Sur l’affaire DSK, on pourrait réimprimer notre édito du 8 juin dernier. Bien avant les derniers rebondissements de cette série-réalité, nous insistions sur le devoir de prudence face aux emballements, la nécessité d’attendre les résultats des enquêtes de la justice, la vraie, pas celle des médias ou de l’opinion. Et nous pointions une évidence : […]
Sur l’affaire DSK, on pourrait réimprimer notre édito du 8 juin dernier. Bien avant les derniers rebondissements de cette série-réalité, nous insistions sur le devoir de prudence face aux emballements, la nécessité d’attendre les résultats des enquêtes de la justice, la vraie, pas celle des médias ou de l’opinion. Et nous pointions une évidence : hormis DSK et Nafissatou Diallo, personne ne savait ce qui s’était passé dans la suite du Sofitel.
L’affaire ressemblait à un mauvais film de Ken Loach, avec son pitch édifiant : l’homme blanc, puissant, riche, se croyant au-dessus des lois, face à la femme noire, immigrée, exploitée. Le premier forcément coupable, la seconde forcément victime, en un stupide renversement du stupide délit de sale gueule.
Or si nous n’aimons pas les mauvais Loach, ce n’est pas parce qu’ils dénoncent les inégalités sociales et l’exploitation, qu’il faut bien sûr combattre, mais parce qu’ils en font l’unique grille de lecture du monde et des êtres.
L’affaire DSK, ce n’est pas une fable ajustable aux fantasmes de chacun, c’est d’abord et avant tout un fait divers, une affaire de droit et de justice, d’enquête longue et minutieuse, de recherche de pièces et de preuves pour s’approcher de la vérité des faits, le tout sous la boussole du principe essentiel de tout système judiciaire démocratique : la présomption d’innocence. Mais la charge de l’événement était telle que beaucoup ont oublié ces principes fondamentaux de l’Etat de droit, comme ils avaient oublié les enseignements de l’affaire Baudis, extrapolant et condamnant avant de savoir, noyant le bébé justice dans l’eau du bain idéologique ou symbolique.
Après les révélations du procureur Vance, on ne sait toujours pas ce qui s’est passé au Sofitel. Ce qu’on sait, c’est que la personnalité de Nafissatou Diallo est plus retorse que son portrait de victime angélique et que son récit apparaît tellement peu fiable que c’est l’accusation elle-même qui doute. En droit, il faut des éléments plus solides pour envoyer un homme soixante-dix ans en prison, et c’est heureux. L’affaire ressemble désormais à Une séparation d’Asghar Farhadi, superbe film contre les jugements hâtifs, qui montre que la vérité d’un fait évolue au gré d’éclairages successifs, minutieux, contradictoires.
En matière de cinéma, comme de presse et de justice, la nuance et la patience sont préférables à l’excès de vitesse et au simplisme, même si elles sont moins spectaculaires.
Serge Kaganski