Si Londres, quadrillé par des forces massives de police, a retrouvé un semblant de calme, la province s’est à nouveau embrasée en Angleterre pour la quatrième nuit d’émeutes. On commence à compter les morts.
L’Angleterre se réveille avec la même stupeur, les mêmes sueurs froides que l’Amérique le 12 septembre 2001 : elle ressent pour la première fois depuis des décennies sa fragilité, la fatigue de ses fondations. Elle découvre, effarée, son sous-monde, celui qu’elle avait balayé sous le tapis depuis des décennies, celui qui, jusqu’à présent, se contentait de s’entretuer, simple ligne de statistiques, dans ses ghettos hermétiques.
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Soudain, l’Angleterre doute d’elle-même, de sa capacité à organiser en toute sûreté des Jeux olympiques, à demeurer un havre touristique, à parler fort sur les tribunes mondiales : quelques voyous l’ont humiliée, ridiculisée, et toute la vaste et attendrissante mobilisation de la population hagarde pour participer à la reconstruction n’y changera rien. Il est trop tard.
Le fiasco d’une nation
Le gouvernement Cameron a beau bomber le torse, autoriser l’utilisation de canons à eau (une première en Angleterre), faire défiler à Londres des masses exorbitantes de policiers, c’est au fiasco d’une nation que l’on assiste en direct.
A l’irresponsabilité, l’arrogance, la cupidité, le mépris et la brutalité de la gouvernance de Cameron et de ses alliés de la City, cette jeunesse anglaise a donc répondu avec ses armes : l’irresponsabilité, l’arrogance, la cupidité, le mépris et la brutalité. C’est effrayant, aveugle, mais révélateur d’un divorce définitif. Pour l’Angleterre, le réveil est brutal : bienvenue au Royaume désuni.
Beaucoup de voix s’interrogent ce matin sur la validité du principe historique de “l’usage minimum de la force”, philosophie de la police anglaise depuis presque deux cent ans. L’une de ces voix est… David Cameron, qui a réclamé aux policiers une réponse plus “robuste”. Ce n’est pas innocent. Ça promet une régression cinglante de ce que fût, de ce qui fît l’Angleterre, sa culture. La confrontation est brutale avec un monde qui a évolué sans lui demander son avis. Beaucoup de ce qui constitue l’Angleterre était basé sur des règles non écrites, respectées : elles vont fatalement devenir des lois. Ce qui relevait du coutumier virera sans doute au liberticide. L’Angleterre s’est tout simplement dissoute dans le monde : elle n’a d’autres choix que de l’entériner. Et de perdre une énorme partie de son âme.
Sur la chaîne de Murdoch, qui n’aime rien de plus que ce chaos pour vendre la peur et la paranoïa, c’est la litanie constante des rétrogrades : tout ceci ne serait pas arrivé sans la téléphonie mobile, particulièrement les Blackberry. Ce sont les mêmes journalistes aux mines graves et affolés qui, il y a quelques mois à peine, s’émerveillaient de la même technologie pendant les révolutions tunisiennes ou égyptiennes.
L’ennui et le désœuvrement aussi explosifs qu’un cocktail Molotov
Le groupe Murdoch, qui a tant à se faire pardonner depuis le scandale des écoutes téléphoniques, aussi bien du côté de ses lecteurs que de ses amis de droite, est devenu une fois encore la voix la plus braillarde de l’ordre et de la répression, encourageant à demi-mot la création de milices d’autodéfense. Ce matin, un des hauts responsables de la police londonienne, interrogés sur ces comités de “vigilantes”, a répondu brutalement : “On ne peut pas laisser faire ce travail à des ivrognes.”
La chaîne, pour qui le sécuritaire est un fond de commerce juteux, attaque sans répit la récente décision du gouvernement Cameron de réduire les budgets et donc les effectifs de la police de 20% : ces émeutes sont une aubaine et Cameron sait que tout doit être revenu à l’ordre avant un embrasement possible le week-end prochain, quand les gangs reviendront sans doute faire leur shopping gratuit – et se frotter à la police, pour le frisson, l’exaspération et la provocation. L’ennui et le désœuvrement sont des composants aussi explosifs qu’un cocktail Molotov.
Londres trop quadrillé, la province a largement pris le relais cette nuit. Cardiff au Pays de Galles, Wolverhampton, Bristol, Nottingham, Gloucester, Liverpool, Birmingham et surtout Manchester ont continué le travail de sape et de rapine. A Manchester particulièrement, les six cent pubs et cafés de la ville avaient fermé dès 16 h, pour se donner le temps de barricader les vitrines. Trop tard dans certains cas. La poste centrale, le centre commercial Arndale, Marks & Spencers ou le vénérable hôtel Britannia : on suit dans la ville une traînée de destruction sans logique, sans but, sans cible autre que le chaos aveugle et le vol à l’étalage. Un millier de jeunes, petite armée dérisoire de gouapes, de caïds et de provos ont suffi à paralyser la deuxième ville du pays. C’est édifiant.
Des témoins parlent d’hystérie collective des émeutiers, ivres de carnage, de vol et de feu. Ils évoquent aussi un choc psychologique sans précédent pour la population. Et pourtant, ce matin, sur Twitter, la population bouleversée tente de garder la tête haute : “Vous avez amoché notre ville, vous ne toucherez pas à notre esprit” y lit-on, comme si l’ennemi venait de l’extérieur. Les volontaires sont déjà dans les rues de Manchester, balais en mains, pour masquer cette nuit de honte pour une ville qui, du hooliganisme enfin éradiqué à la lutte sans merci contre les gangs armés, fait tout pour redorer son image.
Même Liam Gallagher, le chanteur hâbleur d’Oasis, a fait les frais de cette nuit de tumulte. Sa boutique de fringues, Pretty Green, a été totalement pillée. Ce qui en dit long sur les goûts douteux des émeutiers.
JD Beauvallet
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