Les Etats-Unis se trouvent à nouveau à la croisée des chemins, et le monde avec eux. Dans moins d’une semaine, le mardi 3 novembre, se tiendra l’élection présidentielle “la plus importante de l’histoire américaine moderne”, selon Bernie Sanders.
Dans moins d’une semaine, l’on saura peut-être qui, de Donald Trump ou de Joe Biden, occupera le bureau Ovale le 20 janvier 2021, date de début du mandat après la traditionnelle période de transition. Peut-être, mais pas forcément : avec l’afflux exceptionnel de votes par correspondance, les risques de fraude et la profusion de contestations juridiques qu’une loi électorale archaïque laisse présager, il est possible qu’il faille attendre des jours, voire des semaines, voire deux mois et demi, pour connaître le nom du prochain président des Etats-Unis.
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Cette hypothèse d’incertitude extrême, dont les plus pessimistes, mais pas les moins nombreux·euses des commentateur·trices, craignent qu’elle conduise à une seconde guerre civile (ou du moins à une forte agitation), est quasi inédite dans l’histoire du pays. Seul élément de comparaison : l’élection contestée de 1876, qui s’était résolue par un compromis rétablissant de facto la ségrégation raciale dans le Sud – décidément, par quelque bout qu’on prenne l’histoire américaine, on retombe toujours sur cette sinistre réalité.
Ce ne sont malheureusement pas les sondages au beau fixe du candidat démocrate qui auront le pouvoir de nous rassurer. Car le spectre de 2016, et son abyssale erreur sondagière, plane sur 2020
Et ce ne sont malheureusement pas les sondages au beau fixe du candidat démocrate (à l’heure où nous écrivons ces lignes : presque dix points d’avance nationalement, et une projection de 280 à 357 grand·es électeur·trices quand la majorité est à 270) qui auront le pouvoir de nous rassurer. Car le spectre de 2016, et son abyssale erreur sondagière, plane sur 2020 (bien que Biden soit comparativement mieux placé qu’Hillary Clinton)… Et l’incroyable come-back de Trump depuis sa guérison express du Covid, galvanisant ses troupes comme jamais, laisse à penser que rien n’est joué.
Alors que tout devrait l’être. C’est inouï : comment, après tous ces scandales, ces mensonges, cette corruption, le quarante-cinquième Président peut-il encore être compétitif ? Comme le rappelle Gloria Steinem dans l’entretien qu’elle nous a accordé, sa popularité n’a certes jamais dépassé les quelque 40 %. Mais cela paraît déjà énorme. Plus encore que sous George W. Bush ou Richard Nixon (qu’avait d’ailleurs combattu la jeune Steinem en son temps), la quasi-totalité des artistes, des intellectuel·les, des médias mainstream (si tant est que le mainstream existe encore…) ont fait front uni contre lui.
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Tous les anticorps culturels possibles, par infusion des luttes sociales (MeToo, Black Lives Matter…), ont été déversés dans la société civile américaine, dont la vigueur, l’enthousiasme et la créativité constituent le meilleur antidote à la sinistrose. Mais alors pourquoi, à une semaine du scrutin, tremble-t-on autant ?
Parce qu’une partie du corps ne répond plus. Ou à d’autres signaux, qui nous échappent totalement. Schizophrène, hémiplégique, ou peut-être bien possédée, l’Amérique ne marche plus sur ses deux pieds. On ne mesure pas toujours la taille du fossé culturel qui s’est creusé entre les rouges (républicains) et les bleus (démocrates). Il y a comme deux pays qui ne se parlent plus, qui ne partagent plus les mêmes valeurs, les mêmes croyances, et surtout, c’est la nouveauté, les mêmes faits. Plus de terrain commun sur lequel se battre à la loyale, mais deux bulles d’information étanches, flottant dans un éther numérique délétère (les réseaux sociaux), et dont l’une va, inexorablement, exploser entre le 3 novembre et le 20 janvier. Bon courage à celui qui devra en ramasser les morceaux.
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