Une « interview exclusive » du nouveau ministre de l’Education nationale donnée le jour de sa nomination, à une sulfureuse association anti-avortement et proche de l’extrême-droite, a mystérieusement disparu du jour au lendemain.
Mais où est donc passée « l’interview exclusive » de Jean-Michel Blanquer, le nouveau ministre de l’Education nationale, donnée juste après sa nomination, à l’association SOS Education qui était décrit comme proche de l’extrême droite et anti-avortement selon Libération ? Deux jours après la nomination de cet homme de 52 ans, rue de Grenelle, l’entretien publié sur le site de l’association, a disparu. Réalisé par son délégué général, Jean-Paul Mongin, Jean-Michel Blanquer y exposait sa vision de l’éducation et ce qu’il compte entreprendre au ministère.
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Une interview et un livre qui disparaissent
Parallèlement, une revue intitulée Et si j’étais ministre, prévue pour le 12 mai et éditée dans la collection Réfléchir de Editions SOS Education, avec une reproduction de l’entretien, a elle aussi disparu des radars. On peut toutefois en retrouver une trace du sommaire sur internet à cette adresse. Y est présenté le premier entretien d’une série avec Eric Mestrallet, fondateur d’Espérance banlieue qui manifeste pour plus d’école « hors-contrat » avec l’Education nationale et surveillé de très près par cette dernière.
Or, en faisant une recherche dans le cache internet, on découvre que le sommaire de « Et si j’étais ministre », a légèrement changé. Le premier entretien de la série aurait dû avoir lieu avec… Jean-Michel Blanquer, devenu ministre. Parmi les autres intervenants de cette revue, un autre nom a subitement disparu, celui de l’inspecteur général Christophe Kerrero… Nommé directeur de cabinet du ministre Jean-Michel Blanquer.
Anti-avortement et proche de l’extrême-droite
SOS Education a été créée en 2001. Revendiquant plus de 60 000 membres, elle réunit parents et professeurs ayant pour objectif d’améliorer l’école. Bien qu’« apolitique », l’association est proche de Sens Commun – en 2014, ils avaient conjointement participé à l’élaboration d’un programme éducatif à défendre au sein de l’UMP. Lors de la primaire, l’association sous la présidence de Claire Polin avait pris publiquement parti pour François Fillon.
https://twitter.com/soseducation/status/799658129042509824
C’est pourtant une association sulfureuse. Pour Libération, « l’association dissimule ses liens avec les officines ultralibérales » Le quotidien explique qu’« indépendante au plan légal, [elle n’est pas neutre] au plan politique : elle se rattache à une nébuleuse parfaitement identifiée. On la retrouve sur le site Internet conscience-politique.org pour lequel elle a réalisé l’analyse d’un manuel d’histoire jugé trop complaisant sur les morts du communisme. Que trouve-t-on sur ce site ? Des références aux ultralibéraux tendance Reagan, aux mouvements anti-avortement et à la mouvance des évangélistes américains, le tout nimbé d’une proximité assumée avec l’extrême droite. Et des références appuyées à Claude Reichman, seule ‘personnalité politique’ dont le site Internet est recommandé. »
Claude Reichman a tenté de se présenter à la présidentielle de 2002. Faute de signatures, il a monté un cabinet fantôme, instauré un « ministre de l’Instruction publique et de la Civilisation ». Selon Libé, son programme est alors très proche de ceux du FN et du MNR de Bruno Mégret en matière d’éducation.
