère que ça pourra contribuer à faire évoluer les mentalités !”
Nana, 25 ans, en est persuadée. Entre ses mains, elle tient fermement Chanson douce, qu’elle vient de se faire dédicacer. “Tous les lecteurs ne se rendront pas forcément compte de la portée politique et sociale de ce livre mais à mes yeux, avoir pu l’écouter et la rencontrer est une étape très importante pour devenir une femme libre”, confie-t-elle, émue.
Leïla Slimani, ambassadrice linguistique
Le lendemain, Leïla Slimani change de casquette et de campus afin d’inaugurer le 23e Mois de la francophonie organisée par l’Ambassade de France en Chine et l’Institut français. C’est dans la renommée université de Beida, l’une des meilleures facs de maths au monde, qu’elle revêt les oripeaux d’ambassadrice linguistique.
L’écrivaine a été chargée de cette fonction en novembre dernier après un entretien à l’Elysée. En “macronie”, on la dit proche du président, qui a voulu la nommer ministre de la Culture. Elle l’a d’ailleurs accompagné lors de sa tournée en Afrique et d’aucuns disent qu’elle a inspiré son discours prononcé à Ouagadougou (Burkina Faso) – où le chef de l’Etat s’est engagé à tourner le dos à “la politique africaine de la France” tout en reconnaissant “les crimes de la colonisation”.
A Pékin, sous d’immenses lustres en argent et devant un parterre d’invités aussi guindés que prestigieux, “la représentante personnelle” d’Emmanuel Macron s’emploie à dépoussiérer le concept de “francophonie”, encore perçu comme la continuation de la politique étrangère de la France dans ses anciennes colonies. Elle défend la nécessité de promouvoir la diversité des cultures et des voix francophones.
“Tout ceci fait écho à mon histoire, argumente la romancière née d’une mère mi-alsacienne mi-algérienne, et d’un père marocain. Chez moi, à Rabat, on parlait le français, le berbère, l’arabe, l’allemand mais aussi l’alsacien. Le français est une langue-monde qui doit permettre de construire des ponts entre les peuples.”
“La Chine est le premier pays de cession de droits de livres français”
Et la littérature française reste le meilleur porte-étendard de la francophonie. Le 10 mars, le conseiller culturel à l’Ambassade de France en Chine, Robert Lacombe, s’enthousiasme en passant dans les rayons de la librairie One Way Street, située au troisième étage d’un gigantesque mall de la capitale chinoise où Leïla Slimani est venue signer ses ouvrages.
“La Chine est le premier pays de cession de droits de livres français. ça représente 2 100 titres traduits en 2016 contre 1 500 en 2015, c’est tout simplement énorme. Avec Chanson douce, l’éditeur chinois de Leïla espère dépasser la barre des 100 000 ventes !”
En Chine, alors que le cinéma ou internet vivent sous coupes réglées, l’édition échappe davantage à l’impitoyable censure. En tête de gondole de cette librairie indépendante, on trouve ainsi des livres de George Orwell ou de Simone de Beauvoir ainsi que des auteurs très critiques du “communisme réel” comme Vassili Grossman ou Milan Kundera.
Yuan Xiaoyi, traductrice de JMG Le Clézio mais aussi de Leïla Slimani, en a été la première surprise : “Quand j’ai été contactée pour traduire Dans le jardin de l’ogre, je me suis dit que l’on ne pourrait jamais y parvenir, confie-t-elle. A ma connaissance, il n’existe pas de livres qui parlent de l’addiction sexuelle féminine en Chine et je pensais que nous allions nous faire censurer. Finalement, ça n’a pas été le cas.”
Shenyang, une ville industrielle et polluée
Ses valises à la main, le lendemain à l’aéroport de Pékin, Leïla Slimani se marre. Elle lit à haute voix un mail de sa mère : “Te savoir en Chine, ça me fait le même effet que lorsque Neil Armstrong a marché sur la Lune.” Et encore, elle ignore que sa fille est en route vers Shenyang, ville du nord-est de la Chine, située à trois heures à peine de la Corée du Nord, où elle doit donner une nouvelle conférence. Dans l’avion, le prix Goncourt 2016 se replonge dans la lecture du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, pour laquelle elle doit assurer la préface d’une version rééditée.
