« Dossier Tabou », la nouvelle émission de M6 présentée par Bernard de la Villardière a suscité de vives polémiques, notamment en raison de sa manière d’approcher l’islam. Retour sur un emballement médiatique.
Une musique qui fout la trouille, « Des questions de fond, sur des sujets qui dérangent », nous indiquent de grosses lettres rouges, et une séquence s’achevant par un présentateur quelque peu chahuté qui conclut par un lapidaire « dans ce groupe de jeunes, un mélange de salafistes et de dealers « . Frissons garantis… Non, vous n’êtes pas dans un mauvais remake du film La haine (1995), mais bien dans la bande-annonce de Dossier tabou, la nouvelle émission de Bernard de la Villardière. Une émission qui a beaucoup fait réagir sur les réseaux sociaux, accusée d’attiser la haine contre les musulmans.
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Mercredi 28 septembre au soir, M6 diffusait une reportage consacré à la montée de l’islam radical en France. L’enquête, intitulée « L’islam en France, la République en échec », tentait d’analyser le financement de la religion musulmane par des puissances étrangères comme l’Arabie Saoudite, mais également la formation de ses imams, son organisation et ses différents courants idéologiques. Résultat : deux heures d’émission quelque peu incohérentes avec un ton parfois léger qui se veut drôle, et à d’autres moments carrément anxiogène.
« Les islamistes prennent d’assaut la société française »
Seulement voilà, rapidement les réactions se sont déchainées sur la toile. Sur Twitter le #DossierTabou est le sujet le plus discuté en France et dans le monde. S’opposent alors ceux qui y voient un éclairage nécessaire et ceux qui dénoncent un angle biaisé attisant la haine contre les musulmans. Plusieurs figures du Front national n’ont pas hésité à réagir à l’émission.
« Les islamistes prennent d’assaut la société française », a écrit le porte-parole du FN, David Rachline. Numéro deux du Front national, Florian Philippot a apostrophé le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, en l’invitant à regarder le reportage de M6 en l’appelant à « expulser quelques imams étrangers ». Marion Maréchal Le Pen a elle appelé à la démission du maire de Sevran, Stéphane Gatignon. Les caméras de Dossier Tabou se sont en effet posées dans sa ville, en Seine-Saint-Denis. Le maire EE-LV est interrogé sur la dizaine de jeunes qui seraient partis faire le djihad en Syrie.
Hidalgo s'occupe des naturistes, Hollande de Rihanna. Pendant ce temps, les islamistes prennent d'assaut la société française !#DossierTabou
— David Rachline (@david_rachline) September 28, 2016
#DossierTabou : vous regardez Bernard Cazeneuve ? Du pain sur la planche pour vous dès demain, notamment quelques imams étrangers à expulser
— Florian Philippot (@f_philippot) September 28, 2016
« Racoleur » et « provoc »
Stéphane Gatignon n’a d’ailleurs pas du tout apprécié l’angle et le ton « racoleur » de l’émission s’est-il indigné au micro de RMC. Le maire de Sevran a par ailleurs été agacé par une séquence en particulier : lorsque Bernard de la Villardière est pris à partie par un groupe de jeunes gens alors qu’il se trouve devant une mosquée de la commune. Pour l’élu EE-LV, la venue de l’équipe de M6 dans ce lieu récemment muré, n’est rien d’autre que « de la provoc » . Il dit regretter d’avoir participé à l’émission mais se sentait en quelque sorte « contraint « :
« C’est un jeu de con en fait, à tous les coups tu perds ! Si tu n’interviens pas, t’as une polémique et tu ne t’en sors pas. On te dit ‘pourquoi tu n’es pas intervenu ?’. Et si tu acceptes l’interview, on te dit ‘pourquoi tu es intervenu ?’ Donc t’es coincé. Quoi que tu fasses, de toute façon tu l’as dans l’os. »
Le 29 septembre, il a publié un communiqué accusant Bernard de la Villardière de chercher à « faire de l’audience sur le dos de la ville de Sevran » et » jeter de l’huile sur le feu en pleine guerre contre le djihadisme. » Selon lui, Dossier Tabou ravive « une polémique politicienne cherchant à faire de Sevran un Molenbeek français », rappelant alors une comparaison de mars dernier de Gilles Kepel, spécialiste de l’islam.
Il reproche notamment au présentateur d’avoir pris l’exemple d’une école privée musulmane, sans pour autant l’avoir interviewé sur le sujet. « Comme sur tout le territoire national, les écoles confessionnelles sont autorisées à Sevran », précise à ce propos le maire de Sevran.
