Plus de 70 personnes testent ou ont déjà testé le revenu de base inconditionnel outre-Rhin, grâce à une initiative qui offre 1 000 euros par mois pendant un an à des citoyens tirés au sort. Avec des conséquences multiples : certains en ont profité pour quitter un job alimentaire et reprendre des études, d’autres pour réaliser un vieux rêve ou retrouver un emploi après des années de chômage.
La Finlande vient de s’y mettre. Depuis le 1er janvier 2017, 2 000 chômeurs ont droit à une allocation de 560 euros qui leur sera versée chaque mois pendant deux ans, sans condition ni contrepartie, pour tester l’impact du revenu de base chez les demandeurs d’emploi. En France, le revenu universel se profile comme un des grands thèmes de la campagne électorale à venir et il est devenu une pomme de discorde chez les candidats à la primaire de la gauche: Benoît Hamon en a fait son cheval de bataille, proposant un « revenu universel d’existence » à 750 euros, Manuel Valls préfère lui parler d’un « revenu minimum décent« , 850 euros octroyés sous condition de ressources, tandis qu’Arnaud Montebourg et Vincent Peillon y sont fermement opposés.
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En Allemagne, l’association Mein Grundeinkommen (« mon revenu universel« ) n’a pas attendu que la sphère politique s’empare du sujet pour expérimenter ce concept vieux de 500 ans, esquissé par le philosophe britannique Thomas More dans son ouvrage Utopia, paru en 1516. Elle distribue des revenus universels financés grâce au crowdfunding à des citoyens tirés au sort. Dès que la somme de 12.000 euros est atteinte, qui correspond à une année durant laquelle une personne recevra 1.000 euros par mois, un bénéficiaire est choisi au hasard parmi les candidats, qui peuvent s’inscrire en ligne gratuitement.
Bye Bye le callcenter
« Que se passerait-il si tu avais soudain un revenu universel? » À cette question qui s’étale sur la page d’accueil du site de l’association, les participants ont chacun leur réponse. Christoph, 26 ans, indique qu’il « se concentrerai[t] entièrement sur ses études« . Le jeune homme fait partie des premiers gagnants des loteries organisées par Mein Grundeinkommen. « Grâce au revenu universel, il a démissionné de son job dans un callcenter et va devenir éducateur », peut-on lire sur le site. Joschua, qui vit encore chez ses parents, a simplement prévu de « voyager un peu à travers le monde ». Il explique que le fait de percevoir un revenu universel l’aide à se sentir « à l’abri des difficultés matérielles, plus libre, indépendant, plus charitable« .
D’autres participants prévoient d’écrire un livre, de monter un spectacle, d’acheter plus de produits écologiques, de s’offrir de nouveaux meubles ou tout simplement de « vivre de manière plus détendue ». Un chômeur longue durée explique même avoir pu retrouver un emploi, une fois qu’il n’avait plus à rendre de comptes à l’administration allemande. D’autres réalisent un vieux rêve, à l’instar de Jesta, « slow business coach », 40 ans et mère de deux enfants, qui profite de la sécurité financière qui lui offre le revenu universel pendant un an pour révolutionner son système de rémunération: « Mes clients choisissent combien ils me payent. Ça fait des années que je voulais mettre en pratique cette vision mais je ne pouvais pas me le permettre financièrement », confie-t-elle.
Depuis sa création en 2014, l’association Mein Grundeinkommen a permis à 73 personnes de tester le revenu de base pendant un an, sans condition ni contrepartie. « Nous voulons donner la possibilité aux gens de faire l’expérience du revenu universel, raconter des histoires et poser des questions », explique Michael Bohmeyer, fondateur de l’initiative, qui précise: « Nous ne sommes pas là pour convaincre, comme le ferait un lobby, mais pour impulser un dialogue. Notre cible, ce ne sont ni les partis politiques, ni les entreprises, mais les gens ».
Ce jeune entrepreneur berlinois de 32 ans a commencé à s’intéresser au concept du revenu universel il y a trois ans, lorsqu’il a arrêté de travailler au sein de la start-up de vente en ligne qu’il avait co-créée quelques années plus tôt:
« Ma part sur les bénéfices m’a permis de recevoir environ 1.000 euros par mois la première année sans avoir à travailler. Ça a changé totalement ma vie. Je me suis mis à vivre de manière plus saine, à mieux dormir, je suis devenu un meilleur père. Je suis devenu plus créatif, plus courageux. Je me suis mis à développer des qualités que je ne connaissais pas chez moi, à devenir drôle par exemple, ce que je n’étais pas avant. La peur de manquer d’argent avait soudain disparu, je me sentais libre et décontracté ».
Ne rien faire: « affreux »
Pas question pour lui de faire l’éloge de la paresse, de servir des arguments sur un plateau d’argent aux opposants au revenu universel. Michael Bohmeyer explique s’être senti « déprimé » au bout de quelques semaines d’euphorie, effaré qu’il était face à cette liberté soudaine qu’il s’est mis à expérimenter pour tenter de l’apprivoiser:
« J’ai essayé de m’allonger dans un parc et de ne rien faire, de seulement regarder le ciel. Je n’avais pas de portable, pas de livre, c’était affreux, j’étais incapable de faire ça ».
C’est quelques mois plus tard, après s’être plongé à corps perdu dans la lecture d’ouvrages sur le revenu universel et en être sorti convaincu que « son instauration sera bientôt une nécessité économique », que Michael Bohmeyer a eu envie de faire partager son expérience aux autres. Grâce à un don généreux de l’homme d’affaires allemand Götz Werner, patron de la grande chaîne de droguerie Dm et fervent défenseur du revenu universel et au soutien d’une poignée d’internautes enthousiastes, le premier revenu universel a pu être rassemblé en à peine trois semaines. Depuis, l’initiative est soutenue par plusieurs dizaines de milliers d’internautes séduits par le projet, parmi lesquels de nombreux donateurs réguliers.
Michael Bohmeyer veut désormais aller plus loin, en créant un fonds de solidarité destiné aux personnes qui vivent du Hartz IV, le RSA allemand, grâce auquel elles pourront recevoir une aide financière et juridique en cas de suspension de leurs allocations par l’administration allemande. « En se plaçant entre l’État et les gens, on leur offrira une sécurité, ils ne seront plus soumis au chantage des jobcenters et poussés vers le secteur des bas salaires ».
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