« Une vision systémique »
L' »interview exclusive » de Jean-Michel Blanquer apparaît comme un signal fort des liens qui unissent le nouveau ministre de l’Education nationale à SOS Education. Son titre: « Il faut avoir une vision systémique ». A l’intérieur, M. Blanquer explique qu’on assiste « depuis l’après-guerre [à] une dérive de l’éducation due au fait qu’elle a été trop saisie par la temporalité politique, par les effets d’alternance et de stop-and-go. » Pour y remédier, il explique qu’« il faudra donc passer par une dépolitisation – il faut dépasser le clivage droite-gauche – puis par une repolitisation, pour faire comprendre que l’éducation est le sujet le plus important. »
Après le constat, le méthode d’action. « Pour développer l’humain en l’homme et en l’enfant, il faut de la liberté et de la responsabilité. Il faut donc garantir l’autonomie des acteurs, qui sont à même de définir des solutions. » A la question de « Comment rendre ces propositions acceptables« , le ministre répond : « Il faut simplement une méthodologie de la réforme. » Qu’il développe ensuite :
« Pour commencer en douceur, il faut donner de la liberté à certains territoires, à certaines structures, sur la base du volontariat. Il faut faire réussir des initiatives à moindre échelle, avant de les généraliser.
Si on prend l’exemple de l’établissement autonome, on n’est pas obligé de le faire tout de suite à 100 %. Même en le voulant, de toutes façons, on n’y arriverait pas. Il faut commencer sur une petite base de 5 à 10 % d’établissements volontaires, montrer que c’est un jeu gagnant pour tout le monde, y compris pour les professeurs qui pourront choisir leur lieu de mutation. Par ailleurs, il faut aussi faire saisir qu’il y a des effets de système et que si un élément administratif est modifié, des éléments pédagogiques le seront aussi : si le recrutement des professeurs est modifié, leur formation le sera également, ainsi que le contenu des programmes. Tout se tient : il faut avoir une vision systémique, qui ne soit pas pyramidale et qui fasse confiance aux acteurs. »
« Aller vers des logiques de délégation »
Enfin, sur l’éventualité de voir apparaître « une offre scolaire autonome », M Blanquier explique : « Sans aller vers des logiques de privatisation, on peut aller vers des logiques de délégation, qui permettent d’accomplir mieux le service public en responsabilisant davantage les acteurs. »
Dans le milieu éducatif, l’interview commence à circuler. Paul Devin, inspecteur de l’Education national et secrétaire général SNPI-FSU (syndicat national des personnels d’inspection) s’en émeut :
La privatisation du service public portera le nom de délégation avec JMB. https://t.co/RdhxwWXCCy
— Paul DEVIN (@pauldevin59) May 18, 2017
Toute la journée du 18 et la matinée du 19, l’interview est encore consultable sur le blog de SOS Education, à cette adresse. Or aujourd’hui, elle ne renvoie plus vers « l’interview exclusive » mais vers une lettre ouverte de M. Mongin à Jean-Michel Blanquier. Celle-ci commence par :
Monsieur le ministre,
cher Jean-Michel Blanquer,L’annonce de votre nomination a eu le premier mérite de faire grimacer la précédente locataire de la rue de Grenelle. Quelques minutes après avoir assisté à cette séquence télévisuelle réjouissante, j’ai reçu un message d’un ami professeur d’histoire, installé de longue date en Guyane : « Comme recteur de 2004 à 2007, il n’a laissé ici que d’excellents souvenirs. »
Cette lettre ouverte est datée du 17 mai 2017, jour de la nomination de M. Blanquier. Mais où se trouve donc l’interview donnée par le ministre ? Vendredi 19 mai, à 11 h 16, le site de SOS Education l’annonçait pourtant encore :
De plus, l’adresse internet du visuel annonçant la lettre ouverte de M. Mongin porte le nom de « interview Jean-Michel Blanquier », comme vous pouvez le voir ici.
Grâce au cache internet, il est encore possible de lire « l’interview exclusive » donnée par M Blanquer à SOS Education, en cliquant ici.
D’après les informations du journaliste Luc Cédelle, spécialisé des questions d’éducations, cette interview ne date pas du 17 mai 2017 mais du mois de mars.