« A aucun moment M. de la Villardière ne m’a demandé précisément comment s’était mis en place cette école. Je lui aurais donné tous les documents officiels nécessaires. (…) Comme de nombreuses écoles privées de Seine-Saint-Denis, l’école de confession musulmane de Sevran a ouvert ses portes pour lutter contre la déscolarisation dans le cadre officiel prévu par la loi pour aller vers une école privée sous contrat d’association de l’Etat. »
Stéphane Gatignon a également abordé un autre point de l’émission : la vente de terrains de la ville à une association musulmane pour la construction d’une mosquée. « Je veux rappeler ici que les terrains de Sevran vendus à la communauté musulmane à travers leur association cultuelle pour la construction de leur mosquée l’ont été au prix des domaines. »
« Merci beaucoup ma soeur »
Une autre scène du reportage a fait bondir de nombreux internautes. On y voit Bernard de la Villardière s’inviter à la table de la famille de la comédienne Samia Orosemane. S’ensuit une séquence surréaliste. « Merci beaucoup ma sœur », lui lance-t-il sérieusement lorsqu’elle lui passe le plat de tagine. Avant de déclarer : « Dans la tradition maghrébine, il y a toujours une ou deux assiettes prêtes pour le visiteur « . Et d’ajouter : « Dans la tradition maghrébine, les hommes dans l’intimité, dans la maison, sont soumis à leurs femmes », sans pour autant développer ces poncifs auxquels il semble croire dur comme fer. Contactée par téléphone, Samia Orosemane nous confie regretter avoir, elle aussi, participé à l’émission :
« Ce n’est pas du tout comme ça que l’on m’a présenté le projet au départ. On m’a dit clairement : ‘nous voulons faire un reportage pour mettre en lumière la pluralité musulmane en dressant le portrait de plusieurs musulmans français’. Je me suis dit que c’était l’occasion d’apporter ma voix. L’émission n’avait pas encore de nom. »
Quant à la venue de Bernard de la Villardière dans son salon, elle explique avoir été « très surprise de le voir débarquer ». « Personne ne m’avait prévenue de sa présence dans l’émission, je pensais que c’était seulement le journaliste qui m’avait contactée auparavant qui venait avec son équipe ».
Bien qu’elle reconnaisse que ses propos n’aient pas été altérés, elle dénonce un « reportage très à charge ».
« Au final, ‘Dossier Tabou’ diabolise, une fois de plus, les musulmans. Je trouve ça extrêmement dangereux de réaliser des émissions pareilles à quelques temps des élections présidentielles », conclut-elle amèrement.
Une émission de « propagande » ?
Pour Nacira Guénif-Souilamas, sociologue et anthropologue, professeure à l’université Paris 8, Dossier Tabou « s’approche plus de la propagande que d’un travail journalistique » : « Tout était basé sur le présupposé selon lequel l’islam est un corps étranger insoluble dans la République », dénonce-t-elle. Elle fustige notamment la scène de l’hôpital où Bernard de la Villardière tente de savoir si des femmes refusent souvent de se faire ausculter par un homme. Dès le départ l’animateur indique pourtant que « 83% des musulmanes acceptent d’être soignées par un homme ». Interrogée à ce sujet, la directrice adjointe de la maternité indique être « très rarement confrontée à des choses violentes où le dialogue est impossible « . Elle explique alors n’avoir été confrontée qu’à deux cas, dont le dernier remonte à il y a 9 mois. Pourquoi dans ce cas aller chercher la petite bête ? Pour Nacira Guénif-Souilamas « c’est une diversion idéologique obscène ». Elle s’explique :
« Les hôpitaux sont concernés par des problèmes bien plus importants que ces altercations extrêmement marginales, comme la réduction du personnel hospitalier. Mais Bernard de la Villardière déplace le curseur en pointant du doigt la religion musulmane qui serait un problème. »
« Je crois au contraire que je rends service aux musulmans de France »
Après toutes ces polémiques suscitées par Dossier Tabou, Bernard de la Villardière, a souhaité répondre à ceux qui l’accusent de racisme et de faire le jeu du Front national. Seulement voilà, pour cela, l’animateur a choisi de s’exprimer au micro de Boulevard Voltaire, le site fondé par Robert Ménard. « Nous n’étions pas au courant », nous indique-t-on chez M6 à propos de cette maladresse, avant d’annuler au dernier moment notre interview avec le rédacteur en chef de l’émission. « On nous dit : ‘Vous faites le jeu du Front national’, or c’est stupide puisque nous nous sommes appuyés à la fois sur des militants laïcs et républicains (…) et des élus du Front de gauche qui dénoncent comment les communes cèdent du terrain devant les revendications islamistes », déclare-t-il sur Boulevard Voltaire.
« Je crois au contraire que je rends service aux musulmans de France en mettant en lumière les tentatives de mainmise de l’islam par des mouvements qui ont une idéologie attentatoire à la République, à l’image du salafisme », a-t-il indiqué sur programme-tv.net.
Pour son premier numéro, Dossier Tabou a été suivi par 2,4 millions de téléspectateurs, soit 12,2% de pars d’audience, le troisième meilleur score de la soirée. « Il faut donc appeler à la responsabilité médiatique face à l’impact que peut avoir un objet télévisuel », conclut Nacira Guénif-Souilamas.
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