Créée par une jeune femme de 25 ans qui laisse la part belle à ses fantasmes, Edwarda offre de l’érotisme une vision raffinée.
Une jeune femme nue, en bottes noires, est assise les jambes écartées sur le fauteuil d’un appartement bourgeois. On voit tout, mais pas les cicatrices qui cerclent ses seins et ses tétons dévoilées dans le reste du portfolio.
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Voilà comment s’ouvre le numéro 2 de la revue délicatement érotique et bimestrielle Edwarda consacrée au masque. Des masques qui ne se portent pas nécessairement sur le visage, mais qui orientent l’attention sur les blessures. Accrochent le regard. Tout comme la jeune créatrice de la revue, Sam Guelimi, 25 ans, qui a façonné Edwarda à son image. “Je voulais une revue très personnelle, qui soit le fruit de mes rencontres et qui maintienne le trouble érotique de mes émois littéraires et cinématographiques d’adolescence, comme les tennis blanches d’Emmanuelle Seigner dans Lune de fiel.”
Emois parmi lesquels figure naturellement l’héroïne de Bataille qui a donné son nom à cet espace délicieusement égoïste, où Sam Guelimi invite ceux dont elle apprécie le travail à venir s’exprimer – sans toujours se soucier qu’ils soient vivants. A travers un hommage au grand maître du fétichisme Pierre Molinier, ou un texte de Poe sur la peste du pouvoir, par exemple. “Je tiens à cette liberté de ne pas forcément coller à une quelconque actualité”, explique Sam Guelimi.
D’ailleurs, le fil de ces masques “contre la pensée de la transparence”, qui ouvrent la possibilité d’un “moment hors la loi”, dessine un contrepoids troublant à l’exhibitionnisme que vomissent en continu la télévision et la toile. Chez Edwarda, les corps nus sont partout et la vulgarité nulle part. Ni dans les faux Polaroid d’hommes offerts et lascifs de Christophe Honoré, ni dans la rencontre du photographe Henry Roy avec une prostituée de Kinshasa. Ce sont au contraire des moments suspendus, parfois vraiment réussis comme le très beau texte de Yannick Haenel (écrivain et cofondateur de la revue Ligne de risque) sur Anna Thomson, la magnifique actrice de Sue perdue dans Manhattan.
L’énigmatique Sam Guelimi met sa patte partout et parvient même à rendre sympathique l’irritant Mehdi Belhaj Kacem, déjà présent dans le numéro 1 et qui signe ici un texte sur l’opéra. Décidément omniprésente, elle habille aussi les modèles de ses propres vêtements, avant de les photographier “même s’il s’agit de les déshabiller ensuite, car l’érotisme est impossible avec des objets vierges, avec une semelle immaculée”.
L’ensemble n’est pas exempt de défaut – un fastidieux entretien avec Sollers barre le coeur de la revue – mais il s’en dégage le sentiment d’une rencontre, avec ses aléas, ses silences et ses temps morts. Une rencontre éphémère puisque sa créatrice l’a déjà condamnée : “Edwarda a une espérance de vie limitée, deux ans tout au plus, pour des questions d’argent et aussi parce que si de très belles rencontres arrivaient tous les deux mois, ça se saurait.” Dans l’intervalle, on a envie de collectionner ces beaux objets, à commencer par le prochain numéro, prévu pour juin et consacré à l’ivresse.
Edwarda, 16 €, www.edwarda.fr
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