Depuis le 25 janvier 2015, les éleveurs de porc bloquent les routes de Bretagne. Ils protestent contre un prix d’achat trop faible et exigent une régulation du marché européen pour que le modèle agricole à la française perdure.
Rose, comme le cochon. La couleur de leurs bonnets, le symbole de leur colère. Depuis des mois, les éleveurs bretons tentent par tous les moyens d’attirer l’attention du gouvernement. Ils ont décidé de taper une nouvelle fois du poing sur la table. Comme toujours avec la manière.
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Comme au mois de juillet, les agriculteurs font de nouveau entendre leur voix. Déjà cet été, les négociations avec le gouvernement avaient abouti à l’annonce d’un plan d’urgence de 700 millions d’euros, principalement pour faire face aux problèmes de trésorerie. Insuffisant pour inverser la tendance. Les dépôts de bilan s’enchaînent toujours à un rythme effréné. « Une exploitation de 200 truies perd en moyenne 12 000 euros par mois. C’est la désolation, on ne sait plus quoi faire. On négocie avec les banques pour faire des prêts à court terme mais comment les rembourser ? », explique Olivier Etienne, porte-parole des Bonnets roses. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture l’a d’ailleurs reconnu, c’est 35 000 exploitations qui sont « en grande difficulté » aujourd’hui.
Depuis fin janvier, partout les mêmes scènes, de Brest à Dinan, de Quimper à Nantes, les éleveurs font blocus : opérations escargot, barricades en feu et lisier déversé sur les routes de l’Ouest avec à la clé des ralentissements monstres. À Lorient, le 25 janvier, il a fallu pas moins de deux heures à Justine, puéricultrice, pour parcourir les 13 kilomètres qui séparent son domicile de son lieu de travail, à la place des 20 minutes habituelles. « C’était l’EN-FER ! », lâche-t-elle. Les cars de ramassage scolaire ne sont pas passés, impossible d’aller au collège, impossible d’aller faire les courses, impossible d’aller chercher les enfants à l’école.
Les graines de la colère
En Bretagne, le mouvement des agriculteurs ne manque pas de soutien dans la population. Pauline de Pont-Labbé cautionne les blocages : « J’espère vraiment pour eux qu’on arrêtera de leur proposer des aides dont ils ne veulent pas, qu’on leur fournira de véritables alternatives qui leur permettront de vivre correctement parce que vu la difficulté du boulot et les journées qu’ils se tapent, ce serait quand même la moindre des choses. En attendant, je valide totalement leurs actions parce que pour perturber le quotidien, ça marche du feu de Dieu ! »
Mais de quoi de souffre l’élevage porcin ? D’abord d’un manque de compétitivité sur le marché européen, d’après les professionnels. « En Allemagne, les ouvriers agricoles sont payés au lance-pierre », s’indigne Paul Auffray, président de la Fédération nationale porcine. Les saisonniers ne touchent pas le salaire minimum allemand. C’est la loi outre-Rhin.
En Espagne, la taille moyenne des exploitations est de 1200 truies alors qu’elle est de 200 en France. Au Danemark, de nombreuses entreprises maîtrisent la production d’un bout à l’autre : elles font naître et engraissent les cochons, elles ont leurs propres abattoirs et livrent elles-mêmes la viande à la grande distribution. En France, on compte en moyenne cinq intermédiaires entre l’agriculteur et le consommateur.
Les éleveurs français disent aussi faire face à des lourdeurs administratives, des charges sociales trop élevées, des normes environnementales et de bien-être animal plus exigeantes qu’ailleurs.
Pour Paul Auffray, « pour que nous puissions vivre, ou en tout cas survivre, il faudrait que le kilo de porc se vende 1,40 euros. Aujourd’hui, le prix d’achat est à 1,10 euros. Un éleveur perd donc 20 ou 30 euros par bête. Les industriels ne nous aident pas. Ils achètent une partie de la viande à bas coût à l’étranger, qui est de moins bonne qualité que celle qui est juste à côté. C’est la guerre des prix sur le dos des paysans ! ». Selon Frédérique Le Gall, chef du service économie du Télégramme, « les éleveurs sont l’éternel maillon faible de la chaîne. Ils sont la variable d’ajustement. Ils payent le prix d’une production qui coûte trop cher. La grande distribution s’en sort bien mieux ».
Pousser les Français à consommer français
Au-delà des subventions accordées par le gouvernement, les éleveurs demandent avant tout une baisse des charges, une harmonisation des normes environnementales dans les pays de l’Union européenne et que les collectivités, les cantines soient exclusivement fournies en viande française. Ils réclament aussi une mention obligatoire du pays d’origine de la viande sur les étiquettes des produits transformés (jambon, saucisses, plats cuisinés). « Il faut pousser les Français à consommer français mais pour ça il faut leur donner un coup de main. Dans les librairies, vous avez bien des rayons ‘littérature étrangère’ et ‘littérature française’. Nous, on veut exactement la même chose. C’est du bon sens », conclut Olivier Etienne.
« Nous ne sommes pas dans une crise du modèle agricole breton, nous sommes dans une crise du modèle économique, ce qui est bien plus grave. Beaucoup vont tout perdre, maison, matériel, bêtes pour rembourser leurs dettes. Une vie de labeur pour rien. C’est sacrément anxiogène comme message pour la société ! », résume Olivier Allain, vice-président chargé de l’agriculture à la région Bretagne (élu sur la liste de Jean-Yves Le Drian).
Une crise qui inquiète la relève. C’est le cas de Brieg, 25 ans, qui travaille dans l’exploitation familiale près de Lannion : « Notre ferme est exploitée de génération en génération depuis la Révolution. C’est mon héritage. Ça a toujours été une évidence que je prendrais la suite de mes parents mais aujourd’hui ils n’ont même pas les moyens de m’embaucher plus de trois mois alors que ce n’est pas le boulot qui manque. Je vais essayer d’aller ailleurs. On est plein de jeunes dans mon cas. Il n’y a pas de perspective alors on attend. On est au point mort ».
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