State Legislature observe le quotidien du parlement de l’Idaho. Un éclairage précieux sur l’appareil législatif américain.
La devise officieuse de Frederick Wiseman est : “Je n’interviens pas”. Dans un sens, c’est un leurre. Car, comme Glenn Gould qui donnait l’impression trompeuse d’interpréter Bach de façon dépassionnée, métronomique, Wiseman a beau vouloir s’effacer derrière son sujet et faire disparaître tout geste artistique dans son travail, il se manifeste par sa manière très diverse d’articuler ses documentaires, d’en aborder les enjeux.
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State Legislature a un point commun flagrant avec son dernier film sorti en salle, La Danse : il a été tourné presque entièrement dans un immense bâtiment abritant une institution. Dans La Danse, c’est l’opéra Garnier à Paris, quartier général du Ballet national français. Dans State Legislature, c’est le Capitole de l’Etat d’Idaho, à Boise, où siège le gouvernement local.
Mais si, dans La Danse, Wiseman détaillait l’Opéra – du toit, où se trouvent des ruches, au sous-sol où, l’on élève des carpes –, dans State Legislature, il s’intéresse exclusivement aux débats législatifs du Parlement. On ne voit presque rien des coulisses de ce majestueux édifice (qui recèle par exemple un mystérieux souterrain le reliant à la cour suprême de l’Idaho). D’une certaine façon, cela rend State Legislature plus monocorde. Il n’a pas l’aspect diaporama de La Danse ou de Belfast, Maine, sorti dix ans plus tôt.
Pourtant, ce film est précieux, car c’est l’un des rares qui montrent la démocratie américaine en action. Il remet les pendules à l’heure en rappelant aux Français, peuple jacobin et centralisé, ce qu’est un pays fédéral : une association d’Etats semi-autonomes qui légifèrent en toute indépendance sur de nombreuses questions.
On parle souvent du Sénat américain et de la Chambre des représentants de Washington, mais on oublie l’existence d’un même système bicaméral au niveau des différents Etats. Le film décrit les travaux du parlement de l’Idaho et de ses différentes sous-commissions. On assiste à des discussions sur des points de détail ou sur des aspects plus vastes de la réglementation de la vie sociale et/ou industrielle de l’Etat ; sur la nécessité de créer une loi sur un problème donné.
La politique suscite parfois des comédies loufoques, comme In the Loop. Ici, ce n’est pas aussi folichon, mais d’une remarquable rationalité. Une myriade de sujets sont évoqués : du voyeurisme vidéo à la maternelle obligatoire, en passant par le tarissement des nappes phréatiques et la pollution de l’eau. On remarque l’absence de minorités visibles dans le corps législatif de l’Idaho, Etat conservateur par excellence. Seule une discussion animée dans un couloir sur l’accès des sans-papiers (mexicains) au permis de conduire, rappelle que nous sommes au pays du melting-pot.
Etonnant à quel point un tel documentaire prend le contre-pied de la dramaturgie hollywoodienne. L’Amérique modeste et pragmatique de State Legislature, où le gentleman’s agreement semble dominer – les débats sont conduits avec une grande courtoisie –, n’apparaît guère dans les œuvres de fiction, soumises au diktat de la théorie du conflit ou du complot.
State Legislature Documentaire de Frederick Wiseman. Vendredi 14 mai, 22 h 55, Arte
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