Bonjour, en remplaçant cette intw de mars dernier par une tribune publiée hier nous avons actualisé une ancienne version. Au temps pour nous
— SOS Éducation (@soseducation) May 19, 2017
Pourtant, l’interview demeure introuvable sur le site de SOS Education, que ce soit à la date du 17 mai ou au mois de mars. Contacté, le service de presse du ministère de l’Education nationale n’a pas été mis au courant. Il nous est toutefois expliqué que les demandes d’interview du ministre ont commencé à être géré par les services de la rue de Grenelle à partir du 18 mai 2017 et que pour le moment, aucune demande venant de SOS Education n’avait été reçue.
Aucune réponse de la part de l’association
Contacté, le standard de l’association SOS Education botte en touche. Il nous a été confirmé qu’il s’agissait bien d’une interview ancienne « de plusieurs mois« . Il nous a été précisé que l’interview ne réapparaîtra pas sur le site internet. Toutefois, une demande pour une nouvelle interview sera faite « dans les prochains jours ». Aucune information ne nous a été donnée concernant la disparition de la revue Et si j’étais ministre de l’éducation sur le site internet de l’association. Le délégué général, M. Mongin était « en réunion » depuis le début de la journée et incapable de répondre à notre appel.
Il était pourtant plus communicatif il y a deux jours. L’image avait fait le tour du web ; en apprenant le nom de son successeur, Najat Valaud-Belkacem avait lâché une vilaine grimace. M. Mongin lui, dès l’annonce du secrétaire général de l’Elysée de la nomination de M. Blanquer, le 17 mai 2017, avait publié ces trois tweets :
Bravo @jmblanquer pour votre nomination à la tête d'@EducationFrance ; c'est une excellente nouvelle pour l'École et pour notre pays.
— Jean Paul Mongin (@jpmongin) May 17, 2017
J'ai vu la tête de @najatvb qd elle a appris le nom de son successeur. Ça méritait une lettre d'amour @jmblanquer -> https://t.co/q6bz1OcJHv
— Jean Paul Mongin (@jpmongin) May 18, 2017
.@najatvb Nous ce serait plutôt la danse des canards. https://t.co/Ku8Z2glCde
— Jean Paul Mongin (@jpmongin) May 19, 2017
Droit de réponse:
“SOS Education nous répond:
L’article publié sous la signature de Monsieur Rebucci contient plusieurs inexactitudes auxquelles l’association SOS Education entend apporter les réponses suivantes. En premier lieu, SOS Education n’est ni “sulfureuse” ni “antiavortement”, ni “proche de l’extrême droite”. Au cas où, précisons qu’elle n’a pas non plus de lien avec les illuminati et n’est pour rien dans aucune épidémie de grippe espagnole. Plus sérieusement, ces qualificatifs relèvent de fantasmes et d’amalgames que les Inrocks auraient rapidement pu dissiper en venant nous rencontrer plutôt qu’en recopiant un article publié par un autre journal 14 ans auparavant (nous imputant une proximité avec Ronald Reagan…) L’association SOS Education n’a pas vocation à s’exprimer sur l’avortement, qui n’appartient pas à son domaine d’intervention. Elle revendique un caractère apolitique et non-partisan, ce qui ne l’empêche évidemment pas de porter une appréciation sur les programmes politiques dans le domaine de l’éducation. Elle n’est “proche” d’aucune formation politique et demande audience à toutes. Ses “proximités” ne sont déterminées que par ses conceptions de l’école, de l’éducation et de l’enseignement, domaines qui dépassent assez largement le clivage droite/gauche, comme le démontrent les réactions suscitées par la nomination de Monsieur Blanquer. Page 9 L’interview de celui-ci publiée sur le site de l’association avait été réalisée plusieurs mois avant l’article des Inrocks et publiée bien avant sa nomination. Les positions qu’il y exprimait étaient à la fois anciennes, connues et publiques. Le Secrétaire Général de SOS Education ayant publié le 18 mai une tribune portant, précisément, sur les positions du ministre, c’est assez naturellement qu’il a, ensuite, substitué cette tribune à l’entretien… La lecture de ladite tribune suffit à démontrer que SOS Education ne cherche nullement à dissimuler ce que lui inspirent certaines positions de Monsieur Blanquer ».
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