Alors que la police et les politiques espéraient l’enlisement des révoltes en Angleterre, le mouvement a gagné encore en ampleur dans la nuit de lundi à mardi, touchant désormais plusieurs quartiers de Londres et la province.
(De Brighton) La police n’avait jamais attendu la pluie avec autant d’impatience: elle n’est jamais venue, lundi soir, calmer les ardeurs des “manifestants” et éteindre incendies et cocktails Molotov.
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A Londres, les grandes soldes d’été ont continué: tout était gratuit. Jamais les mots “émeutes” et “emplettes” n’ont été si proches. A tel point que ce matin, on voyait dans la presse des images cocasses, comme celles de jeunes hommes encagoulées parlant chiffon, comparant les tailles de jeans, devant une grande surface de vêtements qu’ils venaient d’éventrer à la hache.
Partout, après une troisième nuit d’émeutes, les mêmes images de magasins pillés puis incendiés, de (rares) policiers ensanglantés. A Londres, hier soir, la tension de la population était palpable, chaque regroupement de quelques hoodies, ces jeunes aux capuches soigneusement rabattues pour narguer les caméras de surveillance, regardé avec une terreur nouvelle, irrationnelle. L’odeur était âcre : il y avait tant de foyers dans la capitale, tant de plastique cramé que ça couvrait ici et là les odeurs de graillon.
Pour l’instant, malgré quelques tentatives de déplacer les pillages vers les quartiers plus riches (le centre névralgique du commerce de masse d’Oxford Street ou l’opulent centre commercial de Westfield), les émeutiers sont restés principalement dans leurs propres quartiers. Si on en croit les témoignages de commerçants, Londres ressemble ce matin par endroit à une ville assiégée, prête à recevoir des meutes de hooligans d’une autre époque : rideaux de fer prêts à être descendus en quelques secondes, vigiles recrutés à la hâte, barrières métalliques.
L’exaspération de la jeunesse anglaise
En trois jours de chaos, plus personne ne se souvient vraiment des raisons de cette explosion de rage: on ne parle déjà plus de Mark Duggan, le jeune gangster de la cité terrible de Broadwater Farm abattu par la police jeudi dernier. Il a juste été l’étincelle qui a démarré le grand incendie : tout autre prétexte aurait suffi, tant est palpable depuis des mois l’exaspération de la jeunesse anglaise, farouchement négligée (éducation, emploi…) depuis l’arrivée des Conservateurs au pouvoir et salement touchée par une récession sélective.
Car à Londres, en quelques rues, on passe de la pauvreté affolante des quartiers de Tottenham – où ont démarré samedi les émeutes – à l’opulence décontractée de quartiers où, crise ou pas, c’est business as usual. Et business de luxe. Pour l’instant épargnés par les émeutes.
Dans le quotidien The Independent, un texte trop court du professeur de psychologie Clifford Stott revient sur cette étonnante faculté des émeutiers à détruire leur propre quartier, leurs propres infrastructures, en un rejet désespéré de leur propre vie. Si quelques bijouteries ont été attaqués, ce sont principalement, cibles dérisoires de rapine, des McDonalds ou des magasins de vêtements de sport qui ont été pillés.
Parmi les autres victime de ces attaques en règle, on compte aussi beaucoup de magasins comme Currys, équivalent anglais de Darty : ce sont les téléviseurs, les ordinateurs et surtout les téléphones qui étaient visés. Car la téléphonie est au cœur même de ces mouvements de foule imprévisibles d’un point à un autre, en des genres de flash-mobs rebaptisés flash-robs (cambriolages express).
Partout la même technique : à l’abri de la surveillance de la police (le système est crypté, contrairement à Twitter ou Facebook), les gangs communiquent en temps réel sur Blackberry Messenger. A presque 40% le téléphone de prédilection des jeunes anglais, le Blackberry est ainsi devenu l’outil de travail des émeutiers, à tel point que la police anglaise est en négociation d’urgence avec son fabriquant, le Canadien Research In Motion, pour une collaboration.
L’omniprésence des caméras sur les lieux d’attaque est d’ailleurs à l’origine de dizaines d’arrestations : des émeutiers fanfarons ont posté sur leur Facebook des photos d’eux triomphants, prises en main, dans des magasins ciblés.
L’appât du gain
Car loin de toute considération politique ou même sociale, l’appât du gain est désormais la principale motivation de ces bandes ou gangs, nettement plus proches du hooliganisme que de l’activisme. Déjà, la police lançait hier aux familles un glaçant rappel à l’ordre: gardez vos enfants chez vous, ne les laissez pas rejoindre le mouvement (The Sun avait hier fait ses choux gras de l’arrestation d’un enfant de 7 ans).
Ça ressemble aux prémisses d’une loi martiale. Twitter est aussi une source d’information précieuse pour la presse, en direct des quartiers en ébullition. Souvent, dans les commentaire d’habitants assistant éberlués à de véritables pillages en masse, revient l’expression “zone de guerre”.
La police semble impuissante à contrôler à la fois tant de foyers d’insurrection. Elle est dépassée par la technologie et la préparation rigoureuse, en commando, de ces razzias : un riverain d’un centre commercial pillé a évoqué sur Twitter ce qui ressemblait à “une invasion soudaine de fourmis”.
A chaque fois la même histoire : le staff se réfugie dans une arrière-salle et abandonne les lieux à des dizaines d’émeutiers. Si la police est montrée du doigt pour avoir laissé la situation pourrir samedi soir, ce sont surtout les gouvernants qui ont honteusement fui leurs responsabilités.
Le Premier ministre Cameron n’est rentré que cette nuit, en reculant, de sa retraite toscane et on cherche encore le fantasque, crâneur et gaffeur en série Boris Johnson, maire de Londres. Leur vision commune d’une “Big Society”, argument publicitaire de la campagne électorale de la droite, vole déjà en éclat après à peine plus d’un an d’exercice du pouvoir.
Ils avaient rêvé d’une société “solidaire”, les voilà servis: la jeunesse sert les coudes et leur échappe totalement. Ils avaient rêvé d’une société en partie basée sur le bénévolat: la jeunesse invente un nouveau système de distribution des richesses, avec des boutiques gratuites. Ils avaient rêvé d’une société où la sécurité des quartiers serait assurée par la population: la jeunesse les a pris au mot, en repoussant la police hors de ses murs.
C’est un échec effroyable pour Cameron, qui a joué le cador en parlant dur et en agissant mou, abandonnant sa population au chaos. Car le mouvement a pris, en un effet de contagion prévisible, de l’ampleur dans les dernières heures, touchant d’autres quartiers de Londres, mais aussi Sheffield, Birmingham ou Liverpool – étrange sentiment de déjà vu, quand on se souvient que ces mêmes villes s’étaient embrasées en 1981.
Conséquences directes pour la population, les transports en commun londoniens sont déjà affectés, avec la fermeture de plusieurs gares dans les quartiers chauds. Par prudence, beaucoup de magasins ont également tiré le rideau de fer.
Le match de football entre l’Angleterre et la Hollande, prévu mercredi soir à Wembley, a été annulé, tout comme celui de ce soir entre West Ham et Aldershot. Les fans de musique ne sont pas épargnés par cette guérilla: le vaste entrepôt d’Enfield où étaient stockés les CD’s de labels comme Sony, Domino, XL, Bella Union, Kitsuné ou Pias ont brûlé cette nuit. Une façon violente de pousser la musique un peu plus encore vers la dématérialisation.
JD Beauvallet
Modifié le 9/8/2011 à 13h10 après l’annulation du match Angleterre – Hollande.
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