L’écrivain américain, récompensé par deux prix Pullitzer, est décédé à l’âge de 76 ans des suites d’un cancer. Il incarnait l’Amérique dans tous ses travers.
En apprenant la mort de John Updike, survenue en Nouvelle-Angleterre, on se retrouve instantanément en Floride, au bord d’un terrain de basket. L’émotion que suscite le décès, à 76 ans, de ce géant des lettres américaines rejoint ainsi celle que l’on ressentit lorsque, en 1990, son plus célèbre personnage fut victime d’un infarctus fatal. Sur le point de marquer un ultime panier, l’inoubliable Rabbit Armstrong fournissait alors un effort capable de « le mélanger avec la terre et le ciel » – au moment de tirer sa révérence, ce concessionnaire automobile à la retraite accomplissait, en Bermuda à carreaux, le genre d’exploit d’ordinaire réservé à la plume de son créateur.
Parmi la soixantaine d’ouvrages – romans, recueils de nouvelles, essais – que signa entre 1959 et 2009 John Updike, la tétralogie des Rabbit (Cœur de lièvre, 1960 ; Rabbit rattrapé, 1971 ; Rabbit est riche, 1981 ; Rabbit en paix, 1990) occupe une place cruciale. Originaire, comme Updike, d’une petite ville de la Pennsylvanie industrieuse, Rabbit était le héros idéalement moyen et malhabile d’un écrivain que fascinait l’Amérique ordinaire. Mais si Updike disait avoir pour sujet de prédilection la petite bourgeoisie provinciale, son écriture égayait de somptueux parterres de métaphores le chiendent quotidien, initiait aux joies du lyrisme les banlieues grises de la côte est. Sous le plaisir sensuel que procurait cette prose, une vision acide de l’évolution des Etats-Unis au cours des cinq dernières décennies faisait toutefois d’Updike l’un des plus fins analystes de la culture contemporaine.
Peu sensible aux diktats de la correction politique – et, à ce titre, parfois taxé de misogynie, d’homophobie ou, pour avoir soutenu l’intervention américaine au Vietnam, de patriotisme ringard – cet écrivain d’une inlassable curiosité et d’une prolificité jamais démentie aura ainsi abordé tous les thèmes, fait de la révolution sexuelle un sujet de best seller (Couples, 1968), consacré trois ouvrages à une satire du monde des lettres (Bech voyage 1970, Bech est de retour,1982, Bech aux abois, 1998), jeté le féminisme dans les bras du Malin (Les Sorcières d’Eastwick, 1984) et récemment confronté un intellectuel juif américain à l’énigme de l’islamisme belliqueux (Terroriste, 2006). « Solidement recouverte de graisse et de goudron« , l’Amérique de ce dernier roman paraissait si proche de l’agonie que toute attaque contre elle en devenait superflue ; à l’infarctus du regretté Rabbit semblait devoir répondre celui, imminent, du pays dont il incarnait, mieux que quiconque, les attachants travers.
Bruno Juffin