L’arrestation début novembre de six personnes liées à la mouvance de l’ultra-droite, et souhaitant s’en prendre au président Macron, réactive la question d’une violence des extrêmes de la droite de la droite.
Du fracas des bombes et du sang de l’extrême-droite, sûrement n’en avions nous qu’un lointain souvenir. Pourtant, son spectre plane comme un mauvais génie. Le 6 novembre dernier, six personnes étaient interpellées dans les départements de l’Ille-et-Vilaine et de la Moselle pour un projet d’action violente contre Emmanuel Macron. Des individus liés à la mouvance de l’ultra-droite, d’après une information de France Bleu Lorraine Nord confirmée par Christophe Castaner, le tout récent ministre de l’Intérieur, au micro de France Bleu Nord : « Il y avait des menaces concrètes qui nous ont inquiétés » et qui « ont conduit à ces interpellations« . Avec cet événement une question a été relancée, celle d’une violence de l’ultra-droite qu’on pensait enfouie dans les ruines du XXe siècle.
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Projets « imprécis », mais réelle volonté
L’interpellation de ces cinq hommes et une femme par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) tend pourtant à relativiser le sérieux du projet. L’enquête ouverte par le parquet de Paris « vise un projet, imprécis et mal défini à ce stade, d’action violente contre le président de la République » selon une source de franceinfo. A l’origine de ces interpellations, des écoutes téléphoniques faisant état de « comportements d’un réseau lié à l’ultra-droite qui depuis quelques temps monte en puissance et se tourne vers l’hyper violence. Il y avait des menaces concrètes, c’est pourquoi la DGSI a procédé à des interpellations », selon Christophe Castaner. Un réseau en réalité à ses prémisses, et où la volonté de passer à l’action – sans pour autant savoir comment – justifiait leur arrestation. Le 10 novembre, quatre hommes, âgés de 22 à 62 ans, sont présentés à un juge antiterroriste et mis en examen pour association de malfaiteurs et détention non autorisée d’armes en relation avec une entreprise terroriste. Ils reconnaissent qu’ils étaient sur le point de passer à l’action, et ont été placés en détention provisoire.
Cet événement fait écho à une actualité de plus en plus récurrente. Le 24 juin dernier, un certain Guy Sibra, chef présumé du groupuscule d’Action des forces opérationnelles, et une dizaine d’hommes, était arrêté avant d’être relâché début juillet. Ils étaient alors soupçonnés de préparer des attentats contre des mosquées et imams radicalisés, à coups d’explosions mais aussi en empoisonnant la nourriture halal dans les magasins. Un an plus tôt, en juillet 2017, un ancien membre de l’Action Française Provence, Logan Nisin était arrêté. Avec son groupe baptisé OAS, du nom de l’Organisation armée secrète sévissant dans les années 1960 pour lutter contre l’indépendance de l’Algérie, il envisageait de commettre des attentats contre des mosquées mais aussi des hommes politiques comme Jean-Luc Mélenchon ou Christophe Castaner.
Retour de l’ultra-droite et évolution de la violence
De ces arrestations, une formule imprègne les médias : « ultra-droite », parfois vue comme imprécise voire fourre-tout. Cette expression « s’est imposée quand les Renseignements Généraux ont eu ordre de ne plus s’occuper de politique hormis pour les milieux violents », détaille Nicolas Lebourg, spécialise de l’extrême droite. « L’expression leur permettait de bien spécifier qu’ils ne s’occupaient pas des militants légalistes d’extrême droite », poursuit le co-auteur d’une étude intitulée La violence des marges politiques des années 1980 à nos jours. Dès lors, si la formule ne souligne pas forcément une absence de précisions, le chercheur remarque que comme tous les grand espaces politiques, celui-ci est empli de courants divers et contradictoires, mais avec quelques points communs : le cœur idéologique étant ici l’organicisme, c’est à dire une vision biologique de la société. « La feinte délicate c’est que les radicaux d’extrême droite sont ceux qui réclament une révolution anthropologique, par exemple les fascistes, précise Nicolas Lebourg. Or ces radicaux peuvent être non-violents, tandis que les modérés idéologiques peuvent participer de l’ultra droite en optant pour l’activisme ou le terrorisme. »
Peut-on pour autant parler d’un retour de cette violence ? « Il y a une remontée depuis 2014, et plus encore depuis 2015, par réaction aux attentats et à la crise des réfugiés. Cela s’inscrit dans un contexte européen : en Angleterre, en Grèce, en Allemagne, en Suède aussi avec la crise des réfugiés qui a provoqué de la violence d’extrême droite », poursuit le chercheur. Pour autant, il tient à relativiser : « On n’est pas encore en 1979 où on avait eu cinquante attentats d’extrême droite à l’explosif en France, mais en visant plutôt les biens que les gens alors qu’aujourd’hui il y a l’extrême droite activiste qui a une envie de frapper les hommes et non les biens. »
Une violence en devenir ?
