Candidat à la présidence des Etats-Unis et pote de Hugh Hefner, boss de ”Playboy”, Donald Trump entretient sa muflerie comme marque de fabrique. Un sexisme assumé qui n’inverse en rien la courbe des sondages.
A 24 ans, Surya Yalamanchili s’est fait virer par Donald Trump. Pas de mal, c’est le jeu. Le principe même du programme télévisé The Apprentice où, de 2000 à 2010, une vingtaine de candidats par saison se battaient jusqu’au dernier pour obtenir un emploi de manager dans une des branches de l’empire Trump. Surya a duré huit épisodes. Il a d’abord pris son éviction à la bonne.
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Rencontré à New York, il dit aux Inrocks que, quelque part dans un carton chez ses parents, il existe toujours une lettre personnelle de Trump le félicitant pour son parcours. Depuis, il a changé d’avis. La réalité de The Apprentice, que Surya appelle “Trumpland”, est un monde où le pouvoir de Trump est absolu et où “la vie humaine ne vaut que si elle flatte l’ego du Donald”. Surya a dévié de la ligne lors du live de fin de saison – un trait d’humour malheureux que Trump n’a pas apprécié.
Télé poubelle
A l’époque où Loft Story démarrait en France, The Apprentice cartonnait aux Etats-Unis. C’était nouveau, frais. Un mélange de business, de coups bas typiques de la télé poubelle, et de glamour, avec de splendides participantes. Chaque soir, Trump avait le dernier mot et virait le plus faible à ses yeux – le vote du public n’apparaîtra que plus tard à la télévision, avec The Voice.
Pourquoi Surya a-t-il participé à l’émission ? “Parce que j’étais jeune et con.” Il a quand même eu l’honneur, à la suite d’une victoire de son équipe – sept filles et deux gars – de passer une soirée à la Playboy Mansion de Los Angeles avec Hugh Hefner, le créateur de Playboy.
Trump connaît le vieux gourou pour lui avoir accordé plusieurs interviews, et avoir eu l’honneur d’une couverture en 1990, en plein divorce d’avec sa première femme Ivana. Un divorce feuilletonné par les tabloïds new-yorkais pendant plusieurs mois.
Dans le show, on voit les candidats sortir d’une limousine garée dans la cour du manoir de Playboy. Hugh Hefner les accueille en peignoir avec ses trois petites amies officielles. “Il y a plus de filles que de garçons, commente Hefner. Je sens qu’on va faire une belle fête.”
Surya Yalamanchili, et son physique d’Indien fluet, est invisible, toujours derrière les business women de son équipe. Hefner installe les invités dans son salon avec feu de cheminée qui crépite pour leur expliquer les secrets de la réussite, avant de les emmener au bord de sa piscine, où les attendent une quarantaine de playmates.
“Regardez qui arrive !”, crient les filles
Alors que les bunnies barbotent, The Donald entre en scène, les sourcils froncés, l’air du pion qui entre dans un dortoir. “Regardez qui arrive !, crient les filles. Donald Trump !” La fête continue. Trump complimente une bunny sur son physique, prend la main d’une candidate.
Le passage dure trois minutes, mais la soirée a duré trois heures. Surya se souvient de cette phrase de Trump à Hefner en petit comité, coupée au montage : “C’est dur de dire lesquelles de toutes ces filles sont les tiennes ou les miennes.”
Déclarations vulgaires
Ce rapport à la possession et au physique des femmes a interpellé Surya. “Dans le show, il favorise celles qu’il trouve les plus belles. En groupe, il séparait souvent celle qui semblait pour lui la plus attirante au point de flirter avec elle devant les caméras.” Pas de quoi fouetter un chat dans la galaxie Trump. De telles anecdotes sont innombrables, elles ne l’ont pas empêché de réussir son hold-up du Parti républicain.
Ses adversaires essaient d’exploiter ses déclarations vulgaires sans aucun succès. Les partisans de Trump ont une explication : cette attitude était une façade pour associer le nom et la marque Trump à un style de vie flamboyant, glamour, pour mieux vendre ses produits.
Avec l’affrontement final contre Hillary Clinton qui se profile cet automne, la goujaterie, l’association avec Playboy, les marques Miss USA et Miss Univers dont il fut propriétaire, n’arrangent pas son affaire avec l’électorat féminin. Mais Trump a l’avantage de ne prendre personne au dépourvu. Et ça n’a pas eu l’air de déranger les chrétiens fondamentalistes, qui l’ont préféré à Ted Cruz lors de la primaire alors que ce dernier faisait du conservatisme religieux son fonds de commerce.
Interrogé sur une radio chrétienne de Milwaukee en mars, Trump avait été clair quant à ses commentaires dégradants à propos des femmes durant sa carrière : “Les règles sont différentes maintenant. Jamais, à l’époque, je n’aurais pensé me lancer pour la Maison Blanche.” Or les ambitions politiques ont régulièrement titillé Trump depuis la fin des années 1980, alors que son empire immobilier atteint son apogée.
Déjà, à cette époque, Donald Trump exaspérait beaucoup de monde. En premier lieu les tabloïds new-yorkais, qui le dézinguaient sans relâche tout en lui offrant leurs unes et une couverture médiatique maximum. Invité à la télévision, Trump proposait au président Reagan son aide pour dealer avec les Russes grâce à son expérience conjugale, sa femme venant des pays de l’Est.
