[Cet article est à retrouver le mercredi 10 avril dans notre numéro avec Assa Traoré en rédactrice en chef invitée]. A l’occasion de la sortie en librairie du Combat Adama, que cosignent Assa Traoré et Geoffroy de Lagasnerie, nous avons souhaité invité Assa Traoré à être, le temps d’un numéro, rédactrice en chef des Inrockuptibles.
En général, on se réjouit quand on fait la une d’un journal, quand on a la chance de pouvoir en être la rédactrice en chef. Je remercie évidemment la rédaction des Inrocks de m’avoir fait cette proposition. Mais pardon, la joie n’y est pas, comme elle n’est jamais là où la lumière des médias me mène.
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C’est un sentiment d’effroi qui m’habite depuis le 19 juillet 2016, et il ne m’a plus jamais quittée. Chaque jour, chaque nuit dema vie depuis trois ans, je vis avec cette image : mon petit frère, Adama, gisant sur le sol brûlant de la gendarmerie de Persan, menotté, asphyxié. Mort, pour rien. Comme un chien, le jour de son anniversaire. Victime des forces de l’ordre.
La force des habitants de Beaumont-sur-Oise, des amis d’Adama, du comité, a rendu le combat de ma famille visible. Je chéris ces gens, qui n’ont jamais failli dans le soutien qu’ils nous apportent. Grâce à eux, le nom d’Adama est devenu un symbole. Celui des violences répétées, systématiques, faites aux jeunes hommes des quartiers populaires par les forces de l’ordre. Nous en sommes à trois ans, trois ans de lutte contre l’inertie judiciaire, ses mensonges, ses incompétences, et nous ne faiblissons pas. Je ne lâcherai rien, la justice nous doit des comptes.
Pourquoi la vie de mon frère ne valait-elle rien aux yeux des forces de l’ordre ?
Je souhaite, comme notre avocat Yassine Bouzrou l’a demandé à la justice, que les gendarmes soient à nouveau entendus sur la mort de mon frère ; que la reconstitution que nous exigeons depuis près d’un an ait enfin lieu ; que la dernière expertise qui réaffirme que mon petit frère a bien succombé par asphyxie, et non du fait de maladies imaginaires, soit reconnue.
Pourquoi les gendarmes qui ont écrasé Adama du poids de leurs trois corps ne sont-ils toujours pas mis en examen ? Pourquoi la vie de mon frère ne valait-elle rien aux yeux des forces de l’ordre ? Pourquoi, depuis son décès, mes frères se retrouvent-ils avec leurs larmes et leur peine derrière les barreaux des prisons, attaqués, ciblés, humiliés, coupés de leur famille, de leurs enfants ? De quel sentiment, de quel système procède cet acharnement qui s’abat sur nous chaque jour un peu plus ?
Ces hommes nous ont élevés dans le respect de l’autre, ils nous ont appris la solidarité, la dignité, l’honneur.
Je ne cesserai jamais de l’affirmer : mourir parce qu’on est noir, mourir parce qu’on est un homme habitant dans les quartiers populaires, mourir parce qu’on court, mourir parce qu’on n’a pas ses papiers d’identité sur soi est une honte pour la démocratie. Une abomination entretenue par un système qui piétine à l’envi toutes les valeurs dont l’Etat français, prétendu pays des droits de l’homme, se vante.
Adama, mes frères et sœurs et moi-même sommes les descendants d’une famille malienne. Nous avons vu nos grands-pères tomber en soldats pour la France, notre père travailler pour construire ici des logements, agoniser jusqu’à être emporté par un cancer des poumons à cause de l’amiante. Ces hommes nous ont élevés dans le respect de l’autre, ils nous ont appris la solidarité, la dignité, l’honneur. Nous ne transigerons jamais sur nos droits. Je veux la vérité et la justice pour Adama. Mon petit frère est mort, ne l’oubliez jamais.
Assa Traoré
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