Les licenciés de JLG à Tonneins (Lot-et-Garonne), qui menaçaient de faire sauter leur usine, ont obtenu gain de cause : leur indemnité s’élèvera à 30000 euros chacun comme ils le réclamaient, au lieu des 16000 prévus. A Châtellerault (Vienne), les employés de New Fabris qui ont installé des bonbonnes de gaz se déclarent « prêts à aller jusqu’au bout ». Stéphane Sirot, professeur à l’université de Cergy-Pontoise, rappelle que cette menace a des précédents qui remontent au XIXe siècle.
D’où vient ce mode d’action qui consiste à saboter son outil de production ?
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C’est une pratique qui prend ses sources dans le luddisme, né avec l’industrialisation en Angleterre. Un ouvrier plus ou moins hypothétique, nommé John Ludd, aurait initié un mouvement de bris de machines. Le luddisme est arrivé en France au début du 19e siècle, alors qu’il n’existait pas encore de système de relations sociales dignes de ce nom. La grève est encore interdite, donc le conflit social passe par des méthodes plus brutales. Cela dit, le bris de machine n’était pas très courant en France, mis à part quelques cas dans le textile. Et ces pratiques de sabotage ont très largement disparu avec la légalisation de la grève. Le discours reste, avec des théoriciens comme Emile Pouget, mais ça reste au stade des idées. Après la Seconde guerre mondiale, les exemples sont excessivement rares. C’est en 2000 avec Cellatex que cela ressurgit dans le paysage médiatique. Il y a une mémoire des luttes, et ceux qui menacent aujourd’hui de faire sauter leur usine ont sans doute en tête ce conflit d’il y a dix ans.
Pourquoi menacer de détruire son usine ? Qu’est-ce que cela représente ?
La menace de destruction de l’outil de travail n’est jamais une violence initiale, c’est toujours la réponse à une violence bien plus forte : le fait de perdre son emploi et de ne pas avoir de perspective immédiate. Ce mode d’action n’intervient qu’en dernier recours, quand la situation est désespérée. D’ailleurs les ouvriers qui mènent ces actions aujourd’hui n’essaient même pas de sauver leur emploi, ils savent déjà qu’ils l’ont perdu. Ils cherchent juste à obtenir de meilleures conditions de départ, dans une situation où le processus de discussion est bloqué.
Et ça marche, les employés de New Fabris ont obtenu une indemnité de 30000 euros…
Parce qu’on en parle, et parce que les pouvoirs publics ne peuvent pas laisser ce mouvement s’étendre à l’infini. A mon avis, les salariés n’ont aucune envie de mettre leur menace à exécution. Ils ont trois objectifs : attirer l’attention des médias, des pouvoirs publics, et faire pression sur la négociation. Malgré tout, le retour à ces pratiques, à la fin du XXe siècle et au début du XXIe, intervient à un moment où les relations sociales sont à nouveau bloquées, et où le déséquilibre entre salariat et patronat est fort.
Stéphane Sirot est professeur à l’université de Cergy-Pontoise. Il a notamment publié La Grève en France, (Odile Jacob, 2002) et Les syndicats sont-ils conservateurs ? (Larousse, 2008).
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