Avec DUO ZS, Giula Zonca et Dorota Slazakowska cherchent à déconstruire les systèmes de pouvoir dans l’architecture et à repenser la place des femmes et des minorités dans la conception de l’espace.
Dans le milieu très masculin de l’architecture, DUO ZS laisse entendre la voix du changement. Composé de Giulia Zonca et Dorota Slazakowska, deux anciennes élèves de l’Ecole nationale supérieure d’architecture Paris-Malaquais, il se penche sur la place des minorités et des corps invisibilisés par les normes dominantes.En développant une pratique mêlant architecture, artisanat et design, et en militant via leur association féministe IHCRA, ces deux jeunes femmes proposent une relecture musclée et engagée d’un système trop souvent excluant. Rencontre.
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Avez-vous été traitées différemment parce que vous êtes des femmes ?
Giulia Zonca — Oui, on a été confrontées au sexisme d’une multitude de manières, dès les études. Quand tu es une fille et que tu annonces que tu veux être architecte, on te répond “d’intérieur ?”. Si tu veux apprendre la menuiserie, on te dit : “Ah, c’est parce que tu veux être un mec, tu veux fabriquer des choses comme un mec.” En architecture, la figure masculine domine, c’est la main de Dieu, l’homme dont les dessins deviennent réalité, celui qui crée le monde autour de lui. Cette figure a des répercussions évidentes, que l’on remarque dans l’écart salarial entre les genres dans la profession, et par un plafond de verre dans les agences. Il suffit de jeter un œil sur les récompenses pour remarquer que les noms féminins sont toujours une infime minorité.
Est-ce que cela se reflète dans la création ?
Giulia Zonca — Oui, on remarque une vision très normée et masculine des corps pour lesquels sont pensés les espaces. Par exemple, une passerelle en verre permet de voir sous la jupe des femmes. Les cours avec du gravier sont inadaptées aux talons, les grands halls des immeubles des années 1970 font résonner les talons et peuvent représenter un danger pour les femmes.
Dorota Slazakowska — De façon générale, l’architecture n’est pas pensée pour les minorités, mais construite autour de normes extrêmement restreintes. Pourtant, cela devrait être un plaisir et un défi de dessiner pour le plus grand nombre d’identités, et non pas une contrainte.
Vous liez une pratique architecturale et artisanale. Pourquoi ?
Dorota Slazakowska — D’une part, on avait envie de suivre tout le processus de A à Z, de fabriquer des choses nous-mêmes et non de passer des années à apprendre en agence, à attendre la validation de son chef et du client. On voulait être dans l’action. De l’autre, on ne voulait pas être des architectes comme on a l’habitude de les voir, enfermé.e.s dans leur monde et mis.es sur un piédestal par rapport à tous les autres corps de métier sollicités autour d’un projet, qui ont pourtant autant d’importance. On a été particulièrement choquées de voir comment les clients autant que les agences traitent les ouvriers par exemple.
Giulia Zonca — On voulait travailler en direct avec les artisans, apprendre aux côtés d’un menuisier, car on ne peut pas imaginer quelque chose sans comprendre le projet de l’intérieur. On aime réfléchir autant à l’enveloppe qu’à sa vie interne.
Dorota Slazakowska — Cela nous a rapprochées du monde du bâtiment, ça a apporté quelque chose de pragmatique qui a sûrement impacté notre look. On entre dans des sphères très masculines avec les cheveux courts, des Dr. Martens, des énormes vestes, des pulls et des pantalons larges, ce qui est une façon, en quelque sorte, d’imposer notre autorité et de créer une place dans un milieu où on voit peu de femmes.
C’est donc une démarche féministe ?
Dorota Slazakowska — Tout à fait. Le féminisme est pour nous le point de départ d’une déconstruction plus globale.
Giulia Zonca — Avec notre duo, ZS, et l’association féministe que l’on a cocréée, IHCRA – ou archi à l’envers –, on a cherché à repenser les systèmes de pouvoir dans l’architecture. On a organisé des workshops, des forums, des journées d’intervention, des débats avec des thèmes comme “repenser la notion de norme dans notre milieu”. Le but étant de réfléchir à des alternatives potentielles concrètes et d’inviter à une remise en question.
Dorota Slazakowska — Quand on parle du féminisme, notre approche est intersectionnelle, elle croise les questions de genre, de race et de classe sociale. Il y a peu de femmes dans le milieu, et encore moins de femmes racisées.
Giulia Zonca — C’est un milieu dominé par des hommes blancs bourgeois, et le féminisme est donc une forme de cheval de Troie pour dénoncer un grand nombre d’inégalités.
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