Le refus d’Emmanuel Giboulot d’obtempérer à l’injonction préfectorale d’épandre un pesticide dangereux pour l’environnement sur son vignoble fait beaucoup parler sur internet. Parmi ses soutiens virtuels, on ne trouve cependant pas que des écolos : des sites d’extrême droite se sont glissés dans la cyber-mobilisation.
Les insectes pollinisateurs lui seront redevables. Emmanuel Giboulot, viticulteur bio à Beaune, encoure 6 mois de prison et 30 000 euros d’amende pour avoir refusé de répandre un pesticide dangereux pour l’environnement sur son vignoble. La préfecture avait exigé cette procédure drastique pour lutter contre une maladie de vigne, la flavescence dorée. Le procureur de la République a requis une amende de 1000 euros, pour moitié avec sursis, lors de son procès le 24 février au tribunal de Dijon. Le jugement sera rendu le 7 avril.
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Happé par la toile
En attendant, ce sont les réseaux sociaux qui assurent la pollinisation tous azimuts de sa cause sur internet. Le viticulteur a fait l’objet d’une campagne de soutien massive en très peu de temps sur le cyberespace. Une pétition lancée par l’Institut pour la Protection de la Santé Naturelle (Ipsn), a recueilli plus de 500 000 signatures. La page Facebook de soutien à Emmanuel Giboulot, créée par l’association, rassemble le modique chiffre de 119 000 likes. Une vidéo-témoignage réalisée par l’Ipsn a été recommandée 470 000 fois sur son site, et vue 80 000 fois sur Youtube. Le succès est tel que le site de l’Ipsn a été obligé de fermer, le serveur n’ayant pas résisté. Une page entièrement dédiée au soutien du viticulteur le remplaçait provisoirement, jusqu’au rétablissement du site le 28 février à la mi-journée.
Cette fièvre compassionnelle n’est pas sans rappeler l’engouement qu’avait suscité, dans un autre domaine, le bijoutier de Nice, sur la toile, fin 2013. La manière dont ces deux individus ont été happés à leur insu par une cyber-mobilisation massive les rassemble un tant soit peu, et les soutiens du vigneron constituent un microcosme plus politiquement hétéroclite qu’on ne pourrait le croire. Comment expliquer cette vague d’adhésion virtuelle ?
L’Institut pour la Protection de la Santé Naturelle (Ipsn) est au cœur du phénomène. Cette association méconnue, sans but lucratif, basée à Bruxelles, est présidée par Augustin de Livois, ex-lobbyiste à Fairvalue Corporate & Public Affairs, et ardent défenseur de la médecine naturelle depuis 2011. La priorité de l’association serait d’« obtenir la reconnaissance d’un diplôme d’herboristerie », confiait-il à Bastamag. La situation d’Emmanuel Giboulot a attiré l’attention d’Augustin de Livois, car « le bio fait partie du domaine de la santé », explique-t-il. Le succès de la pétition serait dû au fichier de 400 000 abonnés à la newsletter de l’Ipsn.
Cinquante nuances de vert
On se doute que dans une telle communauté, élargie aux visiteurs extérieurs, via Facebook, et aux relais de l’affaire sur la blogosphère, au moins cinquante nuances de vert cohabitent. Le vigneron a d’abord reçu le soutien de la Confédération des Associations de Protection de l’Environnement et de la Nature (CAPEN), de la Confédération paysanne, d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV) en la personne de la députée européenne Sandrine Bélier, d’apiculteurs et d’agriculteurs bios. Une multitude d’organisations rouge-vertes ont ensuite appelé à un pique-nique de soutien à l’occasion de son procès le 24 février : le NPA, Attac, Cap 21, Ensemble-Front de gauche, EELV, la Confédération Paysanne, Greenpeace et d’autres. Cependant des soutiens plus inattendus se sont glissés dans l’attroupement virtuel. Les sites d’extrême droite identitaires Fortune (le blog économique de Fdesouche) et Novopress se sont saisis du cas Giboulot, en relayant la pétition et les informations sur son procès. Pourquoi cet intérêt inopiné ?
« La mouvance identitaire considère que la société industrielle et la société mondialisée suscitent un mouvement de destruction des cadres naturels. Ils sont par conséquent favorables à une forme d’écologie qui prend sa part dans un intérêt plus vaste pour l’enracinement, explique le politologue spécialiste de l’extrême droite Jean-Yves Camus. Ce sont des adversaires résolus de la mondialisation libérale, et parmi les phénomènes négatifs qu’ils lui associent il y a la croissance d’une société qui ne respecte pas l’écologie et l’environnement ».
Les identitaires reviennent de loin pour se saisir du cas du vigneron. Mais le phénomène de buzz sur internet engendre nécessairement ce genre de rencontres surprenantes, et parfois désagréables.
Buzz incontrôlé
« C’est inhérent à la manière dont fonctionnent les réseaux sociaux, estime Jean-Yves Camus. Quand vous êtes la famille du bijoutier de Nice ou du viticulteur, vous n’avez aucun contrôle sur ce qu’il vous arrive, vous êtes otage de la manière dont fonctionnent les réseaux sociaux. Il suffit que l’on créé à votre insu une page de soutien, pour qu’elle attire immédiatement des gens avec qui vous êtes le plus souvent en complet désaccord idéologique. Mais une fois l’affaire lancée, vous n’avez aucun moyen de la contrôler. Ce pauvre viticulteur n’a certainement rien demandé, pas plus une page de soutien Facebook, que celui de Fdesouche ».
« Je découvre le fonctionnement des réseaux sociaux, que je n’utilise pas, confirme l’intéressé. Je suis désolé que des sites identitaires s’emparent de mon cas. Ce n’est pas ce que je souhaitais, mais apparemment c’est inévitable. Heureusement, ce ne sont que des récupérations marginales ».
Il ne faut en effet pas exagérer l’importance de ce « soutien » venu des racines de l’extrême droite. Liker une page Facebook n’a par ailleurs jamais constitué un acte militant d’un poids significatif, ni synonyme de conviction profonde. « On reste dans le cadre du virtuel, le fait d’aimer une page Facebook n’implique pas que vous diffusiez de manière efficace vos idées sur l’écologie, on est dans le domaine du buzz », conclut Jean-Yves Camus.
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