Nées en Allemagne et reprises en France, les « disco-soupes » ou Schnippeldisko visent à sensibiliser contre le gaspillage alimentaire à coups d’économes, de soupes géantes et de musique. Récit.
Cet après-midi, à la Marktalle 9 à Kreuzberg, à Berlin, près de 600 personnes se sont réunies autour d’un acte de « résistance culinaire », une Schnippeldisko, qu’on pourrait traduire par « émincé-discothèque », et réinventée en France sous le nom de Disco-soupe. C’est 750 kilos de légumes invendus, parce que trop gros, trop petits, trop moches, ou trop étranges qui sont épluchés, découpés, et émincés par ces bénévoles pour faire une soupe géante, redistribuée gratuitement hier lors de la manifestation « Wir haben es satt » (« Nous en avons assez ») contre le gaspillage alimentaire.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Un rapport de la FAO de 2012 estime à plus d’un tiers, soit 1,3 milliards de tonnes, le nombre d’aliments produits et non consommés, qu’ils soient jetés par les producteurs, les distributeurs ou les consommateurs, tandis que 850 millions d’hommes et de femmes sont mal-nourris dans le monde. C’est contre ce gaspillage monumental que se battent les Schnippeldisko, portés par l’association Slow food en France et en Allemagne :
« L’an dernier, lors de la dernière manifestation ‘Wir haben es satt’ les organisateurs nous ont appelé pour coordonner la récupération et la redistribution de près d’une tonne et demie de rebuts de producteurs », explique Hendrik, membre de Slow food en Allemagne. « On s’est dit qu’on devait en faire un événement qui attirerait les jeunes, où on ne se contenterait pas d’émincer des légumes. On a invité des DJs, et la Schnippeldisko est née ».
Pour cette deuxième édition, les volontaires se pressent au cœur du Markthalle 9, un marché couvert de Kreuzberg. Timo s’active au dessus d’un des dix grands bassins installés dans un coin, et brosse les légumes qui lui sont tendus: « Je travaille pour une association qui lutte contre le gaspillage alimentaire. Même si les gens sont de plus en plus sensibles à la cause, ça reste compliqué de travailler avec les supermarchés, qui pour des raisons d’organisation préfèrent souvent jeter leurs invendus« . A côté des brosseurs, des dizaines de tables se remplissent doucement de leurs volontaires, armés de couteaux et d’économes. Dorothée, 55 ans, assiste à sa première Schnippeldisko : « Je suis venue de Düsseldorf avec des amis pour la manifestation de demain, quand on a entendu parler de ça, on s’est motivés pour venir la veille ». Elle voit le froid glaçant du marché comme une préparation à ce qui les attend demain dans la rue. Une voix nous interrompt, c’est Nadja, la co-organisatrice qui annonce le début de cette deuxième Schnippeldisko : carottes, oignons, navets, pommes de terre et choux déferlent sur les tables. Un groupe pèle, l’autre émince, le tout sur fond d’électro, une bière sur la table pour se réchauffer pendant les pauses.
Parmi eux, Bastien Beaufort, membre fondateur de disco-soupe en France, est venu voir la version allemande de son événement. Lancée après que sa co-fondatrice, Caroline Delboy a assisté à la Schnippeldisko en janvier 2012, la version française a très vite trouvé son public, et un rythme beaucoup plus soutenu puisqu’il y a déjà eu dix événements depuis mars. « On veut avant tout sensibiliser au gâchis », explique le jeune homme de 28 ans, thésard en géographie. « Mais de manière conviviale : on investit la place publique, on a des fanfares, des DJs, des groupes de folk, et les gens viennent nous voir naturellement ». Le tout est redistribué à prix libre ou gratuitement dans les événements, différents à chaque fois, qu’ils investissent avec leurs 30 à 60 volontaires. Eux vont se fournir à Rungis, le plus grand marché d’Europe avec la « Polo d’une copine » les moyens à bord étant jusqu’ici limités. « Mais on vient de lever 5000 euros sur Kiss Kiss Bank Bank. Ça va nous permettre de nous développer dans 13 villes de France, et peut-être d’un peu mieux s’équiper ».
En France, les supermarchés et grossistes versent presque systématiquement des produits chimiques sur leurs invendus pour que ceux-ci ne soient pas récupérés, car ils pourraient être reconnus responsables d’une éventuelle intoxication. « Sous couvert de protéger les gens, on les empêche de bouffer », s’indigne Bastien. Mais les choses changent, doucement. Le ministère de l’Agriculture a lancé en octobre une campagne contre le gaspillage alimentaire, et devrait rendre un rapport, avec des producteurs, distributeurs, mais aussi ces cuisiniers volontaires en juin prochain. Et 2014 sera l’année européenne de la lutte contre le gaspillage alimentaire. De quoi faire prendre conscience que chaque année, près de 500 euros de nourriture vont directement de notre frigo à notre poubelle.
{"type":"Banniere-Basse"}