Les commentaires haineux se répandent à une telle vitesse sur le web que certains sites décident de fermer cet espace de parole. Mais Dylan Marron, youtubeur américain engagé, a choisi d’appréhender ces insultes comme une invitation au dialogue et imaginé un podcast baptisé « Conversation with people who hate me ».
« Suicide-toi« , « sale pédé« , « tu es la personne la plus pathétique que je n’ai jamais croisée sur internet« , « tu n’es qu’une merde« … Des propos dont la lecture est aussi banale que leur violence est démesurée. L’année 2017 en a été témoin : internet est un formidable espace de parole permettant à des communautés oppressées de sortir de l’ombre (#balancetonporc en tête de liste) et de diffuser un message positif. Mais cette infinie liberté d’expression a par ailleurs contribué à développer des réflexes moins appréciables.
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Cette invitation à l’impulsivité a également entraîné d’inévitables excès et dérapages, en occultant leurs conséquences parfois dramatiques. « On vit à une époque où c’est beaucoup plus simple de lancer une opinion à la va-vite sur un sujet plutôt que d’avoir une réelle discussion. Et souvent, plus nos propos sont extrêmes, plus on récolte de likes, de partages, de retweets. On peut avoir des réactions explosives ou excessives sur un sujet sans pour autant être tenu de s’en expliquer« , explique le très engagé Dylan Marron, jeune Youtubeur et chroniqueur new-yorkais.
Dylan agace, certains allant jusqu’à souhaiter sa mort
Des commentaires incendiaires, le jeune homme en a reçu des centaines. Sur sa chaîne Youtube, il réalise des vidéos militantes pour dénoncer les violences policières contre la communauté noire, l’islamophobie, la transphobie, ou encore le harcèlement à l’école. Cet Américano-Vénézuélien de 29 ans, aussi acteur et écrivain, use de son ironie grinçante comme force de frappe.
Dans sa série Unboxing series (qui totalise jusqu’à 60 000 vues par vidéo), il se moque des blogueurs déballant face caméra les derniers produits à la mode, et s’attaque à des notions désuètes ou mouvantes comme celles de la masculinité ou du privilège. Dylan Marron agace et divise. Il s’attire quotidiennement les foudres de nombreux internautes. Certains allant jusqu’à souhaiter sa mort.
https://www.youtube.com/watch?v=6uZMEWoLzvQ
C’est pourtant avec beaucoup de bienveillance qu’il a décidé de faire un pas vers ses bourreaux. Sans rancœur, mais par curiosité, par envie de comprendre. Dylan a alors imaginé un podcast qu’il a sobrement baptisé Conversation with people who hate me. Parmi les dizaines qui lui arrivent tous les jours, il sélectionne certains commentaires haineux et contacte leur auteur. « Ces commentaires m’ont été envoyés sur les réseaux sociaux. Je me trouvais donc à un clic seulement de pouvoir découvrir qui se cachait derrière. Plus j’apprenais de choses sur ces gens, plus j’avais envie de leur parler. Pas pour leur tomber dessus, simplement pour entendre ce qu’ils pouvaient avoir à dire« , raconte-t-il.
Conversation apaisée
Si beaucoup ont ignoré l’invitation de Dylan Marron, les réponses positives ne se sont pas fait attendre. Enregistrés sur Skype, les échanges sont surprenants, étonnement cordiaux et apaisés : pas de cris, pas d’injures, mis à part quelques raccrochages intempestifs. Souvent, l’auteur des insultes se radoucit, reconnaissant timidement le caractère excessif de ses propos. Ces haters virulents ne pensaient pas être lus, croyaient leurs commentaires noyés parmi les centaines de réactions. « Ces podcasts sont un moyen de créer des liens à travers l’écoute mutuelle, au lieu de continuer à se hurler dessus à distance à travers nos mégaphones« , commente Dylan.
Habitué à des détracteurs qui se revendiquent d’extrême droite, Dylan Marron est parfois confronté à des gens qui lui ressemblent : militants, artistes, membres de la communauté queer. Au delà des clivages libéralisme/conservatisme, il questionne avec eux les différentes formes de discours et leur lieu d’expression idéal.
De l’impulsif au constructif
Dylan Marron a tâché de donner à ces conversations le recul dont elles avaient besoin pour prendre sens, de trouver un médium qui leur permettrait d’exister dans un espace-temps plus long. Il souhaitait libérer notre parole de cette tentation de l’immédiateté, de l’emportement. « Le podcast n’est généralement pas relié à une section de commentaires, les auditeurs écoutent ces épisodes sans être sujets à une pression immédiate d’exprimer un avis« .
Au gré des trente minutes de conversation, Dylan Marron explore ces discours ultra violents qu’il perçoit comme des produits de la société qui les a vus grandir. « Les gens qui m’ont envoyé ces messages haineux ne sont pas nécessairement des gens haineux. Je ne dis pas ça pour les excuser, ni pour dédramatiser les conséquences parfois dramatiques du cyber-harcèlement mais pour humaniser ceux qui nous effraient parfois le plus. Car souvent, les gens blessés blessent les autres.«
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