Qui était ce garçon au visage de bébé et au look preppy qui signait pourtant un premier roman désabusé, glaçant, violent ? Avec Less Than Zero en 1984, Bret Easton Ellis devenait à 20 ans le portraitiste et le représentant sulfureux d’une génération ironique et cynique, plus tard appelée “Gen X”. Vite inclus dans le Literary Brat Pack, cette bande de jeunes écrivains stars (Jay McInerney, Tama Janowitz, etc.) d’une décennie excessive, on le retrouve photographié dans la presse en noctambule, dans les clubs cool de New York, toujours un verre à la main, figure de proue aux yeux tristes d’une dernière génération perdue.
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Bret Easton Ellis ou l’un des derniers écrivains américains à avoir fait rimer ses livres avec une vie flamboyante, décadente, à la manière d’un Scott Fitzgerald en son temps. De quoi en faire, déjà, un phénomène. Ce qui aurait pu en rester là sans un roman choc : c’est American Psycho, en 1991, classique instantané de la littérature américaine, qui transformera le phénomène en icône.
Ellis n’a jamais cessé de dénoncer la façon dont une société neutralise les êtres, les vide de leur substance, de leur force de rébellion, de leur singularité
Une icône qu’on aime adorer autant que haïr, qui suscite l’attente autant que la peur. Car qui faut-il vraiment être pour avoir écrit ces scènes d’effroi pur ? Un écrivain, et un grand, tout simplement, qui se voyait accusé du pire il y a trente ans par la presse américaine demandant son boycott, celle qui vient encore de réserver un accueil glacial – dont le New Yorker, seulement focalisé sur Donald Trump dans son interview de l’écrivain – à son nouveau livre, White, un essai contre le politiquement correct. Ellis se dit apolitique. Un manque d’empathie, peut-être, qui agacera le plus dans un livre qui a ses morceaux de bravoure, avec des pages très belles sur la façon dont il a écrit ses livres.
Au fond, White n’est pas si éloigné de ses romans qui captaient si bien l’air (effrayant) du temps : des gamins désincarnés, camés, déshumanisés et finalement violents de Moins que zéro au sadisme du serial killer d’American Psycho, symbole du libéralisme brutal des années Reagan, jusqu’à White aujourd’hui, Ellis n’a jamais cessé de dénoncer la façon dont une société (du capitalisme des années 1980 à la “culture d’entreprise” d’aujourd’hui) neutralise les êtres, les vide de leur substance, de leur force de rébellion, de leur singularité. C’était la droite ultralibérale hier, c’est la gauche qui s’affiche “vertueuse” aujourd’hui, mais au fond c’est la même chose pour Ellis : une hypocrisie qui nous contraint à ne plus être que des réplicants, des acteurs obligés de plaire.
Le cinéma, la littérature à travers trois romancières, le rock, le porno gay, Los Angeles…
Depuis Suite(s) impériale(s), il y a neuf ans, l’écrivain nous manquait. Dès que nous avons appris la sortie de son nouveau livre, nous lui avons proposé d’être rédacteur en chef d’un numéro des Inrocks, et il a accepté d’emblée. Conçu entre Los Angeles et Paris, ce numéro est le reflet exact de ses passions et de son mode de vie à 55 ans : le cinéma, la littérature à travers trois romancières, le rock, le porno gay, Los Angeles. Sans oublier du gin pour ses dry martinis. Welcome back.
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