Peu à peu éclipsé par Mario, le célèbre gorille de Nintendo revient en force dans Donkey Kong Country: Tropical Freeze. La preuve que la pop culture n’oublie jamais complètement ses héros.
Tokyo, mai 2018. La golden week est passée, les premiers rayons du soleil commencent à poindre sur la capitale nippone mais Donkey Kong est étrangement absent. À Akihabara, le quartier électronique où s’agglutinent les amateurs de mangas et de jeux vidéo, Mario, Sonic ou Kirby s’affichent à tous les coins de rue.
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Mais le célèbre singe de Nintendo et sa fidèle cravate rouge ne sont visibles nulle part. Il faut aller chiner au second étage de Super Potato, le temple du retrogaming où toutes les antiquités de l’histoire du gaming sont regroupées, pour finir par tomber sur des peluches à son effigie, tout en haut d’une étagère poussiéreuse.
“C’est vrai qu’il est moins populaire qu’avant”, concède l’un des vendeurs avec un sourire gêné. D’autant plus surprenant que le fameux singe débarque enfin sur Nintendo Switch avec Donkey Kong Country: Tropical Freeze (remake de sa version Wii U sortie en 2014). Dans ce jeu de plate-forme à l’ancienne d’une efficacité redoutable, Donkey Kong et sa famille font face à une horde de vikings qui rêve d’envahir leur île.
Le succès commercial qui a d’abord sauvé Nintendo America
L’histoire est injuste. Tout le monde semble avoir oublié que Donkey Kong fut l’un des premiers jeux de l’histoire de Nintendo, en 1981. A l’époque, la célèbre firme rouge de Kyoto sort d’un échec majeur. Sa borne d’arcade, Radar Scope, conçue pour conquérir le marché américain, est un fiasco commercial.
Pour éviter la faillite à sa branche US, la maison-mère lance une opération de sauvetage. Elle confie à un jeune game designer prometteur du nom de Shigeru Miyamoto la lourde tâche de réutiliser les bornes non vendues pour créer un nouveau jeu. Le futur créateur de Zelda et Mario travaille d’abord sur un jeu adapté de la licence Popeye mais au dernier moment les droits lui sont refusés.
“Ils ont alors inventé de nouveaux personnages qui sont devenus Pauline (la demoiselle à libérer), Mario (le sauveteur en salopette) et Donkey Kong, le facétieux gorille kidnappeur”, raconte Régis Monterrin, auteur d’une passionnante Histoire de Donkey Kong aux éditions Pix’n Love.
Baptisé Donkey Kong, le jeu voit Mario gravir poutres inclinées et échelles retorses afin d’éviter les tonneaux en bois jetés par le gorille. C’est un incroyable succès. Il s’écoule à 80 000 exemplaires sur le seul territoire américain et à plus de 65 000 pièces au Japon. “C’est l’une des bornes d’arcade les plus vendues, détaille Régis Monterrin. Le marché est alors inondé de gadgets, goodies, céréales ou encore cartoons à l’effigie du célèbre gorille, qui devient le second personnage de jeu vidéo après Pac-Man à connaître une reconnaissance internationale de cette ampleur.”
Evincé par Mario
Durant cinq ans, Donkey Kong aura le droit à sa propre émission jeunesse sur France 2, fera quelques apparitions dans Les Simpson et sera même à l’origine d’une expression ultra populaire aux Etats-Unis : “It’s on like Donkey Kong” (“il est temps de sortir le grand jeu”) grâce à un titre du rappeur Ice Cube.
Mais, au fil du temps et des aventures, Mario (qui a pris son nom du propriétaire des entrepôts de Nintendo of America à Seattle) devient la mascotte officielle de la marque rouge.
Un gorille cuisiné à toutes les sauces
“Si Donkey Kong n’a pas pris ce rôle, c’est sans doute parce qu’il a été pensé comme un antagoniste (en somme, le pendant de Brutus, l’ennemi de Popeye) et non un héros, mais aussi parce que Nintendo a été échaudée par le procès intenté par les détenteurs des droits de King Kong, le film de 1933, même s’il l’a remporté”, estime Régis Monterrin.
Après avoir été cuisiné à toutes les sauces par Nintendo (jeux musicaux, d’escalade, de course sur rails…), le gorille a fini par être remisé au placard. “Lors de la création du jeu et durant les années qui suivirent, Nintendo a réalisé de belles choses avec. Et puis, au fil du temps, la popularité du gorille s’est estompée et ils se sont focalisés sur Mario.”
Pour le singe conçu par Miyamoto, le salut est paradoxalement venu de l’Angleterre. Au mitan des années 1990, le studio britannique Rare réalise une véritable prouesse technologique avec Donkey Kong Country, un jeu dont l’ensemble des personnages et des décors sont réalisés en images de synthèse.
Alors qu’une nouvelle génération de consoles (Saturn, PlayStation) pointe le bout de son nez, cette aventure atteint le chiffre mirobolant de 9 millions de cartouches et rentre dans le top 3 des jeux les plus vendus de l’histoire de la Super Nintendo.
Un remake soigné
Aujourd’hui revenu en grâce au sein de Nintendo, comme le prouve ce remake soigné pour Nintendo Switch, DK n’a pas fini de se balancer au bout d’une liane. “Jadis, il était un gorille idiot (d’où l’utilisation erronée par Shigeru Miyamoto du mot ‘donkey’, dans le sens ‘âne’, ‘bête’, ‘stupide’) et aujourd’hui, il est l’un des incontournables compagnons de Mario. Je pense notamment à ses apparitions dans Mario Kart, Mario + The Lapins Crétins ou à sa présence dans le prochain casting de Super Smash Bros”, conclut Régis Monterrin.
Quant à son étoile dans le panthéon de la pop culture, elle semble assurée. En 2015, dans le film Pixels, fabuleux nanar mettant en scène la rébellion de personnages de jeux vidéo, Adam Sandler éprouvait toutes les peines du monde à éviter ses barils explosifs. Preuve que le gorille est là pour durer.
David Doucet
Donkey Kong Country: Tropical Freeze, Nintendo Switch.
Régis Monterrin, L’Histoire de Donkey Kong, édition Pix’n Love, 2018.
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