[Reportage] Soixante ans après la guerre, la frontière qui divise la péninsule depuis 1953 au 38ème parallèle est devenue un no man’s land qui vacille entre ultra-militarisation et zone touristique.
La semaine du 20 août, tous les habitants de la Corée du Sud ont pris part à des exercices de protection civile pour se préparer à une possible attaque de la Corée du Nord. Des tests qui ont lieu chaque année. Les échanges de coups de feu à la frontière entre les deux Corées et les régulières menaces du jeune leader nord-coréen, Kim Jong-un, ravivent ponctuellement les craintes d’un conflit armé. Le dernier datant du 14 août. Bienvenue à la DMZ, l’excursion touristique la plus courue de Corée du Sud.
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12h30 : Départ du Camp Kim USO
Le rendez-vous est au camp du United Service Organisation, USO. Sur place, le « tour-operator » fait signer un papier déclinant toute responsabilité en cas d’attaque. Dans la salle d’attente, les touristes armés d’appareils photos trépignent d’impatience. Dans cette horde de curieux, il n’y a pas l’ombre d’un Coréen. En effet, ils ont la prohibition formelle d’assister au tour, seule façon de s’approcher de la frontière.
Sitôt sorti de Séoul et de ses multiples gratte-ciels, le bus fonce sur l’autoroute le long de la rivière Han. Direction le nord et la DMZ. Cette zone démilitarisée est une étroite bande de terre longue près de 250 kilomètres et large de 4 kilomètres, son but : servir de zone tampon. Le long des 60 kilomètres séparant la capitale de la frontière la plus militarisée au monde, le circuit touristique, au milieu des fils de fer barbelés, sacs de sable et guérites tous les 200 mètres, commence. Le tourisme de guerre trouve en Corée ses lettres de noblesses.
13h30 : DMZ, réserve écologique et troisième tunnel
Une heure plus tard, le bus s’arrête pour la première étape. Une dizaine de cars déjà garés sur le parking, attendent le retour des touristes. La visite débute par la projection d’une vidéo sur la guerre de Corée et la DMZ. Un bombardement d’images qui donne l’impression que la situation va exploser sous peu: tunnels, scénarios d’invasion, menaces pesants sur Séoul, ripostes… Quand tout à coup, un cerf pointe le bout de son museau. Voilà le monde merveilleux que renferme cette parcelle de terrain. Un hymne à la faune et la flore coréennes, car cette bande de terre est devenue une véritable réserve naturelle. Ce festival d’images est rythmé par une voix off punchy dont la cadence et le ton rappellent celle des films de propagande de la seconde guerre mondiale. La projection terminée, les touristes sortent de l’auditorium et se précipitent vers le « troisième tunnel ».
Le régime de Pyongyang avait creusé des galeries, appelées « tunnels d’agression » afin d’envahir le Sud. Quatre ont été découvert, le plus connu : le troisième tunnel démantelé en 1978. Percé à 73 mètres de profondeur, long 1,7 kilomètre, large 2 mètres, il peut facilement laisser passer 30.000 hommes par heure. À l’entrée du tunnel, hôtesses d’accueil, guides, vestiaire. Tout est parfaitement rodé pour accueillir « plus de 3.000 touristes quotidiens », explique l’une des responsables. Coiffés d’un casque jaune les visiteurs descendent pendant une dizaine de minutes avant d’entrer dans le tunnel. Le plafond étant à mesure de Coréens, l’aller-retour se fait dans un concert de «Aïe!» et de cognements.
14h30 : Le premier souvenir shop d’une longue série
Après ce court interlude sportif, familles, retraités, couples, anciens militaires, bref tous les visiteurs font un saut au premier gift shop d’une longue série. Ramener un souvenir d’une zone de guerre ? C’est possible. Du riz, des chocolats, de l’eau, et toutes sortes de goodies à la marque DMZ… Mais voilà que la pause shopping touche déjà à sa fin.
