De plus en plus, dans les romans étrangers, les pages de fin sont dédiées aux remerciements à rallonge. Comme si le roman était le fruit d’un travail d’équipe.
On croyait la litanie des “remerciements” strictement restreinte à la cérémonie des César. Souvenez-vous de ces longs moments d’un pénible à la limite du supportable, de ces longues listes de noms auxquels vous ne comprenez rien et dont vous vous fichez allègrement – surtout quand il s’agit des trois types qui ont fait la lumière d’un film et squattent l’antenne pendant de longues minutes pour faire une déclaration d’amour aux producteurs et à leurs femmes, c’est pareil…
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Désormais, c’est au tour des écrivains de s’y mettre – sans même avoir besoin de décrocher un prix ! Mais pas tous les écrivains, seulement les écrivains étrangers.Qu’on s’empare du Cuisinier de Martin Suter ou du Projet Lazare d’Aleksandar Hemon, et même de La Passerelle de Lorrie Moore, on tombe invariablement sur ce qui ressemble à un dernier chapitre (court ou long), intitulé “Remerciements”.
Et là, tout le monde y passe : l’éditeur, l’agent, les amis, les conjoints, les enfants, les chiens, le canari, la fondation unetelle, la bibliothèque truc, la bourse bidule et des tas d’autres gens sans lesquels, bien sûr, le livre n’existerait pas.
La palme des remerciements à rallonge revient ce mois-ci à Martin Suter, d’autant que son traducteur s’y met aussi et greffe ses remerciements à la suite de ceux de l’auteur. A quand un roman qui ferait dix pages mais serait complété par 265 pages de name-dropping ?
Au temps jadis, un auteur n’avait besoin que de toute sa tête pour écrire, éventuellement d’une muse, mais surtout d’une feuille de papier et d’une plume d’oie – et pour faire pratique : d’un ordinateur.
Aujourd’hui, telle Cameron Diaz qui révélait que sa beauté n’était que le fruit d’un travail collectif (coach, coiffeur, maquilleur, diététicien, masseur, acupuncteur, etc.), il a besoin de toute une équipe. C’est du moins l’impression que donne l’écrivain étranger par rapport au français : agent, bourse, mécène, fondation, amis… et, horreur, bons sentiments. Ou plutôt la volonté de se présenter comme un “professionnel”, autant qu’un cinéaste.
Comme si les romans ne s’imaginaient plus mais se devaient de reposer sur du réel (une enquête, de la documentation, un travail de recherche, d’interviews, de conseils, de tuyaux, etc.) pour mieux faire preuve de véracité et bénéficier ainsi d’un minimum de considération. Cette bonne vieille vision romantique de l’écrivain inspiré et solitaire semble bel et bien révolue.
Photo : L’écrivain suisse Martin Suter, auteur du Cuisinier.
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