Cour politique…ou cour de récré ? Web-série orchestrée par deux sales gosses, « Elysée-Moi ! » nous dévoile les coulisses de la course à la présidentielle. Un « Message à caractère informatif » pour la génération « Brut ».
La nuit s’abat sur Paris. Au croisement d’un feu, Manuel Valls, naturellement nerveux, s’apprête à entrer dans son véhicule. Nous scrutons de loin l’ex-Premier ministre, mais ses paroles sont limpides. “Après la farine, un lycéen qui me met un taquet, c’est quoi la prochaine étape, je me fais séquestrer par la CGT ?”
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Ce qui pourrait passer pour une caméra cachée intrusive – et un fiasco en devenir – n’est en fait qu’un pastiche. Ce genre de perles plus vraies que nature, Elysée-Moi ! en regorge. Depuis début septembre, soixante-dix secondes bien tassées suffisent pour tailler des costards aux médiatisés les plus cravatés. Un bric à brac satirique qui aurait tout à fait sa place dans Le Petit Journal.
Manuel Valls dans une usine de casseroles
Ils sont deux. Ils s’appellent Nicolas et Clément. Mais ils pourraient s’appeler Nicolas et Bruno, tant leur programme court hérite du Message à caractère informatif de ces derniers. Si le topo est le même (agrémenter des images d’archives de doublages potaches), les cibles débordent du cadre de l’entreprise : elles ont pour nom François Hollande, Manuel Valls, Bruno Le Maire, Emmanuel Macron… tous épinglés en file indienne par notre duo de reporters d’images, qui, entre leurs coutumiers « tafs sérieux » pour une chaîne nationale (laquelle ? mystère), s’évadent dans leurs absurdités.
« Dans notre rédac’, on regardait toujours les chaines d’info en continu, sans le son. On a vite pris l’habitude de raconter des conneries par-dessus, de faire des petits doublages. Elysée Moi est né dans une newsroom » se remémorent les intéressés. La suite s’écrira sur Twitter et Facebook, au gré de vidéos incisives comme Brut.
Avertissement: ceci n’est pas une imitation. Elysée Moi délaisse les contrefaçons de Nicolas Canteloup et Didier Gustin. Pas de Sarko Show à la mimesis bien rodée, mais un art du doublage rudimentaire qui évoque le Rock’n’roll Circus de Kad et Olivier. Peu importe la ressemblance, du moment que le temps de moquerie est équitablement réparti. Au fil de ces images récupérées, le leader d’En marche ! conduit un char au Puy du Fou et Manuel Valls s’aventure dans une usine du casseroles (ça ne s’invente pas), tandis que Myriam El Khomri rêve de savourer « un gros plateau de fruits de mer« , au grand dam de Bertrand Cazeneuve.
Bref, un brouhaha récréatif pour nos deux journalistes – le “off » burlesque d’une routine professionnelle. Il faut dire que Nicolas et Clément pistaient déjà les politiciens caméra en pogne du temps du « casse-toi pauvre con » de Sarkozy. Dix ans de terrain pour ces trentenaires qui aiment gratter le vernis d’un monde trop fantasmé :
» Au cours des visites, on a vu passer tous les gouvernements, la droite, la gauche. Les politiciens, on les côtoie depuis des années. Notre série représente ce quotidien, ces mecs qui se racontent des trucs sur les bancs de l’Assemblée nationale, au détour d’un voyage de presse, les interactions, les déplacements en usine, avec des charlottes, des casques de chantier et du chocolat. En fait, les politiciens ne sont jamais plus expressifs que lors de leurs déambulations. Elysée moi, c’est de la politique à coups de tickets restos, de badges de cantoche, de machines à café. Ce sont des cadres de la COGIP, les politiciens ! »
Un mini-feuilleton franchouillard
L’unique « série parodique de la campagne présidentielle de 2017 » s’est ouverte en octobre sur une bafouille prophétique de François Hollande – “Ma réélection cette année, je crois que c’est pas gagné gagné… c’est pas dit que je sois là à la rentrée.” De rentrée (des classes), il sera souvent question, tant la série s’imbibe d’un humour bon enfant, entre la carte de cantoche confisquée de Jean-François Copé (lose des 0,3 % oblige), les moments de solitude d’un socialiste (un Hamon anonyme qu’on appelle « le nouvel intérimaire » ou « monsieur Peillon »), l’après-porte de Versailles d’Emmanuel Macron (« vous voulez des Ricolas ? ») et les talents d’économiste d’un François Fillon embourbé dans son Penelopegate (« le jeune de 16 ans qui entre dans la vie active touche 80 % du smic, c’est-à-dire 5 000 euros « ). Comme si derrière l’étoffe et le scandale, l’univers politique n’était autre qu’un mini-feuilleton franchouillard.
Mais un feuilleton, ça ne s’improvise pas. Chaque épisode d’Elysée Moi nécessite une longue veille – une quête d’images web et télévisuelles à laquelle s’ajoute la méticulosité du « labial » : faire en sorte que les répliques épousent les mouvements des lèvres et la durée des images, raccourcir les vannes en trois mots (la punchline est concise), et, cerise sur le gâteau, recréer l’ambiance, « des bruits sourds de tasse sur table de Manuel Valls (« poc » ) aux bruissements de crayon d’Arnaud Montebourg« .
Le grand challenge ? Doubler Droopy Fillon. « C’est l’enfer. Il se traîne en permanence une violence paralysie faciale, ses lèvres bougent très peu. Il dit trois mots à chaque fois, il ne l’ouvre jamais beaucoup« . On le devine, rien d’aisé à détourner le roi des détournements…
Et comme toute série qui se respecte, Elysée Moi fait le deuil d’une flopée de ses protagonistes. François Hollande, Alain Juppé et Manuel Valls sont désormais tous out – ne reste plus qu’à connaître le sort du candidat à la primaire de la droite. En attendant le finale (début mai), il convient de s’occuper des derniers entrants, Marine Le Pen en priorité, faire des choix (« les images de Penelope Fillon qui pleure, c’est pas pour nous« ) et se jeter sur l’actu chaude (« l‘hologramme de Mélenchon, je sens qu’on va bien se régaler !« ) sans pour autant renier sa ligne éditoriale : “Jamais d’insultes ni de calomnies, une certaine bienveillance, on ne dénonce pas des scandales d’Etat – pour ça, il y a Mediapart.”
Avec Elysée Moi, si le grain anarcho-gamin des blagues traduit le grand bazar généralisé de 2017 – du politicien sans programme aux beaux espoirs déchus – et témoigne d’un mood zen façon mieux-vaut-en-rire-qu’en-pleurer, son caractère trivial nous offre surtout de rares moments d’intimité avec la cour politique. En imaginant ses coulisses (et sa cantine), nous retrouvons peut être cette proximité que l’on pensait morte à jamais. Profitons-en, la galéjade risque d’être moins sonore dans quelques mois…
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