Pourquoi le FN a émergé à Dreux dans les années 1980, et comment la ville a-t-elle finalement échappé à son emprise ? Un documentaire diffusé sur France 3 ce 6 février a mené l’enquête, et donne des solutions pour faire reculer le vote FN.
On réduit souvent la ville de Dreux (Eure-et-Loir) à une page récente de son histoire millénaire : l’entrée fracassante du Front national à son conseil municipal, en 1983, à la faveur d’une alliance inédite entre le RPR et le parti d’extrême droite. Le FN est alors groupusculaire, et pour la première fois, il arrive sur le devant de la scène politique. Cet épisode – rebaptisé « tonnerre de Dreux » par son principal artisan, Jean-Pierre Stirbois, le secrétaire général du FN – a laissé des traces profondes sur la ville, surplombée par la Chapelle royale qui abrite les sépultures de la famille d’Orléans. Comment s’est-elle remise de ce traumatisme, en boutant définitivement le FN hors de l’hôtel de ville en 1995, et en y renonçant jusqu’à présent ?
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« Stirbois avait décidé de faire de Dreux un véritable laboratoire »
Dreux, la vie d’après, documentaire réalisé par Corinne Bian Rosa et diffusé sur France 3 ce 6 février, apporte des réponses. En faisant intervenir des chercheurs, des habitants et des acteurs de la vie politique locale, il explique tout d’abord comment le FN en a fait son laboratoire d’idées. En 1983, le n°2 du FN Jean-Pierre Stirbois se présente aux élections municipales et martèle méthodiquement auprès des habitants que le chômage qui les frappe de plus en plus est corrélé à l’immigration.
Le slogan fait recette, et Stirbois peut se targuer dans une interview télévisée, suite à son entrée à la mairie comme adjoint à la sécurité :
« La montée de l’insécurité et du chômage est liée à la progression constante du nombre d’immigrés à Dreux, j’ai dit tout haut ce que la majorité des Drouais pensaient tout bas. J’ai eu une action à caractère préventif ».
>> Lire aussi : Reportage à Dreux, ville symbole qui a renoncé au FN
S’il a misé à fond sur le vote d’un nouvel électorat, celui d’une classe ouvrière en proie au chômage de masse, Stirbois a aussi bénéficié de la réaction trop prétentieuse de la gauche. La maire socialiste (de 77 à 83) de l’époque, Françoise Gaspard, ne considère alors pas l’immigration comme un enjeu sérieux : « La seule chose que les maires peuvent faire c’est que les gens vivent ensemble harmonieusement et sans problème », dit-elle dans une interview. Interrogée aujourd’hui dans le documentaire, elle raconte la violence de la campagne municipale, et les manipulations des militants FN pour monter les habitants contre les immigrés.
« Stirbois avait décidé avec le FN de faire de Dreux un véritable laboratoire », constate-t-elle.
Une ville devenu un « laboratoire des fraternités » ?
La stratégie de Stirbois consiste en effet à faire émerger le FN par l’implantation locale « pour normaliser le parti », et pas directement par la présidentielle, comme l’explique l’historien Nicolas Lebourg.
L’expérience est cependant de courte durée. Alors que Jean-Pierre Stirbois meurt dans un accident de voiture en 1988, sa femme Marie-France tente de prendre la relève. Élue députée en 1986, elle se présente aux municipales à Dreux en 1995. Mais la puissance symbolique de son patronyme ne suffit pas, d’autant que le président du FN, Jean-Marie Le Pen, n’apprécie guère qu’on lui fasse de l’ombre. Elle échoue face au « front républicain », au profit d’un maire de droite, Gérard Hamel.
Celui-ci, entrepreneur en bâtiment, fait tout pour réconcilier les Drouais. Il mène une politique ambitieuse en matière de logement et d’urbanisme :
“Ma première décision a été de créer des espaces de vie dans les quartiers populaires afin que les habitants puissent se réapproprier les abords de leurs logements”, expliquait-il aux Inrocks.
Un passé qui ne passe pas
Dreux, la vie d’après, prouve qu’il a réussi. Naïma M’Faddel, adjointe au maire de Dreux (LR), fille d’immigrés marocains arrivée en France en 1968, rêve ainsi faire de la ville un « laboratoire des fraternités ». Pour la neuvième ville la plus pauvre de France, cela représente cependant toujours un défi.
Ce 6 février, France 3 et 13Productions souhaitaient organiser une projection du documentaire dans un cinéma indépendant de Dreux. Mais selon la journaliste-réalisatrice Corinne Bian Rosa, l’établissement « a reçu des pressions de la mairie pour ne pas répondre favorablement sous prétexte ‘qu’on ne veut plus parler du FN à Dreux' ».
« Il nous semble inquiétant que le traumatisme des années 80 perdure à ce point en 2017 qu’on ne puisse seulement même évoquer cette part de l’histoire de la ville, et que la peur puisse continuer à guider les esprits », ajoute-t-elle.
Dreux, la vie d’après, de Corinne Bian Rosa, le 6 février à 23h40 sur France 3
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