Des policiers qui ne font plus la loi, des citoyens qui font le boulot du gouvernement. Bienvenue en Belgique, où les rôles s’inversent afin de venir en aide aux migrants, pour lesquels traques et rafles sont devenues le quotidien.
“Jeudi 7H, target : 250”. Jeudi, c’est le jour où les policiers vont descendre dans le Parc Maximilien à Bruxelles. 250, c’est le nombre de migrants à interpeller. Des infos envoyées dans des mails cryptés, directement depuis les rangs de la police. C’est le genre de messages que reçoit de plus en plus couramment la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés. Une plateforme créée en 2015 par des citoyens estimant que le gouvernement manquait à ses obligations en matière d’accueil et d’encadrement des migrants. Elle rassemble aujourd’hui une communauté de plus de 30000 membres. Distribution de nourriture, accompagnement administratif, cours de langues, coordination pour les hébergements : toutes ces activités font le quotidien de centaines de bénévoles du collectif.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Une situation qui empire depuis le démantèlement de Calais
Le Parc Maximilien, situé juste en face de l’Office des étrangers, est devenu l’endroit tristement célèbre à Bruxelles où les migrants ont trouvé refuge. Au départ, ils étaient une petite centaine. Depuis le démantèlement de Calais en octobre 2016, les chiffres augmentent, la Plateforme citoyenne recensant environ 250 personnes. “C’est à cette période que le gouvernement décide de faire des opérations de police pour donner des ordres de quitter le territoire, et de les envoyer le cas échéant dans des centre fermés ou de les expulser” explique Mehdi Kassou, porte-parole de la Plateforme.
“Les réveils le matin sont plus difficiles pour les femmes, les jeunes, les personnes âgées. Ils ont plus de mal à partir en courant, ils se font attraper plus facilement” Mehdi Kassou, porte-parole de la Plateforme citoyenne
Dans un courrier datant de septembre 2017 et adressé au procureur du Roi, le président de la Ligue des droits de l’homme belge, Alexis Deswaef, alerte sur l’illégalité de ces opérations de police, car des quotas d’arrestations sont établis, ce qui est interdit. Il écrit : “Ces rafles (définition du Larousse : ‘Opération policière exécutée à l’improviste dans un lieu suspect, en vue d’appréhender les personnes qui s’y trouvent et de vérifier leur identité ; être pris dans une rafle ; arrestation massive de personnes’) sont illégales, constituent une violation de la dignité humaine, de la liberté de circulation, ainsi qu’un non-respect du principe de proportionnalité et de non-discrimination.” Il précise également que les migrants sont souvent victimes de violences policières lors de ces interpellations.
Pour empêcher que les migrants ne se fassent arrêter lors de ces rafles, Mehdi Kassou et d’autres bénévoles se relaient les matins, très tôt, pour aller réveiller les migrants avant l’arrivée de la police. Seulement “les réveils le matin sont plus difficiles pour certains, comme pour les femmes, les jeunes ou les personnes âgées. Ils ont plus de mal à pouvoir partir en courant, ils se font attraper plus facilement”.
Recueillir chez soi un migrant, c’est aussi un acte politique, une manière de montrer son désaccord face aux mesures du gouvernement
Il faut alors trouver une autre solution. Cette solution, c’est loger toutes ces personnes chez des citoyens. “Il y a ces gars qui risquent de se faire arrêter, vous êtes OK pour les prendre chez vous ?” C’est de manière simple et humaine que la Plateforme citoyenne propose cette initiative. “On leur a expliqué qu’ils n’offrent pas seulement un refuge contre le froid mais aussi un refuge contre les lois.” Un “pari” qui paie : cinquante personnes sont logées la première semaine, puis cent, puis deux cents… Aujourd’hui, environ quatre cents personnes sont hébergées chaque soir.
Héloïse, 25 ans, a déjà hébergé plusieurs fois des migrants chez elle. “J’avais besoin d’action citoyenne concrète. Je ne supporte pas d’envoyer de l’argent à une ONG pour me soulager la conscience. J’ai besoin d’être en contact direct avec l’action et d’en voir les effets. Je suis très fière, quand je croise un policier, de penser qu’à ma manière, je lutte.” Pour cette jeune comédienne et pour de nombreux autres hébergeurs, recueillir chez soi un migrant, c’est aussi un acte politique, une manière de montrer son désaccord face aux mesures du gouvernement belge.
