Pour son dernier film, le documentariste Tristan Ferland Milewski a posé ses caméras sur le paquebot d’une croisière gay. « Dream Boat », un film flamboyant et sulfureux qui transcende les clichés sur l’homosexualité.
Une fois par an, l’agence bruxelloise La Démence organise une croisière réservée aux gays sur un paquebot au large des côtes espagnoles. Résultat ? Une fête démentielle pendant sept jours non-stop où plus de 3000 personnes déguisées se retrouvent pour bronzer et danser toute la nuit sur des rythmes technos. Un voyage entre hommes dans lequel le documentariste allemand Tristan Ferland Milewski a cherché à dépasser les clichés pour s’intéresser aux histoires singulières. Parmi la foule on trouve Dipankar, un jeune Indien qui a fui son pays pour Dubai après son coming out, Ramzi, un Palestinien qui a émigré en Belgique pour vivre librement sa sexualité, ou encore Marel, un Polonais bodybuildé qui cherche l’amour, Martin, un photographe atteint du Sida, et enfin, Philippe, un Français handicapé et fan de Mireille Mathieu.
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Comment vous est venue l’idée d’embarquer sur cette croisière ?
Tristan Ferland Milewski – J’avais entendu parler de ce voyage, et je voulais avant tout faire un documentaire sur un microcosme qui a ses propres codes, et découvrir ce qu’il pouvait y avoir en dessous de la surface. J’ai fait la croisière une première fois en 2015 pour faire des repérages, et rencontré les protagonistes. Je tenais aussi à rappeler qu’il est encore dangereux aujourd’hui pour les homosexuels de vivre dans certains pays; ce bateau représente un espace sûr et libre pour la plupart d’entre eux.
Est-ce que cela a été dur de convaincre les personnes de se laisser filmer ? Comment êtes-vous arrivé à établir une relation de confiance ?
J’avais en effet une très grande responsabilité vis-à-vis de ce qui pouvait être filmé ou non, notamment parce que certains ont dû fuir leur pays à cause de leur homosexualité. Il fallait les protéger. Les organisateurs de la croisière ont été approchés de nombreuses fois par des équipes de télévision mais ont toujours refusé. Je leur ai expliqué que je ne cherchais pas à faire du sensationnel mais plutôt un travail esthétique, voire artistique. J’ai ensuite beaucoup discuté en amont avec les protagonistes, j’en ai rencontré certains à plusieurs reprises avant la croisière. Une fois sur le bateau, j’ai pris soin d’expliquer à tout le monde ma démarche, et de demander à chacun s’ils souhaitaient apparaître à l’image ou non.
Que recherchent ces hommes en allant sur cette croisière d’après vous ?
C’est très différent. Mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas seulement pour le sexe, même si cela peut en faire partie. Beaucoup viennent pour se sentir libre, être entouré de gens qui leur ressemblent, ou tout simplement trouver l’amour. Mais bien sûr, au fur et à mesure, d’autres questions plus profondes, existentielles, surgissent.
Pourquoi avoir fait le choix de divulguer leur nom et leur profession seulement la fin ?
Tout au long du film, on apprend à les connaître, on découvre des choses très intimes à leur sujet parfois aussi. Mais je voulais que le téléspectateur ressentent l’effet de bulle qui se créée sur le bateau. C’est un véritable monde à part, où toutes les traces d’existence quotidienne volent en éclat. Ils ne s’habillent pas avec leurs vêtements de tous les jours, et se lâchent totalement. Le déguisement tient par exemple une place très importante.
Certains des hommes que vous suivez semblent ressentir une profonde solitude, est-ce l’une des ambivalences que vous avez souhaité montrer ?
Le documentaire se termine sur une sorte de prise de pouvoir. Tous repartent avec davantage de force et de confiance en eux. Cette croisière est une sorte de catharsis pour eux, un moment d’introspection. Plusieurs parlent du grand sentiment de solitude qu’ils éprouvent dans un monde où l’on est souvent considéré comme un objet sexuel, ou comme de la chair fraiche. Mais ce n’est pas absolument inhérent aux homosexuels, c’est un sentiment qui peut toucher tout le monde, particulièrement aujourd’hui où le culte du corps et de la beauté est très important.
Justement, vous montrez combien les notions de culte du corps, et de masculinité sont des notions parfois difficiles à accepter pour certains…
Les cinq protagonistes que j’ai choisi sont des hommes qui, pour différentes raisons, ne se sentaient pas à leur place dans ce monde. Et tous ceux qui vivent dans la différence par rapport à la norme, ont souvent des histoires douloureuses. Sur le bateau, la plupart des hommes possèdent une masculinité très forte qu’ils aiment cultiver en travaillant leur corps. D’autres ont l’impression de ne pas arriver à remplir les standards de beauté et de « masculinité normative ». Mais tous veulent être vus pour ce qu’ils sont et essaient d’y parvenir. C’est lors de la série drag queen, la ladies night, que tous s’autorisent à dévoiler leur part de féminité. On peut alors voir des hommes body buildés courir en talons aiguilles.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué au cours du voyage ?
C’était très intéressant de voir ces hommes aux parcours et aux cultures différents se mélanger et tisser des liens et observer les personnages évoluer tout au long de ces sept jours de croisière. Cette catharsis qui se déroulaient sous l’oeil de nos caméras m’a beaucoup fasciné.
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