Rang protocolaire oblige, Leïla Slimani est accueillie sur le tarmac par un van consulaire. Un drapeau tricolore est accroché sur le fronton de la voiture. Après avoir patienté dans un salon aussi immense que kitsch, elle se fait briefer par le consul général de France et une délégation de l’ambassade. Successivement occupée par les Russes et les Japonais, Shenyang est une ville industrielle et polluée, reflet d’une Chine rugueuse.
Creuset de l’édification du socialisme, l’ancienne capitale de l’empire mandchou est réputée pour ses maladies cardiovasculaires, ses tueurs à gages et son sens particulier de la circulation routière. “Ici, la chasse aux piétons est ouverte toute l’année, prévient le consul général dans sa berline munie de deux purificateurs d’air. Les motos électriques circulent sur les trottoirs à toute berzingue et ne s’arrêtent pas. Il faut être prudents !” Consigne entendue.
Leïla Slimani frôle tout de même l’incident diplomatique lorsque nous débarquons pour dîner dans un restaurant coréen. Flanqué de sa femme, l’imposant consul s’installe sur une grande table en bois avant de lancer d’un large sourire : “Vous voyez, ça c’est typiquement un restaurant pour Onyon.” Ignorant qu’Onyon est le prénom de la femme du consul, l’écrivaine répond, pleine de candeur : “C’est vrai que ça pue l’oignon.”
Le consul feint de n’avoir rien entendu. Alors que les assiettes de bibimbap (légumes et viande marinée) et de mandus (raviolis) arrivent en rafale et que les bouteilles de soju (alcool à base de riz) tombent les unes après les autres, Leïla Slimani se détend.
“Je trouve tout ce qui m’arrive absolument incroyable”
Elle raconte le jour où elle a reçu son Goncourt et où, sous l’effet de l’émotion, elle fut incapable de se rappeler les noms des différents membres du jury. Prétextant un détour nécessaire par la salle d’eau, elle cherchera frénétiquement leurs noms sur internet – debout sur les toilettes de Drouant pour capter un peu de 3G.
Vers 2 heures du matin, elle révèle son envie d’écrire un jour l’histoire folle d’un ambassadeur marocain oublié au Pérou. Puis vers 4 heures, elle confesse que Chanson douce, déjà traduit dans une quarantaine de langues, pourrait bien être adapté au cinéma aux Etats-Unis avec un casting XXL (mais refuse obstinément d’en donner les noms malgré les nombreux verres de soju). “Quand je repense à mon enfance ennuyeuse au Maroc où la moindre scène de baiser était coupée dans les films qui passaient au cinéma, je trouve tout ce qui m’arrive absolument incroyable.”
“Je crois que tout le monde est seul”
Le lendemain matin, Leila Slimani traverse, en pull mohair rose, cette ville grise peuplée de tours carrés et de hauts fourneaux crachant de la fumée en continu. A l’Espace 1905, une ancienne usine métallurgique transformée en espace culturel, elle procède à une lecture de Chanson douce avant de se livrer à une séance de questions-réponses.
“On ne communique jamais de manière profonde avec les autres, c’est toujours en surface”
Une jeune femme lui demande si l’écriture lui permet de soulager le sentiment de solitude que l’on retrouve chez ses héroïnes. “L’écrivain et le lecteur, ce sont deux solitudes qui se rencontrent, confesse Slimani. Peut-être qu’à travers la littérature je cherche un espace en dehors du monde où l’on ne juge pas les pensées des gens ni ce qu’ils font (…). Je crois que tout le monde est seul. C’est la condition de mes personnages mais aussi de chacun d’entre nous. On ne communique jamais de manière profonde avec les autres, c’est toujours en surface. Même l’intimité est paradoxale. J’ai le sentiment que plus on vit avec les gens et moins on les voit. Moins on les connaît. L’intimité invisibilise. Et pour moi le rôle de la littérature c’est de faire émerger cette vie intérieure, ces pensées secrètes qui sont indicibles. Cioran disait que l’on écrit d’abord avec ses peurs, ses hontes, ses pensées mauvaises. Tout ce que je ne pourrais pas vous dire dans la vraie vie, j’essaie de vous le dire dans mes livres.”
Hédoniste et solitaire, solaire et libre, Leïla Slimani incarne avec talent et conviction la figure de la femme d’aujourd’hui qui veut bouleverser le vieux monde. Son aventure ne fait que commencer.
{"type":"Banniere-Basse"}