Quelques heures après la publication des bonnes feuilles du livre de Marcela Iacub « Belle et bête » dans le Nouvel Observateur, la réaction à chaud de Serge Kaganski.
Au risque de passer pour puritain, la nouvelle affaire « Iacub-DSK-Nouvel Obs » nous dégoûte un peu. Il ne s’agit pas ici de morale mais d’éthique. Ce n’est pas le sexe qui nous choque ici, partant du principe inaltérable que tout adulte consentant est libre de coucher avec qui il veut et dans les configurations qu’il préfère, mais son exploitation, sa mise en spectacle brouillant les frontières entre vie publique et intimité, participant de cette transparence totale jusqu’à l’alcôve qui est une des caractéristiques des sociétés totalitaires.
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Marcela Iacub et Dominique Strauss-Kahn ont eu une liaison de sept mois en 2012. Cela ne nous inspire aucun commentaire parce que cela ne nous regarde pas – et n’aurait jamais dû nous regarder. Mademoiselle Iacub a décidé d’en faire un livre, Belle et bête, qui paraît donc ces jours-ci, à peine six mois après la fin de leur histoire. Devant une telle rapidité, on peut même être fondé à se demander si l’objet n’était pas prémédité de sa part, mais passons. Selon Le Nouvel Obs qui publie bonnes feuilles et entretien exclusifs, le livre est « d’une stupéfiante puissance littéraire ». C’est possible. Mais Marcela Iacub n’aurait-elle pas atteint la même hauteur littéraire en prenant un peu de distance et de recul, et surtout en fictionnant son récit, en inventant noms et personnages, en préservant le droit au respect de la vie privée de son partenaire ? On pense que si.
En revanche, un roman à clé aurait eu moins d’impact médiatique et commercial qu’un récit croustillant où l’on identifie parfaitement les protagonistes, et surtout LE protagoniste, super antihéros malheureux d’un long feuilleton sexuelo-judiciaro-médiatico-politique à peine refroidi. Tout métaphysique et littéraire que soit Belle et bête, Iacub sait pertinemment qu’elle est en train de fabriquer du Balzac en direct live puissance mille sur le plan du buzz et des potentielles retombées spectaculaires et financières. Pour les besoins de son livre, elle avoue avoir interviewé Anne Sinclair en la piégeant. Procédé pas top pour projet pas terrible : que Iacub fasse un livre avec sa vie amoureuse et sexuelle, soit, mais pas avec celle d’autrui désigné en tant que tel, fut-il un cochon.
Dans ce lancement de produit, Stock et Le Nouvel Obs jouent leurs rôles. On n’est pas loin de partager les propos amers d’Anne Sinclair et de DSK qui regrettent que cet hebdo, porteur de l’histoire qui est la sienne, en soit réduit à de tels procédés de presse caniveau pour se maintenir économiquement – même si l’appel à la morale et à l’éthique de DSK fait un peu sourire au vu de tout ce que nous savons désormais de lui. Sexe + célébrité = Ici Paris, France-Dimanche, Gala, Public, National Enquirer, The Sun et autres tabloïds.
Pourquoi la contagion entre journaux se fait-elle toujours dans le sens de l’abaissement ? Pourquoi ne voit-on jamais Gala ou The Sun s’élever vers l’exigence journalistique ? Les directeurs de rédaction ont une responsabilité mais ils ne sont pas les seuls : l’époque semble vouloir du sperme et du sang, du spectaculaire et du sensationnel. On pourra énumérer diverses causes : la guerre économique, la concurrence d’internet, l’instantanéité des tweets, le « toujours plus fort toujours plus vite toujours plus trash » qui semble gouverner la rotation de notre planète.
Nous-mêmes qui rédigeons ce billet participons de ce phénomène en tant que journalistes et en tant que lecteurs-internautes-spectateurs. Nous aussi possédons nos pulsions, nos penchants pour la paresse, le spectacle, le trash, le sexe. Nous désirons aussi « du sang, de la chique et du mollard ! » comme on le hurlait dans les cours de récré des années 70 en voyant deux camarades en venir aux mains pour un osselet ou un carambar. Mais nous avons grandi, nous avons appris ce qu’était le surmoi, et ce qui distinguait la civilisation de la barbarie. Marcela Iacub chante la liberté du cochon DSK, son envie de jouir sans entraves, sans morale, sans restriction. Mais cette liberté s’est payée sur le dos de l’humiliation de Nafissatou Diallo. « Le ‘cochon’, cette part de nous-mêmes qui ne vit qu’au présent, veut tout et ne calcule rien », écrit Iacub. Ce n’est pas faux, mais il faudrait ajouter que le cochon non tenu par un surmoi, la liberté sans règles, la satisfaction sans restriction de tous les désirs, l’absence totale de morale, ça peut donner aussi Hitler, Staline, Goldman Sachs… Liberté totale des uns, asservissement de tous les autres.
Deux grands principes semblent en cours d’érosion en ce début de XXIe siècle qui évoque tantôt la chute de Rome, tantôt les années trente du siècle précédent : le principe de la séparation du politique et du religieux, et celui de la frontière entre vie publique et vie privée. Dans le premier cas, la crainte est de voir le sexe et la vie privée règlementés par une pseudo-autorité morale suprême. Dans le second, le risque est de voir la vie intime engloutie par la sphère médiatico-marchande. Entre rigorisme puritain et technolibéralisme sans entraves, nos démocraties sont comme en train de perdre leurs boussoles. Moche et bête.
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