Dans une vidéo diffusée ce vendredi 17 décembre, l’ancienne garde des sceaux a assuré “envisager d’être candidate” à la présidentielle.
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Cette semaine encore, dans le creux d’une nuit, je lisais avec un vrai plaisir l’entretien croisé de Christiane Taubira et Alice Diop (réalisatrice de films documentaires, dont Nous (2020), dans la revue féministe La Déferlante. Un vrai plaisir car Christiane Taubira est une intellectuelle précise, emballée et inspirante. Quelqu’une de sage et d’humaine, que l’on sent sincère, ne prenant jamais personne de haut, mais ayant le courage d’affirmer ses réflexions, ses opinions, ses visions.
Aujourd’hui, voici que point le début d’une éclaircie dans le ciel obstinément gris : Christiane Taubira pourrait se présenter à l’élection présidentielle. Elle nous en dira plus en janvier. Enfin, il y aurait une candidate pour qui voter avec empressement, volonté et enthousiasme. Dingue !
Taubira est la candidate de l’humanité. Comprendre : une femme politique qui défend les opprimé·es, les minorités politiques, les “malheureux” pour reprendre une citation de Saint-Just que l’on trouve dans son dernier ouvrage Nous habitons la terre : “Les malheureux sont les puissances de la terre et ils ont le droit de parler en maîtres aux gouvernements qui les négligent.” Rappelons notamment son combat pour l’adoption de la loi autorisant le mariage aux couples homosexuels, qui ne fut pas sans peine… Rappelons aussi la conclusion de son discours à l’Assemblée nationale en 2018 : “Oui, c’est bien ce mariage que nous ouvrons aux couples de même sexe. Parce que, que l’on nous explique pourquoi deux personnes qui se sont rencontrées, qui se sont aimées, qui ont vieilli ensemble devraient consentir à la précarité par une fragilité, voire une injustice, du seul fait que la loi ne leur reconnaît pas les mêmes droits qu’à un autre couple aussi stable qui a choisi de construire sa vie. Alors disons les choses, qu’est-ce que le mariage homosexuel va enlever aux couples hétérosexuels? Rien.”
“La littérature me construit”
Taubira affectionne les citations. Car Taubira lit, beaucoup, de nuit, depuis ses 7 ou 8 ans. Et Taubira ne lit pas que des auteurs masculins blancs hétérosexuels. Non, Taubira cite aussi Édouard Glissant, Toni Morrison, Chimamanda Ngozi Adichie ou encore Sindiwe Magona. “La littérature me construit, me console, m’inquiète, me met en vigilance, me nourrit. Elle a participé de ma construction. Il y a des livres qui ont contribué très précisément à mon éveil politique, à mon éveil culturel, à mon éveil poétique”, expliquait-elle au Club lecture de Konbini en octobre dernier. Taubira a l’intelligence de ne pas opposer raison et poésie, de ne pas considérer qu’il faille abandonner la fiction pour comprendre les soubresauts du réel, qu’il faille troquer sa sensibilité pour une armure de cynisme. Taubira se nourrit pour mieux chahuter ses propres repères, préjugés et constructions. L’ancienne garde des sceaux avance et nous invite à en faire de même. Le mouvement, n’est-ce pas la vie ?
En mai 2020, elle tient des propos très forts sur le plateau de 28 minutes sur Arte au sujet de la culture : “Pour moi, c’est ça la fin du monde, quand il n’y a plus de concerts, plus de cinémas, plus de théâtres, plus de cirques, que les librairies sont fermées. C’est une fin du monde provisoire heureusement, mais il faut faire en sorte que les choses ne s’ancrent pas, parce que c’est justement la culture qui irrigue nos humeurs individuelles et nos humeurs collectives. C’est elle qui nous ancre dans le commun. C’est elle qui nous permet de penser l’existence et la présence des autres. C’est elle qui peut convoquer nos ressources, mobiliser nos énergies afin que nous soyons capables de rebondir, d’affronter, d’apporter des réponses à cette expérience collective extrêmement déstabilisante. La culture est essentielle. (…) Il faut faire en sorte que la culture occupe sa place car c’est elle qui va nous permettre d’enclencher les dynamiques qui nous amèneront à inventer de nouvelles façons de vivre, de nouveaux modes de vie, de nouvelles créations. C’est vraiment la culture qui va nous donner de l’assurance.” Comment ne pas acquiescer ? Dans une interview aux Inrocks en 2016 à l’occasion de la parution du beau Murmures à la jeunesse, elle assurait déjà : “Si je n’étais pas constamment nourrie de la créativité des autres, de la beauté du monde, de la poésie, je n’aurais pas cette envie de me battre.”
“Les inégalités sont insupportables”
Ce qu’il y a d’agréable, aussi, avec Christiane Taubira c’est que la culture est synonyme de pluralité. Il n’y a pas une culture, mais des cultures (contrairement à ce que semble penser Valérie Pécresse pour qui être français c’est, rappelons-le : manger du foie gras, avoir un sapin de Noël, élire Miss France et mater le Tour de France). Quand Les Inrocks lui demandait en 2016 si la priorité du combat pour l’égalité serait de “ramener les jeunes de banlieue dans la société”, Taubira répondait : “Je ne sais pas ce qu’est un jeune de banlieue. J’estime qu’il n’y a que des jeunes Français dans ce pays. Tout jeune Français, où qu’il vive, où qu’il naisse, doit sentir qu’il est un jeune Français. Et c’est bien la blessure de ce pays. Pourquoi existe-t-il autant de fractures au sein d’une même génération ? C’est cela notre grand échec. Il faut assurer davantage de mobilité sociale, territoriale, créer de la mixité, de la rencontre, assurer l’égalité d’accès au savoir, à toutes les opportunités. Mais pour combattre les inégalités, il faut déjà assumer qu’elles existent et les formuler. On ne les combat pas pour empêcher les gens de se révolter mais parce qu’on ne conçoit pas la vie ainsi. Le progrès doit permettre à chacun de réaliser son potentiel. Les inégalités sont insupportables parce qu’on ne peut s’accommoder de l’idée qu’un enfant qui pourrait être Nelson Mandela, Albert Einstein ou Marie Curie s’arrête en chemin juste parce qu’il est né à cet endroit-là. On ne peut dormir paisiblement en sachant cela.”
Christiane Taubira représente un espoir pour une gauche qui semble plus que jamais effritée, indécise, voire perdue ; et pour la culture qui devrait – tout comme l’éducation, la santé et le combat pour l’égalité – se retrouver au cœur de nos préoccupations et de notre société. Elle conclut son entretien avec Alice Diop ainsi : “Ils peuvent hurler ceux qui sont morts de trouille et qui craignent ‘le grand remplacement’ : s’ils doivent être remplacés, ils seront remplacés. Ces capons n’ont ni l’intelligence ni la sensibilité pour comprendre le monde dans lequel ils vivent.” Un monde où l’engagement est plus que jamais d’actualité : féministe, pro-Black Lives Matter, écologiste… Bref humaniste.
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