L’élection législative britannique s’est soldée par une large victoire des conservateurs. David Cameron a été réélu pour cinq ans et pourra gouverner sans coalition. Pour expliquer les leçons de ce scrutin, nous avons interrogé Philippe Marlière, professeur de science politique à l’University College London, auteur de « La Social-démocratie domestiquée. La voie blairiste » (Éd. Aden).
Contre tous les pronostics, les conservateurs ont gagné l’élection législative. David Cameron devient ainsi le premier chef de gouvernement britannique à gagner des sièges depuis Margaret Thatcher en 1983. Comment expliquez-vous cette victoire ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Philippe Marlière – On pouvait prévoir une victoire des conservateurs en terme de nombre de sièges, mais personne n’avait prévu qu’ils remporteraient une majorité absolue – même si elle est assez courte, entre huit et dix sièges. Cela permet à David Cameron de gouverner seul, sans l’appoint des libéraux-démocrates qui ont été complètement laminés.
Les conservateurs ont réussi à faire le plein de voix là où ils sont traditionnellement forts, dans le centre et dans le sud-est du pays. D’autre part, dans certaines circonscriptions où il y avait des duels entre travaillistes et conservateurs, et où le Parti travailliste espérait gagner des sièges, les Tories ont aussi gagné. Pire encore, dans certaines circonscriptions où les travaillistes avaient un député sortant, il a perdu. Au-delà de faire le plein des voix dans leurs bastions, les conservateurs ont donc gagné des sièges. La défaite la plus symbolique d’un travailliste sortant est celle d’Ed Balls, en charge de l’économie et des finances dans le shadow cabinet.
Pourquoi le Parti travailliste n’a-t-il pas réussi à mobiliser son électorat ?
Les travaillistes n’ont clairement pas réussi à mobiliser leur électorat. Etant donné que le score allait être serré, on pensait que le taux de participation serait très élevé, mais finalement il ne sera pas au-dessus de 70%. Il y a eu une abstention importante, et elle se trouve notamment dans l’électorat travailliste.
Le Labour a perdu un certain nombre de voix populaires, ouvrières, qui se sont reportées sur l’UKIP (parti populiste et eurosceptique, ndlr). En dépit d’une campagne mitigée, l’UKIP a remporté 13% des voix, ce qui en fait le troisième parti britannique en nombre de voix. Même s’il n’a qu’un ou deux élus, c’est un parti qui commence à s’implanter dans le nord du pays, et qui prend des voix dans l’électorat travailliste.
L’un des faits marquants de cette élection est l’émergence et le renforcement du parti nationaliste écossais, le SNP. Quelle pourrait être son influence désormais ?
Le SNP fait nationalement 5% des voix, mais il a remporté 56 sièges sur 59 en Ecosse. Cela témoigne de l’importance dans le système électoral britannique d’être localement très fort pour arriver en tête, car il n’y a qu’un vote.
Cependant, tant que Cameron pourra gouverner seul et ainsi intensifier ses politiques d’austérité, le SNP n’aura aucun pouvoir de faire quoi que ce soit à Westminster. Cela pourrait changer lors de la campagne sur l’avenir de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne. David Cameron a promis un référendum à ce sujet. Si le Oui l’emporte, cela remettra sur le tapis la question de l’Indépendance de l’Ecosse, car le SNP est fermement opposé à une sortie de l’UE. Son objectif majeur est de sortir du Royaume-Uni.
Quoi qu’il arrive, on se dirige vers une situation nouvelle, qui sera marquée par davantage de fédéralisme et de décentralisation. Les cartes électorales anglaise et écossaises ne sont pas compatibles. L’Angleterre est à droite et l’Ecosse est social-démocrate.
Quelles conclusions peut-on tirer de la défaite spectaculaire des travaillistes pour la gauche européenne ?
Ed Miliband a été diabolisé par la presse Tory, qui compose 70% de la presse britannique, parce qu’il était soi-disant trop à gauche. En réalité son problème a été de vouloir faire des compromis avec tout le monde dans son parti. Il n’a pas été blairiste, mais il n’a pas complètement rompu avec le blairisme. Son programme était un programme de compromis, qui ne préconisait pas une austérité brutale comme les conservateur, mais une austérité à petite dose.
La conclusion que l’on peut en tirer pour la social-démocratie européenne c’est qu’une social-démocratie qui essaye d’être gestionnaire, de donner un visage un peu plus humain au capitalisme financier, échoue. Son message est dilué, invisible, et démobilise l’électorat. Cela permet à un électorat conservateur, qui sait pourquoi il vote, de se mobiliser, et de gagner.
Propos recueillis par Mathieu Dejean
La Social-démocratie domestiquée, La voie blairiste, de Philippe Marlière, éd. Aden, 2008
{"type":"Banniere-Basse"}