Pour les autorités, il faut “nettoyer” le Parc Maximilien
Aux manettes de l’immigration, Theo Francken, ministre très controversé et membre de la N-VA, parti séparatiste flamand. Pour lui, il faut “nettoyer” le Parc Maximilien. #Opkuisen, comme il dit. Ce tweet posté en septembre 2017 avait provoqué l’indignation dans l’opinion publique. Ces nettoyages, “ce sont des gamins qui partent en courant avec comme seul bagage une couverture sur le dos. Ils sont pieds nus car ils n’ont pas eu le temps d’enfiler leurs baskets. Certains sont en caleçon, certains sont blessés” comme le raconte le porte-parole.
Jan Jambon (N-VA), ministre de l’Intérieur, a annoncé le jeudi 18 janvier dernier vouloir “endiguer” le flux de migrants, prétextant une soudaine augmentation de l’occupation du Parc Maximilien pour justifier de nouvelles actions policières à venir. Quelques jours avant cette annonce, les informations sur une descente de police de grande ampleur parviennent déjà à Mehdi Kassou. Des quotas d’arrestations sont prévus, de nombreux policiers mobilisés vont sévir le dimanche soir. Plusieurs sources dans l’administration et la police le lui confirment. 48 heures avant l’opération, la Plateforme appelle les citoyens à se mobiliser et à former une chaîne humaine qui doit encercler le Parc Maximilien. “On s’attendait à 500 personnes. Puis finalement on était plus de 3000” s’enthousiasme le porte-parole.
Voilà: ce soir à la Gare du Nord, la solidarité citoyenne avec les migrants pour empêcher les arrestations par @JanJambon et sa police. Message très fort à @CharlesMichel et le #Begov. #Resist #RefugeesWelcome pic.twitter.com/cwhep8PIGH
— Alexis Deswaef (@AlexisDeswaef) 21 janvier 2018
De la gare du Nord jusqu’à l’Office des étrangers, pas une parcelle de terrain n’était pas prise d’assaut par les citoyens. Côte à côte, pour dire non à ce gouvernement répressif. “Le gouvernement a annoncé vouloir appliquer une politique migratoire ferme et humaine. Ce soir-là, les gens demandaient la dimension humaine” fait savoir le porte-parole.
Hugo Périlleux Sanchez, soutien à la lutte sans-papier et militant Ecolo J, présent lors du rassemblement, se questionne cependant sur la pérennisation de ce genre de mouvement. “On a réussi à déjouer cette opération policière importante, ça c’était super fort. Mais on a été plusieurs à se demander s’ils ne reviendront pas un autre jour ? Aurons-nous à chaque fois l’information ? Est-ce qu’on aura la capacité de se mobiliser à chaque fois ?”
Des taupes parmi la police
Au sein des forces de police, certains se rebellent également. Ils remettent en question le bien-fondé des opérations. Des policiers deviennent des informateurs pour les collectifs de soutien aux sans-papiers. Ces indics inquiètent le gouvernement. “On fait une enquête pour voir s’il y a des fuites, et d’où viennent ces fuites, parce que c’est inacceptable. Les policiers sont tenus par le secret professionnel, s’ils ne se conforment pas à cela, ils font une erreur professionnelle” s’est exprimé le ministre de l’Intérieur auprès de la RTBF.
“C’est trop facile de dire que les policiers doivent exécuter ce que le monde politique ordonne” Marc Duplessis, du syndicat CGSP-ACOD Police
D’autres policiers ne veulent tout simplement plus prendre part à ces opérations. La ville de Bruxelles et la commune de Schaerbeek ont décidé de ne plus mobiliser leur police communale. Le gouvernement doit donc désormais faire appel à la réserve fédérale pour organiser les prochaines descentes. Marc Duplessis, membre du CGSP-ACOD Police, explique à la RTBF que son syndicat a “l’impression que l’article 3 de la Convention des droits de l’homme n’est pas respecté, ni par les autorités, ni par le ministre de l’Intérieur Jan Jambon (N-VA), ni par le secrétaire d’Etat à l’Asile Theo Francken. Il nous faut un débat avec l’autorité pour avoir des éclaircissements sur la totalité de la problématique. C’est trop facile de dire que les policiers doivent exécuter ce que le monde politique ordonne”.
L’article 3 interdit à tout Etat de pratiquer la torture ou de soumettre toute personne à des traitements inhumains ou dégradants. En décembre 2017, six Soudanais arrêtés en Belgique ont été expulsés vers leur pays d’origine. Ils ont ensuite témoigné des tortures qu’ils ont subies au moment de ce retour. L’opposition a largement dénoncé la “faute” commise par Theo Francken et a réclamé l’arrêt de ces rapatriements. Ils sont pour le moment suspendus.
