Si Londres, quadrillé par des forces massives de police, a retrouvé un semblant de calme, la province s’est à nouveau embrasée en Angleterre pour la quatrième nuit d’émeutes. On commence à compter les morts.
(De Brighton) La nuit a été relativement calme à Londres, les émeutes se sont déplacées en province, de plus en plus touchée par des mouvements sporadiques ou organisés – suivant l’implatation des gangs dans les villes : ce sont eux qui mènent désormais le bal.
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Il faut dire que la police était en force à Londres, 16 000 officiers dans les rues, souvent venus de villes soudain un peu dégarnies. Les congés d’été de beaucoup d’entre eux ont été soudainement annulés pour cause d’insurrection : on imagine le plaisir qu’ils auraient eu à passer leurs nerfs sur un gamin encagoulé. Mais, par prudence ou par lassitude, les émeutiers ont évité la confrontation : ils savent très bien que cette démonstration de force de la police ne durera pas, qu’ils n’auront pas toujours contre eux cette formidable armada et attendent sans doute que ces escadrons rentrent chez eux pour reprendre les hostilités et les pillages.
Toujours prompte à rouler des mécaniques et à débiter des slogans pour Sky TV, la version anglaise et bien droitière de Fox TV, la ministre de l’Intérieur Theresa May avait annoncé une nuit sans pitié – et une vague sans précédent d’arrestations. Ces rafles ont effectivement conduit à presque un millier d’arrestations, les prisons sont saturées, mais il n’y aurait pour l’instant qu’une poignée de condamnations.
Yahoo, en adjoint docile de police, diffuse les photos de suspects recherchés, chopées sur caméra de surveillance. Des internautes ont créé la page Facebook “Catch a looter”, où l’on peut dénoncer et afficher les images d’éventuels fauteurs de troubles, tagués sur les réseaux sociaux. Les théories de complot y fleurissent ici et là. L’habeas corpus résiste décidément très mal à la panique.
Les politiques, après avoir supervisé de très loin la situation pendant tout le week-end (le Premier ministre traînait des espadrilles pour rentrer d’Italie), sont finalement revenus au bureau. Les députés, en vacances, vont se réunir jeudi pour une session extraordinaire liée à ces émeutes – ce n’était encore jamais arrivé pour une crise domestique. On a même retrouvé Boris Johnson, le maire pataud de Londres : un balai à la main. A peine rentré, il tente déjà de récupérer, sous les huées, un mouvement de solidarité généré par les réseaux sociaux, visant à effacer au plus vite les traces et dégâts des émeutes.
http://youtu.be/aLvyPNo0PM4
Balais, pelles et bonne volonté en main, ce sont par centaines que des citoyens se sont ainsi mobilisés en une croisade des braves gens, soudés à l’anglaise contre l’adversité – stiff upper lip for ever ! Cameron peut se réjouir : cette notion de solidarité et d’altruisme était au cœur même de son projet de Big Society.
Premières victimes
Mardi soir, pourtant, c’était un peu chacun pour soi, avant une soirée que les médias catastrophistes annonçaient comme la plus sanglante à Londres depuis le Blitz. Panique dans les bureaux : même dans des petites villes provinciales, comme Crawley par exemple, où l’on a plus souvent bu un cocktail à parasol en papier rose que vu un cocktail Molotov, les entreprises ont fermé tôt afin de permettre aux employés de rentrer sains et saufs. On a même fermé la rue commerçante, supervisée par un hélicoptère une grande partie de la nuit. Partout, des événements, des concerts à un match de foot entre l’Angleterre et la Hollande, ont été annulés.
Il faut dire que les émeutes ont fait leurs premières victimes : un retraité foudroyé d’une crise cardiaque alors qu’il tentait de faire la police et un jeune homme retrouvé mort par balle dans une voiture à Croydon, une sinistre cité dortoir déguisée en ville pimpante. Plus tard dans la nuit, pendant des échauffourées, trois piétons seront tués par une voiture à Birmingham.
Partout, les commentateurs, se souvenant de l’enlisement, la contagion et la dureté des émeutes de 1981 à travers le pays, affirment avec aplomb que la situation n’est pas la même, que les deux soulèvements ne sont heureusement pas comparables. On est d’accord, ce n’est pas comparable : c’est bien pire encore. Car là où, en 1981, les revendications étaient claires, les solutions négociables, il n’y a aucun interlocuteur, aucun leader, aucun fond de pensée dans les émeutes de 2011. N’ayant rien, ni visibilité, ni représentation, ni futur, ni présent, ces guérilleros n’ont rien à perdre : ce qui frappe est leur jeunesse, âge supposé d’espoir.
Une population hébétée, trahie, délaissée
“Qu’est-ce que tu fais pour les vacances ?” A cette question existentielle autrefois posée par David & Jonathan, ils ont répondu : pour leurs vacances d’été (la plupart des émeutiers semblent en âge scolaire), ils ont choisi un stage destruction, anarchie et guérilla. “Rebel Without a Cause” était le titre original de La Fureur de Vivre, le film avec James Dean : il leur va comme un gant. C’est confus, violent, absurde, désespéré : c’est la révolution des adolescents, des laissés pour compte, des laissés pour morts.
Ces émeutes sont un événement majeur, de ceux qui définissent une nation. On ne le mesure sans doute pas encore assez, mais c’est un jalon dans l’histoire récente de l’Angleterre : la soudaine réalisation d’un fin, d’une mort. Si les dégâts matériels sont importants, c’est surtout le choc psychologique qui, en Angleterre, est immense. La population est hébétée, elle se sent trahie, délaissée : on lui avait promis sécurité et grandeur ; elle découvre son incroyable vulnérabilité. Quelques centaines de casseurs sans autre religion que la flambe, le machisme et le matérialisme ont réussi à mettre le pays à genoux.
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