Le XIXème siècle fut celui de l’Europe, le XXème celui des Etats-Unis. Le XXIème sera vraisemblablement celui de la Chine. La crise grecque, symptôme de ce basculement, réactive la question cruciale de l’avenir de l’Europe.
Les malheurs de la Grèce n’ont pas fini de faire trembler le monde. Qu’un pays aussi modeste soit capable de menacer l’avenir de la zone euro, de faire paniquer (ou spéculer) les marchés et de donner des sueurs froides à tous les dirigeants de la planète, en dit long sur l’interdépendance et la fragilité de nos économies, enfiévrées au moindre virus.
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Comme dirait Godard, la dette grecque, c’est surtout celle que le monde a contracté vis-à-vis du pays d’Aristote et Periclès. Si l’on payait des droits d’auteur à la Grèce pour ses inventions que nous utilisons chaque jour (la démocratie, la géométrie, la logique, et autres bricoles), on leur devrait des milliards.
Le vieux cinéaste a raison dans l’absolu, mais dans le réel, on doute que Obama, Merkel, Sarkozy et leurs peuples soient bien disposés sur ce sujet. Comme dans la crise financière, la crise grecque semble privatiser les gains et mutualiser les pertes : le peuple grec va se prendre un plan d’austérité massif sur la figure alors que la justice n’a toujours pas inquiété les dirigeants qui ont trafiqué les comptes publics avec la complicité experte de Goldman Sachs.
L’affaire grecque est le dernier symbole en date de la grande bataille de notre siècle : celle qui oppose états et marché, économies réelle et virtuelle, politique et finance. Notre monde trébuche parce qu’il marche sur deux jambes asynchrones. La politique, les lois, les règles, progressent lentement et dans le champ fragmenté des frontières nationales ; la spéculation financière ne connaît pas les frontières et file à la vitesse d’internet.
Il faudrait mieux synchroniser ces deux pattes et mettre la jambe Bourse au rythme de la jambe Loi. Car la raison nous souffle que pas plus que les feux rouges et le code de la route ne sont ennemis de la voiture, l’état et le marché ne sont voués à être antagonistes, au contraire : les pays ont besoin de l’économie de marché pour créer des richesses et des emplois, mais les puissances publiques, légitimées par les peuples, doivent user de leurs prérogatives pour réguler les excès de la planète finances. Par exemple en supprimant les paradis fiscaux, en contrôlant les hedge funds, en instituant la taxe Tobin…
Le G20 avait beaucoup promis, on attend toujours. Impuissance, manque de volonté, cynisme ? En attendant, l’Europe est à la croisée des chemins. Soit elle accélère sa mutation vers le fédéralisme, soit elle implose et redevient un conglomérat de petits états-nations. Le XIXème siècle fut celui de l’Europe, le XXème celui des Etats-Unis. Le XXIème sera vraisemblablement celui de la Chine. Le séisme euro-grec est un symptôme de ce gigantesque mouvement tectonique qui voit le moteur du monde se déplacer vers l’Asie.
On voit bien sur quelle voie devrait s’engager l’Europe pour avoir une chance d’exister sur une planète sinocentrée, mais a-t-elle la volonté de créer les Etats-Unis d’Europe ?
Photo : © 2010 Thomson Reuters / John Kolesidis
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