Weed, kétamine, champis… Les drogues sont le nouvel accessoire des fans de réalité virtuelle. A tel point qu’un gros business fleurit, à coup de soirées ultra sophistiquées et de communautés 2.0 prévoyantes. Si l’absence totale d’études sur les effets à long terme inquiète un spécialiste, il avoue : un petit trip à petite dose, ça passe.
Le zombie, juste là, vous pouvez le toucher, sentir sa bave couler sur votre cou et même les relents de sa puanteur. Il est là, devant vous, et vous lui arrachez la tête avec vos mains, les vôtres !, sur une musique jazzy. Vous enlevez votre casque des yeux. Wouah. Vous venez d’avoir l’une des expériences les plus immersives de votre vie… Tout ça parce que vous êtes sous weed.
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Champis, LSD, cannabis, MDMA… Les drogues sont les nouveaux joujoux des fans de réalité virtuelle. Terminé les chips et le coca sur le canap’, le snack de ces gamers, c’est une petite dose d’un psychotrope. Prêts, pour le vrai décollage. Avec leur casque de réalité virtuelle (VR) sur la tête, ils veulent « s’immerger plus profondément ». Etre stone, mais pas trop, pour vivre et ressentir physiquement les expériences immersives qu’offre la VR : être vraiment un aigle, sentir la fraîcheur du vent sur ses joues ou apprécier les rayons du soleil sur sa peau.
Expériences 5 étoiles
La connexion entre jeux vidéo et drogues existe depuis longtemps. Mark Pesce, le créateur du langage de modélisation de la réalité virtuelle (VRML), a avoué l’avoir créé alors qu’il tripait sous LSD. Mais la démocratisation des casques de VR à moindre coût (il existe même des tutos pour en fabriquer en carton pour presque rien) a élevé le niveau. Quand il est question de VR, les fans de psychotropes recherchent à vivre une expérience de luxe, sans bad trip ni défonce trop grande où il termine effondré dans le canapé, trop drogué pour bouger.
Sur les forums en ligne, type Reddit, BlueLight ou Drugs-forum, les communautés qui se surnomment les « psychonautes » s’entraident, se conseillent et lancent des messages de préventions : « Amuse-toi et sois prudent », « Bon voyage à toi aussi, camarade psychonaute ».
Sur Reddit, les mentors de la communauté /r/RiftintotheMind, dédiée à « l’exploration des mondes magnifiques créés en VR sous psychotropes », racontent leurs expériences aux près de 2 300 lecteurs. Ici, on donne des conseils sur les meilleurs jeux de VR à prendre sous champis, par exemple, « J’ai cru mourir avec le jeu Thumper ! », « Cosmic Sugar, tu ne le regretteras pas ! ». On recommande des jeux en fonction des types de drogues, « plutôt de la weed pour Harmonix », « Windlands sous champis c’est dingue ! ». Les suggestions vont même jusque dans les gadgets, pour savoir s’il faut utiliser le casque HTC Vive, Oculus Rift ou la Google Cardboard… Et même jusqu’au dosage parfait : « plutôt 15 grammes ou 7,5 ? », « non c’est mieux de prendre en deux fois », pour les débutants « 2-3g max ! », « ça dépend, ton herbe est fraîche ou sèche ? »
Avec le cannabis, un business florissant aux États-Unis
Si en France le milieu reste cantonné à des discussions fantômes sur les forums et à des tests dans des soirées plutôt illégales, le deal est bien différent aux États-Unis. Les expériences en VR dépassent le stade du simple trip en solitaire, caché à la maison. Avec la légalisation du cannabis dans plusieurs Etats et l’attrait des joueurs pour ce nouvel outil, les entrepreneurs ont sauté sur le business. Un nouveau marché se met en place, complètement à découvert, centré sur une drogue : le cannabis.
