Le contre sommet de Copenhague : 125 Français, anticapitalistes, sont partis de Paris en bus pour manifester 20h plus tard à Copenhague. Récit.
« On va devoir tous descendre le temps que la Police vérifie qu’il n y a rien de suspect dans le bus. » Il est 5h du matin, et l’annonce de Christian, militant du NPA, déclenche une salve de commentaires. « Ben merci l’espace Schengen hein. » « On est tous européens ! » « Liberté de circulation ! » Dehors, il fait bien froid. Bonjour le Danemark.
125 Français, trois bus remplis de militants ou sympathisants espèrent bien manifester ce samedi après midi. Certains ont prévu le coup depuis deux mois, d’autres ont décidé de « partir à l’arrache » le lundi.
Rendez-vous avait été donné le vendredi à 12h30. Place de la nation à Paris pour 20 heures de trajet.
« Putain je crois que le bus vient de Roumanie »
13h30 : « Putain je crois que le bus vient de Roumanie » remarque Xavier un collègue-pote-militant-photographe « On est mal. » Benoît, militant aux alternatifs confirme : « Le chauffeur ne parle pas Français. » A l’intérieur des fauteuils émeraudes, avec des zigouigouis colorés. « Hugues des Verts n’est toujours pas arrivé ? »
Des choses en roumains sont écrites partout. Visiblement Notausstieg doit vouloir dire « cours donc par là s’il y a du feu » 14h56 : ça y ‘est on est vraiment partis. De la danse roumaine éclate dans les enceintes. « Luna michinka lalalalala » Le bus tangue un peu, et il y a un bruit bizarre. Comme des essieux qui grincent.
Maintenant on va regarder Titanic.
Dans mon bus il y a une cinquantaine de personnes. Des Verts, des militants d’Attac, du NPA des qui se disent affranchis, des étudiants, des pro tibétains, des syndicalistes… Pour l’instant les discussions ne s’engagent pas vraiment. Il y a un film dans la télé. Wanted. Première scène : un homme trousse une femme assise sur une table. « On veut du son ! » gueule un militant au fond du bus. Le film passe, Angelina Jolie tire des balles, le héros aussi, à la fin Angelina meurt et en fait Morgan Freeman était méchant. Eclat de rire général dans le bus. Maintenant on va regarder Titanic.
La discussion s’ouvre avec Marc, intermittent du spectacle et Frédéric informaticien, tous deux militants verts. Benoît : « Je raillais un peu Europe Ecologie qui veut s’allier avec le Modem ». Frédéric : « Oh arrête avec ça ! C’est juste Daniel Conh Bendit… Ca gueule en interne » On se rappelle les souvenir du bon vieux Millau en 1999 « Y avait de la poussière partout », on parle de décroissance, on est d’accord pour dire que culpabiliser c’est pas bien. « Moi j’ai pas envie d’être dans un discours hyper moralisateur ». Le menu du Dvd de Taxi 4 tournait en boucle depuis plus de 20 minutes quand ils se sont endormis, jusqu’à la frontière danoise, où il a donc fallu descendre du bus.
A la frontière danoise
Le bus sera reparti après 3h de maintien à la frontière. 3h à attendre, dormir ou à s’inquiéter. « J’espère qu’ils n’ont pas volé mon fromage de chèvre. » Pierre*, étudiant en sciences politiques militant à Sud est le seul à s’être vu interrogé pendant une quinzaine de minutes. « Je suis fiché, ils m’ont filé des papiers en me disant qu’il ne fallait pas être violent. » Les policiers danois ne l’ont pas convaincu. « Politiquement je trouve que la violence c’est intéressant. » Juste derrière, Davide un italien, chercheur en physique à Paris venu seul dit : « J’espère qu’on va faire une belle manif pacifique. »
« On ne se tape pas dessus parce que le sujet est important. »
Copenhague semble tombée dans une palette de gouaches. De nombreux manifestants ont revêtu des accoutrements étranges. Beaucoup d’animaux : des ours surtout, des poulets, des cochons, des pandas… Parties du Christianborg, le centre de la ville, les pancartes jaunes malicieuses de Greenpeace sont partout dans le défilé. « There’s no planet B » ou « Bla bla bla bal act now ! » Il paraît que les blacks blocks ont tenté d’envahir la manif ? On ne voit pourtant que le soleil qui brilloie et la planète écolo qui festoie.