Les plus grosses obscénités de Trump sur les femmes s’écoutent dans les archives radio d’Howard Stern, l’intervieweur culte qui mélange questions salaces et sérieuses pour tirer le maximum de ses invités. En quinze ans d’entretiens, Trump n’a jamais mis la pédale douce chez Stern. Il a jugé et noté entre 1 et 10 le physique de dizaines de femmes, même quand il était marié. En 1997, après la mort de la princesse Diana : “Tu l’aurais bien niquée, allez… taquine Stern. – Oui, je pense que oui. – Et Mariah Carey alors ? Tu la niques ? – Ah, oui, sans hésitation !”
Quand Trump achète le show Miss USA, il veut “rétrécir les maillots et allonger les talons.”
Quand Trump achète le show Miss USA en 1997, il annonce vouloir “rétrécir les maillots et allonger les talons.” En 2005, chez Stern encore, en tournée de promo pour Miss USA : “Si vous voulez une intello, n’allumez pas votre télé… Mais si vous cherchez une vraie belle femme, alors là !” Les meilleurs spin-doctors ne pourront faire oublier ces déclarations hors limites. Mais à quoi bon ?
Ses fameux commentaires sur la journaliste Megyn Kelly en pleine campagne électorale – questionné sur sa misogynie lors d’un débat, Trump tweete le lendemain qu’elle était agressive parce qu’elle avait ses règles – l’ont laissé totalement indemne dans les sondages. L’épisode a même profité à Kelly, qui, avant d’être une victime de la misogynie de Donald Trump, polarisait l’opinion sur Fox News avec des positions d’extrême droite sur les violences policières et les traditions de Noël piétinées.
Un workaholic
A plusieurs égards, Trump semble fonctionner à l’inverse d’un Dominique Strauss-Kahn. Il parle énormément de sa libido, s’en vante, mais ne semble pas abuser de sa position en coulisses. Ceux qui le fréquentent depuis les années 1990 disent qu’il n’est pas un Don Juan, mais un workaholic qui rentre chaque soir regarder la télé avec un paquet de bonbons.
Si Trump est amoureux, c’est surtout de son boulot. “Trump n’est pas obsédé par les femmes, mais par son travail”, précise son ancien avocat Jay Goldberg au Washington Post. Kate Bohner, qui a coécrit son livre The Art of the Comeback, dit de Trump que même entouré de belles femmes, il ne s’intéressait pas vraiment à elles.
Normaliser son image
“C’était uniquement pour développer son image de marque. Je le vois plus paternaliste que séducteur.” Les spin-doctors qui se rallient à Trump et tentent de normaliser son image adhèrent totalement à cette ligne. Ed Rollins, politologue républicain s’est rallié à Trump début mai : “Il y a dix ou vingt ans, Trump était un voyou, une version plus jeune de Hugh Hefner. Aujourd’hui, il est vu comme un businessman cumulant les succès, une célébrité et un bon père.”
Dix ans après The Apprentice, Surya Yalamanchili, aujourd’hui âgé de 34 ans, est cadre exécutif d’une start-up située à Manhattan, sur la Cinquième Avenue. De la main à la main ce mardi midi, il passe aux Inrocks un essai autoproduit et achevé dans l’urgence le mois dernier, Decoding the Donald, fondé sur la trentaine d’entrevues qu’il a eues avec Trump, son expérience de la télé-réalité et son aventure en politique (en 2010, il fait campagne pour le Congrès dans le deuxième district de Cincinnati et assiste à l’éclosion du mouvement Tea Party).
Show de télé-réalité géant
Avec l’ascension de Trump ces derniers mois, il s’est trouvé en plein flash-back et a voulu écrire dessus. Le livre est exempt de détails croustillants sur Trump durant le show. “Je préfère les garder au cas où il attaque mon livre”, se justifie Surya, comme s’il en avait encore sous le coude. En revanche, il explique comment la politique, pour Trump, serait comme un show de télé-réalité géant.
Il soutient que les candidats de The Apprentice, lui compris, étaient sous l’emprise d’une sorte de syndrome de Stockholm, en flattant Trump à chaque rencontre. Ils étaient chargés par la production d’effacer leur personnalité à l’extrême, de se rendre plus cons qu’ils ne l’étaient (Surya développera une image de geek un peu robotisé) pour respecter les impératifs télévisuels, ce qui ressemble à délivrer un message politique moderne, en l’écourtant et en le simplifiant au maximum.
Surya n’a jamais réussi tout à fait à décoder Trump : “Franchement, personne ne peut savoir ce qui se passe à l’intérieur de sa tête.” Il se souvient de quelqu’un de simple et jovial, charmant même, une fois la caméra éteinte, mais ausi d’un opportuniste.
“Il dira toujours ce qui l’arrangera sur le moment. Ça fait partie du personnage. Il applique ce précepte aux femmes quand il les ridiculise ou les sexualise.” Et d’un homme qui renvoie l’ascenseur uniquement à ceux qui le flattent ou ne questionnent pas son jugement : “Homme ou femme en fait, il s’en fout, tant que tu fais ce qu’il veut.”
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