14h45 : De l’observatoire de Dora à la gare de Dorasan
Arrivés à l’observatoire de Dora, une ligne de démarcation tracée en jaune sur le sol à quelques mètres du belvédère délimite la zone « Photo ». Elle peut être franchie pour observer les plaines et montagnes de la Corée du Nord en face, mais pas question d’immortaliser le paysage. « Les Nord-Coréens pourraient croire que vous êtes un sniper!« , avertit le guide. Une minute plus tard un groupe de jeunes soldats se prend en photo avec la Corée du Nord comme fond… Entre militaires rigolant et touristes attroupés, l’on ne perçoit plus le moindre danger de guerre. Les Sud-Coréens semblent n’avoir qu’un mot à la bouche : réunification. Dans cet objectif la gare ultramoderne de Dorasan a été construite pour relier les deux pays quand ils ne seront plus qu’un. Un climat de film de science-fiction règne dans ces halls et couloirs fantômes glaciaux et aseptisés. Un peu plus loin un panneau indique la destination « Pyongyang ».
La gare vue, il faut se dépêcher pour la destination suivante. Sur le chemin menant à l’autocar, une mère raconte à ses enfants l’histoire de leur pays d’origine. « On habite aux Etats-Unis. En venant ici ils peuvent mieux comprendre d’où ils viennent« , explique-t-elle. La guide, elle, est plus partagée « Ça fait six mois que je suis guide pour ce tour et je suis étonnée de voir que tous les jours c’est plein. C’est triste de montrer la blessure du pays, mais c’est important pour l’histoire. » Près de 100.000 touristes font ce parcours chaque année.
16h00 : Camp Bonifas
A l’entrée flotte le drapeau des Nations-Unies. Placée sous le contrôle de l’ONU, la Joint Security Aera, JSA, fut créée lors de la signature de l’armistice. Elle abrite le siège de la Commission militaire d’armistice, chargée de faire appliquer les termes de l’accord de cessez-le-feu. La zone est coupée par une ligne de démarcation militaire, soit la vraie frontière entre les deux pays. En face de la « Maison de la liberté », se trouve le « Panmungak », une construction au style soviétique, siège des forces nord-coréennes au sein de la JSA. Sur la ligne de démarcation se tient un ensemble de baraques bleues utilisées pour les négociations entre Nations unies et l’armée nord-coréenne, ou par les autorités de Pyongyang et de Séoul. Autour, les soldats sud-coréens, poings fermés, immobiles, observent jour et nuit en chiens de faïence leurs homologues du nord.
Les visiteurs peuvent entrer dans l’un de ces bâtiments bleus. Au centre une table, un drapeau de l’ONU et deux militaires Sud-Coréens à l’attitude menaçante. Et surtout la frontière entre les deux Corée. « Ceux qui sont de l’autre côté de la table, vous êtes en Corée du Nord« , lance le général Fulford au milieu de l’agitation générale. « Maintenant si vous voulez vous pouvez faire des photos avec les militaires présents dans le bureau. » Aussitôt dit, aussitôt fait. Deux files se forment de chaque côté des « mannequins ».
16h30 : Tour du camp JSA
Dernier stop : le check point numéro 3. Au loin sur la gauche, hissé fièrement à 160 mètres au-dessus du sol, le plus grand drapeau au monde est nord-coréen et il a du mal à claquer au vent. A ses pieds, le village de propagande de Kijong-Dong appelé « Village de la paix » par le régime communiste, veut donner une bonne image du pays. Tel un décor de cinéma, il ne rassemble que des édifices vides.
Les forces armées nord-coréennes mobilisent 1,2 millions de personnes. L’armée sud-coréenne quant à elle, est composée de 655.000 hommes appuyés par 28.000 soldats américains. Mais le nombre exact de soldats stationnant du côté sud de la DMZ reste « secret défense », souligne l’officier Fulford qui enchaine sur le danger qui plane sur Séoul si un matin Kim Jong-Un décide d’attaquer.
De retour au camp Bonifas l’officier américain se laisse aller à quelques blagues avec son collègue. « Je veux même pas imaginer le nombre de #JSA qu’il y aura sur les réseaux sociaux dans une heure ». Bien que la situation entre les deux Corées soit périlleuse, on se prend à sourire en imaginant une attaque nord-coréenne alors que des touristes se rendent chaque jour à la frontière et que les soldats jouent les guides et organisateurs. Dans cette ambiance surréaliste, la zone démilitarisée, symbole de la tension entre les deux Corées, est devenue un musée de la guerre froide toujours présente dans ce coin du monde.
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