Une violence donc en évolution, portée par des hommes bien différents de ceux qui l’incarnaient dans la deuxième moitié du XXe siècle, qui eux avait connu la guerre et l’Occupation. « Beaucoup de membres de groupuscules d’extrême droite après la Seconde guerre mondiale avaient été formés par la Gestapo ou dans des officines nazies », détaille le journaliste d’investigation Fréderic Charpier, auteur d’une enquête conséquente sur le sujet – Les plastiqueurs : une histoire secrète de l’extrême droite violente. « Quand vous avez combattu sur le front de l’Est ou servi d’auxiliaire pour la Gestapo, vous connaissez, par exemple, l’art de la clandestinité et avez manipulé des armes ou des explosifs. » Une expérience du combat tendant à relativiser les récentes arrestations de certains individus. « Il faut extrêmement se méfier de ceux qui ont un savoir-faire, un peu moins des naïfs qui racontent sur les réseaux sociaux qu’ils ont l’intention d’aller tuer Castaner ou Mélenchon », souligne en riant jaune Fréderic Charpier.
Reste qu’hier comme aujourd’hui, une idéalisation de la violence à des « effets attractifs sur les gens », reconnaît le journaliste.
» Quand on est jeune, il y a une forme de romantisme associée à la bagarre, ou à la clandestinité, à la virilité. Il y a une sorte de frime chez certains. «
De son côté, Nicolas Lebourg a établi la violence comme un « élément esthétique majeur des mouvements de l’extrême-droite radicale« . Une esthétisation dont le point culminant pourrait être le suicide très théâtral d’un des maîtres à penser de l’extrême droite dans la cathédrale Notre-Dame de Paris en 2013 : Dominique Venner. « Quelque part il a réveillé cette histoire particulière », commente Fréderic Charpier. Une histoire que ce dernier n’estime pas ressuscitée en France. Ici, le suicide de Venner n’a pas eu l’effet escompté, c’est-à-dire le réveil des consciences contre l’attaque civilisationnelle que subirait l’Occident face à l’islam et l’immigration de masse.
« Certains de ses membres peuvent se marginaliser eux-mêmes pour passer à l’action »
« Mais en Italie, par exemple, il y a eu un effet Venner qui s’est traduit dans la republication de beaucoup de ses bouquins. Un responsable de Casapound [mouvement néo-fasciste dont la version française est aujourd’hui le Bastion social] l’a récupéré, et le diffuse très largement », relate Fréderic Charpier pour qui la violence de l’ultra-droite est pour l’instant plus à craindre dans les autres pays européens. « Avec une actualité marquée par la montée des populismes au niveau européen, la menace est de plus en plus forte parce que les réseaux existent déjà, souligne le journaliste. Ainsi des Européens issus de ces mouvances sont partis se battre en Ukraine ou en Syrie ». Des terrains où ils acquièrent une expérience pour de potentielles actions futures. « Mais en France, pour l’instant, il n’y a pas d’organisation clandestine organisée, structurée, qui échapperait à la surveillance des services secrets. Parce qu’on n’a pas encore réuni toutes les conditions pour la formation de ces groupes. »
D’autant que les principaux mouvements politiques d’extrême droite français se caractérisent par l’intériorisation de l’impopularité de la violence, comme nous le confiait en juillet dernier un autre spécialiste de l’extrême-droite française, Stéphane François, précisant que « certains de ses membres peuvent se marginaliser eux-mêmes pour passer à l’action », comme cela a été le cas pour Logan Nissin. « Ceci dit justement lorsque Génération identitaire a occupé une mosquée à Poitiers en 2012, donc même pour une action symbolique, il y avait des militants fichés S et des qui ont un vrai CV en matière d’action violente. Ainsi les identitaires est un mouvement non-violent qui peut aider à canaliser des personnalités qui, sans lui, iraient à la violence. Mais comme les items idéologiques qu’ils mobilisent sont ceux qui motivent les activistes, il y a bien sûr une partie des gens dans la zone grise », complète Nicolas Lebourg.
Une violence, pour l’instant, maîtrisée, organisée où l’émergence, par exemple, de salles de boxe serviraient ce contrôle « d’homme de violence » théorisé par Birgitta Orfali. Pour autant, « il faut se méfier des discours d’extrême droite, rappelle gravement Fréderic Charpier. Ce que j’entends par là, c’est ce qu’ils appellent la métapolitique, c’est-à-dire les masques. Parler avec le drapeau dans sa poche, et parler autrement en affirmant qu’ils ont passé le cap de la violence. Car au fond, vous avez des écrits qui évoquent la ‘rémigration’, le rembarquement. Et c’est là que les esprits s’échauffent pour potentiellement devenir violents. » En mai 2018, justement, Marion Maréchal-Le Pen lançait son Institut des sciences sociales, économiques et politiques (ISSEP), première pierre d’une reconquête culturelle et métapolitique à la Gramsci. Une reconquête se voulant dénuée de toute violence physique. Plus récemment, La Nouvelle librairie, rassemblant auteurs de la droite de la droite mais aussi collaborationnistes, faisait son entrée dans le quartier Latin, et sonnait une fois de plus le tocsin de ce nouveau combat.
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