D’une ampleur inédite, cette fresque au titre volontairement troublant fait oeuvre d’histoire. Le récit du long chemin, inachevé, pour accéder à la reconnaissance.
Le documentaire de Karim Miské, Emmanuel Blanchard et Mohamed Joseph tombe à pic. Alors que les débats fumeux sur l’identité nationale ont fini par s’enliser et bien que les réalisateurs plaident le hasard – ils ont lancé leurs recherches bien avant le (faux) débat d’Eric Besson –, ce documentaire propose une autre “histoire de France” vue depuis celle des “musulmans de France”.
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Le titre, problématique à bien des égards, n’a pas été choisi par hasard : “Il s’agissait d’établir la communauté dans sa généalogie tout en vidant le terme de son essence religieuse”, commente Karim Miské.
Historien et coréalisateur de ce documentaire en trois parties richement documenté, Emmanuel Blanchard précise : “Il y a un peu d’ironie dans ce titre : sont en fait musulmans ceux qui sont perçus comme tels, qu’ils soient croyants ou non. C’est une manière de se moquer de la confusion qui s’opère presque systématiquement entre l’ethnique, le religieux et l’identitaire. Les “musulmans de France”, c’est un personnage collectif. Ce sont d’abord ces indigènes que nous évoquons dans la première partie, puis des immigrés et enfin des Français.”
Cette fresque qui donne la parole “à des Français comme les autres, sauf qu’au lieu de s’appeler Martin, ils s’appellent Fatoumata Coulibaly, styliste, Abdel Raouf Dafri, le scénariste d’un Prophète, ou Bariza Khiari, sénatrice PS”, démarre au début du XXe siècle. Une première rupture est liée à la Seconde Guerre mondiale et une seconde césure a lieu en 1981.
Le découpage, à peu près celui d’une histoire de France “classique”, permet de voir comment a évolué l’image et par conséquent le statut de ces “musulmans de France”.
En 1904, on compte environ 5000 musulmans, essentiellement kabyles, travaillant en France. Venus des colonies, ils participent activement à l’immigration ouvrière.
“Avec ce premier épisode, nous voulions rappeler que ces individus étaient alors des Français à la citoyenneté “amputée” qui, très tôt, s’engagent dans la lutte ouvrière, se syndiquent et oeuvrent pour la reconnaissance de leur droits” explique Karim Miské.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’arrivée des familles de ces ouvriers et soldats qui ont travaillé et combattus pour la France, change la donne : ils deviennent alors des “immigrés”.
Après la toute relative vague “islamophile” du milieu des années 1920 (construction de la Mosquée de Paris et d’un hôpital, sous contrôle policier, qui leur est exclusivement réservé), les “musulmans de France”, pour beaucoup solidaires de la guerre d’indépendance en Algérie, deviennent tous sans distinction des suspects.
Dans le même temps, on découvre les conditions de vie désastreuses des Algériens, Marocains, Sénégalais ou Maliens qui s’entassent dans le bidonville de Nanterre et les logements précaires.
Les années 1980 marquent un tournant décisif avec la naissance de ceux que l’on appelle désormais les “Beurs”, ces enfants d’immigrés nés en France, une génération tout entière qui n’entend pas se taire et lance en 1983 la fameuse Marche des Beurs.
C’est le début d’une période que les réalisateurs du film considèrent comme “schizophrénique”, entre émergence d’une identité métissée, la France Black Blanc Beur, et recrudescence du racisme. Stigmatisées, certaines communautés seront parfois poussées à se replier sur elles-mêmes.
Autre paradoxe : “Les médias mettent systématiquement en lumière les cités quand 80% de ces enfants d’immigrés sont des Français moyens comme les autres”, rappelle Karim Miské.
En “déplaçant les lignes de fractures habituelles”, en ne s’épargnant aucun des sujets qui fâchent, “des miasmes coloniaux” au racisme réciproque, et surtout en se déployant sur plus d’un siècle, cette série documentaire démontre avec une grande justesse que ces immigré(e)s et fils et filles d’immigré( e)s sont bel et bien des éléments constitutifs et indissociables de l’identité de la France.
Musulmans de France Série documentaire (3 x 52 mn) de Karim Miské, Emmanuel Blanchard et Mohamed Joseph. Mardi 23 février, 20 h 35, France 5. Sortie en DVD le 11 mars (France Télévisions Distribution)
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