A la soirée « Virtual Reality & Cannabis Experience » à Grassfed, à Los Angeles (©Tomer Grassiany)
Là-bas, on consomme carrément son herbe dans des soirées officielles de luxe. A Los Angeles, il y a ainsi des soirées spéciales « Cannabis & réalité virtuelle ». Dan Braunstein a été le premier à se lancer en organisant ses soirées dès le 7 avril, dans son restaurant Grassfed, qui a la particularité de mijoter des plats avec du cannabis. Pour 45 dollars l’entrée, la soixantaine de convives pouvait tester la VR sous cannabis, comme ça, en groupe. Une vraie soirée huppée et chic.
Herbe bio, sélectionnée comme du vin
L’herbe était fraîchement sélectionnée par le patron, qui se considère comme un sommelier : « Nous traitons le cannabis comme du vin car il a beaucoup de profils variés. Nous nous assurons de choisir différentes souches avec différents arômes et saveurs », précise Dan Braunstein, ravi qu’on s’intéresse en France à son business .
Les vapoteurs à la soirée « Virtual Reality & Cannabis Experience » à Grassfed. (©Tomer Grassiany)
Comme dans un grand restaurant, le convive est « escorté par une hôtesse », poursuit le restaurateur, et totalement « pris en charge ». En tant qu« expert du cannabis et éducateur », comme il se qualifie lui-même, il a fait de sa priorité les mesures de sécurité. La consommation des invités était micro-dosée (2,5 mg à 15 mg par séance) pour « ne pas trop planer ». « Nous voulons que nos invités soient joyeux, énergétiques et créatifs, plutôt que défoncés et avachis sur les canapés », ajoute le patron. Space Brownies, glaces au parfum cannabis, bar de vapoteurs… L’invité pouvait faire son marché – et tout était bio – et regarder l’une des 155 expériences de VR proposées : gravir la Grande Muraille de Chine, peindre en 3D, poursuivre des zombies… Sur un fond de reggae, de jazz ou de hip hop. Cerise sur le gâteau : il a même le droit « de se faire rembourser s’il est trop défoncé ». En un mot, la soirée se veut « sophistiquée », dixit le patron.
Tonight’s Enlightened VR event by L.A.’s Grassfed. So many smart kids at this one…. #VirtualReality #cannabis @SmartyCatG @TS_Budtending pic.twitter.com/uRa2yieBaU
— Gooey Rabinski (@GooeyRabinski) 13 mai 2017
Échanges de bons procédés sur le dos des accros
Le succès a été énorme : « C’est comme un jeu vidéo, sauf que vous êtes vraiment dedans. Comme Tron. D’abord, c’est désorientant. Mais tout comme pour la prison, vous vous ajustez rapidement au monde dans lequel vous vous trouvez », décrit un journaliste de Civilized qui était présent à l’événement. Puis, quand les effets de l’herbe montent, il lâche :
« Ces putains de zombies en ont après mon cul. Je tire dans leur tête comme si ma vie en dépendait. C’est ça que que nous fait ressentir ce truc ! »
« Ils ont tous aimé l’expérience », se réjouit Dan Braunstein, qui a même reçu un franc succès dans la presse locale. « Le cannabis améliore nos sens, tout paraît plus intense, et il stimule notre créativité. Essayez de peindre en 3D dans un espace pendant que vous planez, et vous saurez de quoi je parle », précise-t-il avec un sourire.
S’il a pu organiser cet événement haut de gamme, c’est qu’à Los Angeles, le cannabis est en partie autorisé. Il sera officiellement légalisé en 2018, mais depuis novembre 2016, il est déjà possible d’en acheter pour son usage personnel et de cultiver jusqu’à 6 pieds par foyer.
Cette ouverture a donné des idées à d’autres professionnels américains, qui vont lancer WeedVR, une application pour acheter sa weed directement depuis son canapé. Dans ce magasin du futur, on fait son marché comme dans un coffee shop, en 360°, et tout est livré.
