Arrivé en toute discrétion, le directeur artistique et musical de France Inter Didier Varrod a redonné à la musique une place prépondérante dans la grille de la radio, alliant idées novatrices et fidélité aux fondamentaux.
« Un doux rêveur », « il n’y arrivera pas ». Lorsqu’en septembre 2012 Didier Varrod présente son projet éditorial aux programmateurs musicaux de France Inter, il n’entend pas le chorus doucement persifleur qui fait écho, mezzo piano, à l’ambition un peu échevelée de ses idées. Le chroniqueur d’Encore un matin – petit exercice de style niché dans la matinale de Patrick Cohen – connaît pourtant bien la maison, mais il prend les rênes d’une équipe aux habitudes très ancrées. Et succède à Bernard Chérèze (décédé il y a quelques jours), qui pendant treize ans a façonné l’identité artistique de la station en lui donnant une cohérence indélébile. Un an après, les bruits de couloir se sont tus. Le nouveau directeur artistique et musical semble en passe de réussir son pari : replacer la musique au coeur de la stratégie de France Inter, retrouver une excitation émoussée ces dernières années.
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D’évidence, l’homme est un obsessionnel. Un des murs de son bureau est couvert des pochettes de 33t de ses favoris du moment (Arcade Fire) ou de toujours (Barbara, une compile Lenoir). Un ado dans sa chambre, avec ses posters. Quand il parle de Woodkid ou d’Agnes Obel, il vibre, littéralement, comme une corde de Fender. Régénérant chaque matin sa capacité à frémir sans frimer… L’ado qu’il fut, justement, il le dépeint comme un « radio-maniaque pas loin de la pathologie », sniffant tous les hitparades des années 70 pour les synthétiser sur des fiches sans fin. Ses héros de toujours ? « Mychèle Abraham et Jean-Loup Lafont sur Europe 1, Julien Lepers sur RMC, André Torrent sur RTL… » Avec un faible pour les fondus comme Alain Maneval, « dingue, sulfureux, capable de faire de la musique une contre-culture », par opposition au polissage actuel de « personnalités dénaturées, des pousse-disques ».
A jamais dopé par sa boulimie de singles et son sens du zapping, Didier Varrod, 53 ans, est un jeune de son temps, un homme-Deezer : savoir encyclopédique et capacité intuitive au grand écart stylistique. Cette oreille-radar au champ d’écoute démesuré lui a permis, lors d’une carrière plus dense qu’un disque de MGMT, de défendre la chanson française coûte que coûte – jusqu’à réaliser un documentaire sur Tryo, c’est dire – tout en restant aux aguets sur le rock, la pop et l’electro (Electron libre sur Inter, 2003-2011).
Grâce à ce cofondateur du (défunt) magazine Serge, la radio publique compte faire de la musique la valeur-étalon de son éclectisme éditorial et un afflux sanguin irriguant chaque case de la grille, lui donnant une carnation propre. Après un temps de réflexion, le premier geste définitif de Didier Varrod fut d’augmenter les doses. La part de la musique passe de 12 à 17 voire 20 % du temps d’antenne, le nombre de chansons diffusées par jour de quarante à soixante (hors le classique de Frédéric Lodéon). « Je veux briser les habitudes de la maison, raconte-t-il, remettre les compteurs à zéro tout en retrouvant les fondamentaux. »
Une réactivité boostée
De ce quasi-paradoxe est née l’idée de retrouver le parfum d’antan des soirées exclusivement musicales. L’axe Foulquier (Pollen)- Lenoir-José Artur (Pop Club) est ici décalqué avec le Cosmic Fantaisie de Barbara Carlotti, les live d’Ouvert la nuit et le tonitruant Laura Leishman Project. Sans compter les deux heures de concert chez Valli le samedi, les Addictions de Laurence Pierre, etc. Composée de 84 références (dont 60 % de nouveautés) tournant pendant trois mois, la playlist de la station intègre aussi le désir d’un spectre plus large et d’une réactivité boostée.
Deux nouvelles catégories permettent à certains titres jugés hors norme, comme ceux de Sexy Sushi ou de Fauve ., d’être dorénavant diffusés dans la journée, et non confinés dans les replis de la nuit : « Buzz », « pour rester en cohérence avec le net ou la presse musicale et intégrer des artistes qui n’ont pas encore de support physique », et « Actu », qui donne leur chance à des chansons sur cinq semaines, comme pour le nouveau Cantat.
La couleur musicale s’enrichit de nouvelles nuances mais l’ambition de Didier Varrod tournerait à vide si elle n’était génératrice de créativité radiophonique et ne se doublait d’un sens certain de l’événementiel. Les fameux « partenariats France Inter » ne sont plus attribués automatiquement aux barons pop (comme Higelin, qui en est privé cette année) mais aussi aux premiers albums (Woodkid, Lescop), donc sans aucune certitude de succès. « Je veux aller vers de nouvelles identités, confie celui qui revendique sa subjectivité, comme Alex Beaupain ou Bertrand Belin, ces trentenaires reconnus par la critique mais sans reconnaissance sur les ondes. »
Son coup de force : demander aux artistes d’investir la place, de renouer physiquement avec la radio. « A quoi cela sert-il de mettre un logo sur une affiche, s’il n’y a rien derrière, pas d’incarnation, pas de valeur ajoutée ? » Ainsi a-t-on entendu ces derniers mois de vrais moments créatifs, de belles idées de radio : Woodkid rhabille les jingles maison, Belin décrit sa musique piste par piste, Camille chronique, Daft Punk truste la matinale, Fauve . désape l’écriture de Beaupain, etc. Mais le projet le plus solaire de Didier Varrod vient tout juste de prendre son envol : un radio-crochet à l’échelle du pays, ouvert à tout auteur-compositeurinterprète (solo ou groupe). Faisant fi des piteux avatars télévisuels, cet amateur de Trénet offre du direct, un album, une tournée à une jeune pousse, comme au temps de Piaf (voir lien ci-dessous). A la recherche d’un âge d’or : un doux rêveur, qui y arrivera peut-être.
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