Depuis leur rencontre au sommet du G7, les médias étrangers se plaisent à voir en Justin Trudeau le « frère siamois » d’Emmanuel Macron. Quitte à affubler le fondateur d’En Marche du surnom de « French Trudeau ». Mais l’analogie tient-elle vraiment debout ?
On a connu face à face moins glamour. C’est dans un décor édénique que se sont rencontrés Emmanuel Macron et Justin Trudeau le 26 mai dernier sous le soleil torride de Sicile. Lors du sommet international du G7, dont ils sont par ailleurs les plus jeunes dirigeants, les deux politiciens ont déambulé dans les jardins fleuris de Taormina tout en attirant l’attention des médias et des réseaux sociaux. Sourires chaleureux, regards admiratifs, ambiance intimiste, il n’en fallait pas plus pour qu’internautes et journalistes fantasment en ce meeting les prémices d’une « romance fraternelle« …A raison ?
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Sous le soleil de Toscane
Première rencontre avec @EmmanuelMacron pour parler d’emplois, de sécurité et de climat – au plaisir de poursuivre ce dialogue, mon ami. pic.twitter.com/THmz5VaefS
— Justin Trudeau (@JustinTrudeau) May 26, 2017
Magie du web, il a suffit d’une simple poignée de main entre le président de la République et le premier ministre canadien pour que les internautes détournent un moment de diplomatie en manga parfumé à l’eau de rose. « L’amitié franco-canadienne a un nouveau visage » tweete le président de la République le jour-même. Dans les heures qui suivent, une hypothèse circule au fil des médias : Macron ne peut être que « la réponse de la France à Justin Trudeau« , son « frère siamois« , le « Trudeau français« .
« Emmanuel Macron rêve d’un parcours à la Justin Trudeau » titrait Paris Match. Entre ces deux hommes au physique de gendre idéal, les similitudes ne manquent pas : jeunesse, multiculturalisme, démarche apparente de rupture. Sans oublier le storytelling. En deux ans, le fils de l’ex-Premier ministre Pierre Elliott Trudeau s’est érigé en incarnation décomplexée de « l’hypercommunication 2.0« . : « photobombé » à la plage en surfeur torse-nu en arrière-plan d’une photo de mariage, suscitant les passions par le seul fait d’un jean un peu moulant (ou de « fesses bien rebondies« , titrent les tabloïds), serrant un bébé panda dans ses bras au Zoo de Toronto, militant au défilé de la Gay Pride en juillet 2016. Même lorsque Trudeau cause physique quantique, il fait le buzz sur YouTube.
Une maîtrise de la médiatisation que n’a pas à lui envier Emmanuel Macron. A l’aube de la course à la présidentielle, il lui suffit de s’étaler en maillot de bain sur le papier glacé de Paris Match pour « construire un roman national« . Côté plage, son coup d’œil vers un saisonnier nudiste, volé au gré d’une paparazzade à Biarritz, n’est pas sans évoquer les vignettes virales de Trudeau. Si ce n’est qu’aux selfies entre adolescents canadiens, Macron préfère les défis Snapchat des étudiants français. Et au câlin des pandas, le fondateur d’En Marche privilégie l’attrait de bébés cochons tout aussi kawai.
Trudeau, frère siamois ?
L'amitié franco-canadienne a un nouveau visage. @JustinTrudeau, à nous de relever les défis de notre génération ! #G7Taormina pic.twitter.com/8EdQopviov
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) May 26, 2017
« Justin Trudeau est de ces figures qui deviennent charismatiques uniquement parce que des médias complaisants lui attribuent une telle qualité. Il est le fils d’une famille bilingue qui a surtout grandi en anglais, et peine donc à présenter une idée de manière fluide. En fait, sa langue maternelle est celle de la com’. Beau, jeune, il suscite ce je-ne-sais-quoi qui procède de l’esprit des représentations publicitaires » nous explique le philosophe québécois Alain Deneault.
Un « je ne sais quoi » décalqué à travers la médiatisation de la « marque Macron« , homme à gros titres que d’aucun perçoivent en « créature médiatique » voire en « obscur objet du délire médiatique« . Dès la racine pourtant, les chemins des deux politiciens divergent. L’un est le fils d’un ancien Premier ministre vénéré en son pays, qui a conservé le pouvoir de 1968 à 1984. L’autre n’est l’héritier de personne, quand bien même la fachosphère l’affuble volontiers du sobriquet de « bébé Hollande« .
