Journaliste, écrivain, résistante, first lady marseillaise: après avoir connu plusieurs vies, Edmonde Charles-Roux s’est éteinte mercredi à l’âge de 95 ans.
Edmonde Charles-Roux qui est décédée mercredi à Marseille à l’âge de 95 ans, était à coup sûr plus un personnage qu’une personne qu’on ne saurait résumer à sa seule activité d’écrivaine ou de journaliste. Ecrivaine, elle l’était pourtant, notamment quand en 1966, elle décroche le Goncourt pour son premier roman, Oublier Palerme, récit en partie autobiographique sur son enfance en Sicile. Suivirent quelques livres sympathiques et surtout une très belle biographie d’Isabelle Eberhardt, aventurière et narratrice de grande classe à laquelle pour partie elle s’identifiait dans le registre des femmes extrêmes.
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Talent scout hors pair
Journaliste, par le fait extrême, Charles-Roux ne l’était pas moins, et ô combien ! Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale où elle se distingua pour hauts faits de Résistance dans sa Provence natale, elle intègre la rédaction du tout nouvel hebdomadaire Elle, avant de rejoindre en 1950 l’édition française du magazine Vogue dont elle devient très vite rédactrice en chef. Talent scout hors pair, elle y fait travailler aussi bien les photographes Richard Avedon et William Klein que les écrivains Alain Robbe-Grillet et Violette Leduc. Vogue devient alors le laboratoire de la mode en mouvement (de Saint Laurent à Courrèges). En 1966 son dernier coup d’éclat lui coûtera son titre de papesse du style : elle est « remerciée » pour avoir voulu mettre la photo d’une femme noire à la une de Vogue.
C’est lors d’un séance de dédicace à Marseille, qu’elle va rencontrer et très vite épouser celui qui va la propulser dans la vie politique des années 70-80 : Gaston Deferre, alors tout-puissant moghul de la cité phocéenne. Mais Edmonde Charles-Roux n’était pas du genre à se contenter d’un strapontin, fût-il celui de First Lady marseillaise. Aux côtés du « cher Gaston », elle œuvre, entre autres, au décollage culturel de la ville. Ces détracteurs parlèrent d’un gouvernement fantôme de Marseille, hésitant entre « impératrice douairière » et « courtisane royale« , voire « Immonde Charles-Roux », autant de qualificatifs vipérins qui avaient l’heur de faire sourire « l’intrigante » Edmonde.
Une nouvelle madame de Staël
Pour bien mesurer l’aura et la puissance de cette « sacrée bonne femme », il suffisait de la rencontrer, délice mondain qui me fut offert à deux reprises. Une première fois en 1986 pour l’ouverture à Paris du musée de la Mode et du Textile, dédié aux arts de la couture et de la haute couture, dont elle fut une des marraines, sollicitée par Jack Lang ( « un cher ami« , résumait-t-elle).
Dans son appartement parisien du quartier de l’Odéon, elle recevait comme une nouvelle madame de Staël, multipliant les anecdotes biographiques, souvent hilarantes et parfois cruelles, qui apparemment n’avaient rien à voir avec le sujet de la mode et de son histoire mais qui sans cesse y ramenaient, tant son élégance, morale aussi bien que vestimentaire (en Chanel for ever) irradiaient.
La deuxième entrevue, orchestrée par Christian Lacroix lors des Rencontres photographiques d’Arles de 2008 dont il était le commissaire général, eut lieu lors d’un déjeuner dans un restaurant de Camargue. Edmonde Charles-Roux était très en retard mais il fallut bientôt mettre ce manquement sur le compte d’une épatante mise en scène.
Lorsqu’elle apparut enfin, les quelques convives se levèrent d’un bond et l’adorable Christian Lacroix la guida jusqu’à la place d’honneur comme on conduit une vieille et belle princesse de Dolce Vita au banquet de l’amitié et de l’intelligence. Le corps faiblissait mais toute la tête était là et l’humour aussi. Au moment du café qu’elle réclama très serré, elle faillit confondre le sucre et le sel. D’une main posée discrètement sur son bras, je lui signifiais son erreur. Edmonde Charles-Roux me dit alors mezzo voce: « Je vous remercie, jeune homme, vous m’avez évité l’horreur d’être ridicule.”
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