Aux États-Unis, mais aussi en Europe, le droit à l’avortement n’a jamais été aussi menacé.
J’étais à deux doigts de penser que mon corps m’appartenait. J’avais le sentiment que les combats féministes progressaient, que la société comprenait, enfin, les violences subies par les femmes depuis la nuit des temps. La nuit des temps oui, il n’y a pas d’autres mots adéquats finalement que ceux-là : la nuit des temps. Et puis nous apprîmes, toutes et tous, que la Cour Suprême des États-Unis s’apprêtait à annuler l’arrêt Roe vs Wade reconnaissant depuis 1973 le droit à l’avortement au niveau fédéral. Si la décision est prise, le droit à l’IVG ne sera plus protégé à l’échelle fédérale, et il reviendra donc à chaque État de le préserver ou non – sachant que plus de la moitié compte d’ores et déjà s’y attaquer.
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Mon Instagram, comme mon fil Twitter, se mirent à clignoter d’une même citation de Simone de Beauvoir, tirée du Deuxième sexe : “N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis; vous devrez rester vigilantes votre vie durant.” Vigilantes votre vie durant. Vigilantes votre vie durant… Il me faut l’écrire plusieurs fois afin de marteler l’ampleur de cette phrase. D’un coup, d’un seul, à la faveur d’une majorité conservatrice à la Cour Suprême depuis le mandat Trump, des femmes allaient potentiellement devoir se déplacer au Mexique ou au Canada afin d’avoir recours à un avortement, voire pratiquer des avortements clandestins, avec tous les risques que cela implique. C’est à dire que leur corps, comme le mien, se retrouve en définitive à la merci du bon vouloir de certains dirigeants prompts à réécrire l’histoire, à effacer les acquis, à remplir nos entrailles de ténèbres.
Je repensais à Agnieszka T., une Polonaise enceinte de jumeaux, décédée à l’âge de 37 ans après avoir dû conserver dans son ventre l’un des deux fœtus morts. Depuis un an, en Pologne, l’IVG est strictement interdit sauf en cas de viol, d’inceste ou si la santé de la mère est considérée en danger. Le recours à un avortement pour malformation fœtale a été déclaré anticonstitutionnel. Agnieszka T. est morte.
Et combien d’autres mourront ? Toucher au droit à l’IVG c’est retirer aux femmes le droit à disposer de leur corps. C’est transformer le corps des femmes en un espace public qui ne les concerne pas elles, mais appartient aux autres : aux décideurs, aux violeurs, aux harceleurs, aux bourreaux. Perdre son droit à disposer de son propre corps, c’est se voir renier son statut d’être humain. C’est voir son propre corps malmené par les autres, sans que l’on puisse s’interposer, encore moins le protéger. S’opère dès lors une dissociation du corps et de l’esprit qui n’amène que tristesse et désœuvrement. La liberté de toutes et de tous passe par le droit des femmes à avoir recours à l’IVG. Il me paraît impensable de devoir le rappeler.
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