Marc Duplessis prévient qu’une grève “est une possibilité” mais penche plutôt pour une action de désobéissance civile, en décidant de ne “plus exécuter ce que nous devons exécuter et voir ce qui s’ensuit”. Une première pour les services de l’ordre, comme le note la RTBF.
Dans l’Hexagone, une criminalisation de la solidarité
En France, les aides aux personnes séjournant illégalement sur le territoire sont réprimées par la loi. Faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger est passible de cinq ans de prison et de 30000 euros d’amende. C’est ce que les associations humanitaires surnomment le “délit de solidarité”. Stéphane Maugendre, avocat au barreau de Seine-Saint-Denis et président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI), explique que cette dénomination est un “slogan politique”. La dernière réforme concernant cette loi a été faite sous le gouvernement Hollande, qui a rendu les hébergements des sans-papiers par les particuliers légaux à condition qu’il n’y ait aucune contrepartie demandée.
“En France, il existe un harcèlement policier. Avec des gardes à vue, des perquisitions chez les gens, des intimidations” Stéphane Maugendre du GISTI
“Manuel Valls a annoncé avoir aboli le délit de solidarité, mais c’est complètement faux. Car il y a encore des gens qui, en hébergeant ou en aidant des sans-papiers sur le territoire français, sont poursuivis” explique l’avocat. Il précise que c’est notamment parce qu’on fait passer ces hébergements, non pas pour un acte humanitaire, mais pour un acte militant (qui lui est puni par la loi). “Même si dans certains cas, le délit n’est pas poursuivi devant les tribunaux, il existe une pression policière, un harcèlement policier. Avec des gardes à vue, des perquisitions chez les gens, des intimidations. Rien qu’une identification d’identité, c’est quatre heures au poste de police. Les services policiers utilisent ce texte pour faire pression sur un certain nombre de personnes. Et tout cela n’est pas chiffrable.”
La mobilisation citoyenne autour des migrants en Belgique ne serait donc pas possible en France. “A partir du moment où c’est un tout petit peu organisé, comme en Belgique, ces personnes seraient poursuivis. C’est ce qui se passe en ce moment dans la vallée de la Roya” assure Stéphane Maugendre.
Un projet de de loi belge qui pourrait tout changer
Cette criminalisation de la solidarité fait doucement son chemin en Belgique, selon certaines associations comme la Ligue des droits de l’homme ou le CIRE (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers). Notamment avec la proposition de loi qui autoriserait les visites domiciliaires. Cette loi actuellement examinée par la Chambre belge permettrait aux policiers munis d’un mandat d’entrer chez des particuliers pour y arrêter un réfugié en situation illégale.
Olivier Chastel, président du parti belge Mouvement réformateur, tient à préciser que “ce texte est en préparation depuis de nombreux mois et n’a aucun rapport avec la situation au Parc Maximilien”. Il insiste sur le fait que “ceux qui hébergeraient de bonne foi une personne en situation illégale ne risquent absolument rien. Il n’est pas question de remettre en cause l’exception humanitaire qui bénéficie à ceux hébergeant des personnes en situation illégale”.
“Avec les fonds des opérations policières, on aurait pu ouvrir un centre d’accueil pour au moins un an” Mehdi Kassou
Différentes actions seront menées ces prochains jours en Belgique pour dénoncer ce projet s’apparentant à une “forme de pression larvée permanente et intimidante qui vise à dissuader l’hébergement des sans-papiers” comme l’écrit le CNCD-11.11.11 dans une lettre ouverte, parlant de “cap crucial” que le gouvernement fédéral s’apprête à franchir. La Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés vient de recevoir une invitation pour être auditionnée à la Chambre plénière avec d’autres organisations. “C’est déjà un premier pas” estime Mehdi Kassou.
Chaque opération policière coûte environ 150000 euros selon le porte-parole. “Avec ces fonds-là, on aurait pu ouvrir un centre d’accueil pour au moins un an. Ce n’est rien de colossal. Il suffisait de le vouloir.” Une proposition de solution concrète et réalisable émise par la Plateforme. Pas sûr que le gouvernement belge soit prêt à l’entendre. Et ce, malgré les cris d’alarme et du cœur des citoyens.
{"type":"Banniere-Basse"}