D’un côté, un successeur d' »une très grande intelligence émotionnelle, mais qui n’a pas l’intellect de son père » reconnaît sa biographe Huguette Young. De l’autre, le diplômé de philosophie et disciple du grand penseur Paul Ricœur, revendiquant son statut d’énarque intellectuel. Et alors qu’Emmanuel Macron prône sa « révolution » face au gouvernement Hollande, Justin Trudeau aspire à un changement propre à la culture politique de son pays : tirer un trait sur le conservatisme de l’ère Harper avec en ligne de mire la légalisation de la marijuana, la défense des droits des personnes LGBT, l’accueil des réfugiés syriens et la limitation de la hausse des gaz à effet de serre. Le cas du « French Trudeau » fait moins rêver, de sa blague douteuse sur les kwassa-kwassa comoriens à son programme « tiède » sur les droits LGBT, sans oublier sa politique écologique « à petits pas« , intransigeante sur l’épineuse question du nucléaire.
La stratégie Trudeau
The start of a bromance.
This is the first picture of Canadian Prime Minister Justin Trudeau and French President Emmanuel Macrón together. pic.twitter.com/YzqkT4TyGT
— Aaron Vallely (@Vallmeister) May 26, 2017
Comment expliquer alors ce semblant de bromance ? « Macron a tout à gagner à se rapprocher de Trudeau, il joue sa carte anti-Trump » déclare le spécialiste en communication politique Arnaud Mercier, concédant aux deux dirigeants le même socle idéologique : « tous deux incarnant la défense d’une société ‘ouverte’ – ouverte d’un point de vue commercial, des échanges culturels, du multiculturalisme, face à un Donald Trump antinomique qui représente la victoire de la société fermée« .
Après tout, il y a pire situation que de faire crépiter les flashes en compagnie de « l’homme le plus cool de la planète« . Auteur de L’ambigu Monsieur Macron, Marc Endeweld envisage en cette « trudisation » forcée de l’ancien ministre de l’économie la signature d’Ismaël Emelien, son fidèle conseiller en communication et affaires stratégiques. Entre les deux tours, Emelien avait lancé l’idée d’un voyage outre-Atlantique qui permettrait d’attribuer au marcheur en chef la fonction d' »héritier d’Obama par procuration« , et ainsi de revendiquer son (apparente) opposition avec l’actuel président des Etats-Unis. Se rapprocher de Justin Trudeau découlerait d’une même volonté de « progressisme à peu de frais« .
« Via Trudeau, Macron entend incarner sa vision du ‘progressisme’, prendre le contre-pied de la droite réactionnaire. Donner à la jeunesse et à l’Occident des codes d’image pour se faire valoir auprès de l’opinion publique, face à l’extrême droite, à Poutine et aux peurs qu’engendre le gouvernement russe. Mais s’il se fantasme en Tony Blair ou en libéral souriant façon Justin Trudeau, son positionnement de libéral-conservateur est celui d’Alain Juppé, de la droite libérale à la française »
La modernité parfaite ?
https://twitter.com/soazigdlm/status/868042689375285248
Reste alors à savoir si Justin Trudeau peut être l’atout-choc de l’ancien ministre dans son vaste plan de communication à l’international… Ou un simple coup de storytelling dans l’eau. Qualifié durant la course électorale de candidat « creux comme un tambour« , de « coquille vide » – voire d' »hologramme » par François Bayrou – Emmanuel Macron compte bien redorer son blason en s’affublant du costume du « nouveau winner« , tel que décrit par le docteur en économie Thomas Porcher (Introduction inquiète à la Macron-économie, Les Petits Matins, 2016). « Face au ‘génie maléfique’ Trump, Macron et Trudeau incarnent la ‘modernité parfaite’, celle des nouveaux winners développe-t-il, c’est à dire qu’ils sont très ouverts sur la question des mœurs et de la mixité sociale, et très libéraux en économie ».
Loin de l’embellir, ces oripeaux de frère siamois pourraient très bien mettre à nu les failles de son fameux « projet« , poursuit le professeur :
« Tandis que Trudeau clame son souci de la transition énergétique mais poursuit l’exportation des sables bitumineux, les pétroles les plus pollués au monde, Macron brandit fièrement sur Twitter son « Make our planet great again »… mais défend le gaz de houille lorrain. Tout en nous expliquant, via La Loi Macron, que les normes environnementales sont un frein pour le développement ! »
Et si cette analogie idéale en forme de nirvana politique souffrait d’un trop-plein de poudre de perlimpinpin ?
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