Au son des fanfares, des batucadas ou des accordéons, beaucoup de Danois manifestent sur leur vélo. Certains cyclistes même leurs enfants dans des carrioles. Le running gag de la manif est offert par un cortège de belges. Militants du FGTB (fédération générale du travail de Belgique), ils s’arrêtent tous les 5 minutes, s’accroupissent à terre, puis se mettent à courir subitement en hurlant. Oui.
Sinon dans la manif, il y a aussi des militants protibétains. Comme l’expliquait dans le bus Guillaume, étudiant à Estienne en arts appliqués « Le tibet est le troisième pôle de glaciers dans le monde, et pleins de fleuves d’Asie partent du Tibet, mais le gouvernement chinois met chaque jour en place des politiques dramatiques pour l’environnement. » Et puis aussi l’herbe se détériore. C’est mauvais pour les Yaks. On comprend mieux le slogan « yak yak yak ».
Mais sinon ils ne sont pas là les fameux gens du sud ? Ah si devant, tout devant. Ils tiennent une banderole. « Respect indegenous people rights. » On croirait un remake de It’s a Small world. Un indien déguisé en indien (avec des plumes), est à côté d’une dame esquimau, elle même à côté d’une dame africaine. C’est la coalition des « peuples indigènes », emmenée par une attachée de presse … américaine.
16h à peine et la nuit est déjà tombée. Le froid gèle les pieds. On recroise Thibaut, un militant NPA du bus. La mine réjouie « C’est chouette, y a une bonne ambiance. On marche beaucoup, les copains sont motivés. C’est comme dans le bus, on ne se tape pas dessus parce que le sujet est important. »
Oh tiens. Olivier Besancenot. LE leader du NPA est à Copenhague. Il ne pouvait pas prendre le bus parce qu’il travaillait hier mais il est content lui aussi « C’est une grosse manif. Aujourd’hui, on prouve qu’il n’y a pas que le sommet d’en haut », dit-il avant de poursuivre « Nous on est là pour dire qu’il ne faut pas seulement suivre les préconisations du GIEC, il faut changer tout notre système de production. » En voilà un avis qui fédère.
« Les animaux quand ils font popo, ils dégagent des gazs. C’est très dangereux. »
Les végétaliens eux aussi prônent la fin de la surproduction de viandes. Minh est d’origine vietnamienne. Il est venu de Los Angeles pour distribuer des tracts végétaliens. « C’est la solution contre le réchauffement climatique » dit-il avant d’expliquer très sérieusement « Les animaux quand ils font popo, ils dégagent des gazs. C’est très dangereux. Si tu les sens tu peux mourir. C’est comme si tu me mangeais moi, tu aurais beaucoup de cancers, c’est pareil. » On sourit. Mais finalement on est peu surpris. Avant on a rencontré des Franciscains réjouis : « Notre heure est enfin arrivée, nous allons adopter un mode de consommation plus modéré », mais aussi un juif qui revendiquait « un miracle d’Hanouka pour la planète. »
Il est 18h20, la manif s’achève au Bella Center. L’ambiance est celle d’une fête de l’huma. Ca sent le chichon, et des caravanes diffusent du reggae.
Avoir moins chaud s’il vous plaît monsieur
Vers 22h tout le monde s’endort dans le bus épuisé de sa marche. « On est vraiment ravis. » Sauf Pierre et Romain. Contrairement au petit groupe d’étudiants agglutinés dans le fond du bus et qui a essayé de faire flamber des bananes avec de l’alcool de pommes, ils ne tirent pas un bon bilan de ce contre-sommet. « Je suis un peu déçu, nous on a pas fait de violences, c’était pas rigolo, y avait pas de dynamisme » dit Pierre. Romain développe « Pour moi c’est presque dangereux politiquement les discours qu’on a pu voir dans la manif, de dire « il faut que les hommes politiques prennent de bonnes décisions. Je n’y crois pas du tout à ça. Ca partait un peu dans tous les sens. »
Et les chauffeurs roumains au fait ils en pensent quoi du contre sommet? Michel lève le pouce quand on lui pose la question : « Good good. » Il montre ensuite le ciel et dit « Hot ? Désasteur » Pourtant dans le bus, il faisait une chaleur terrible. Chauffage à fond, et Michel comme son co chauffeur Cornel, laisse tourner le moteur à l’arrêt. Dans la nuit Marc des verts s’est levé, pour demander fermement de calmer le radiateur.
*prénoms changés