Si les drogues et la VR forment un duo marketing en vogue, le fondateur de Grassfed précise: « Il n’y a aucune transaction monétaire avec du cannabis. Nous ne vendons pas du cannabis lors de nos événements. Nous vendons l’expérience VR seulement, de sorte que la partie du ticket se dirige vers la VR, le lieu, la musique, etc., mais pas pour le cannabis. » Il y a pourtant bien un échange de bons procédés avec les marques de cannabis, puisqu’il précise s’être associé à des marques « qui nous apportent des cadeaux gratuitement, et ce sont des dons légaux. »
Derrière le trip, l’absence totale d’études
Pourtant, ce beau manège enchanté qui rapporte gros pourrait bien disparaître un jour, ou en tout cas être très limité. Si l’usage des drogues est très apprécié avec la VR, les études sur les impacts à long terme sont inexistantes. A ce jour, les médecins ignorent les risques potentiels sur le cerveau. Il n’y a actuellement aucune recherche, aucune étude de réalisée, que ce soit sur internet ou en cours dans les centres de recherche.
« La réalité virtuelle et les drogues sont encore au stade expérimental, je n’ai vu aucune étude là-dessus », affirme Eric Malbos, psychiatre spécialiste des thérapies par exposition à la réalité virtuelle, au CHU Conception de Marseille.
Le psychiatre Eric Malbos pendant une séance de thérapie en réalité virtuelle. (©Eric Malbos)
Eric Malbos connaît bien le sujet: en grand fan de jeux vidéos et de science-fiction, il a été l’un des premiers Français à avoir développé les thérapies en réalité virtuelle. Avec un casque VR, il aide les patients à vaincre leurs phobies, ou à les soigner des addictions aux drogues ou au tabac. « Je les mets en réalité virtuelle avec un casque, en situation à haut risque, où ils voient par exemple des cendriers de partout », décrit-il.
L’un des univers qu’il a créé pour les thérapies contre les addictions au tabac. (©Eric Malbos)
Un psychiatre teste la VR sous champis
Avec ses cheveux bouclés jusqu’aux épaules et son regard pétillant, ce psychiatre porte à merveille sa ressemblance au Doc de Retour vers le futur. Comme lui, il teste des expériences les plus folles et énigmatiques, et va même jusqu’à s’immerger lui-même dans les univers de jeux qu’il propose aux patients.
« Quand on pratique, on doit tester », lance-t-il avec un sourire dans la voix.
« Moi, j’ai testé des champignons hallucinogènes en réalité virtuelle. Les sensations sont décuplées, ça accentue les effets visuels, c’est encore plus coloré, vous êtes encore plus immergé », affirme le psychiatre dans un rire.
De ce petit trip, cette « bonne expérience », le docteur Malbos a pu en tirer quelques conclusions : « Je le déconseillerais aux personnes qui ont des antécédents, notamment psychotiques. Les effets à long terme ne vont pas dépendre de la drogue, mais de la personne. Si il existe une schizophrénie sous-jacente, par exemple, ça va accentuer la crise psychotique », affirme le psychiatre.
Alors, on peut tester si on est clean ? « Si la personne n’a pas cette fragilité, les drogues et la VR ne posent aucun problème. La preuve, j’ai testé ! » Bonne nouvelle pour les « psychonautes ».
Les beaux jours de la VR et des drogues
Mais professionnels comme gamers appellent tous à la prudence. Sous drogues, la VR peut devenir un vrai cauchemar pour certains. « J’ai eu la pire expérience de ma vie en prenant de la kétamine et en jouant à Alien : Isolation. J’ai cru que j’étais en train de mourir », indique Fdizile sur le forum BlueLight. Le jeu Thumper, où il faut tuer des zombies, est également très déconseillé. « Thumper est définitivement une expérience trop intense et terrifiante », précise un autre internaute. Dan Braunstein, des soirées Grassfed, l’avoue lui-même : « Quelquefois, c’était trop tripant pour certains parce qu’ils étaient trop immergés. Des gens ont eu peur du jeu de zombies après avoir atteint le niveau élevé. »
Reste à savoir si les séquelles ne sont pas indélébiles. « Il faut rester prudent. Le manque d’études pose évidemment des problématiques, surtout qu’elles sont très dures et longues à mettre en place quand il s’agit de cannabis et des drogues en général », précise le docteur Malbos.
Pas de panique, donc, le duo réalité virtuelle et drogues a encore de beaux jours devant lui, avant qu’une étude ne viennent anéantir sa somptueuse réputation.
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