Les magasins généraux de Pantin ont mis les bombes de peinture sous la porte. Le chantier a débuté en décembre 2013 et ce temple du graff ne sera bientôt plus qu’un lointain souvenir. Immersion dans ces deux énormes cubes en béton armé de 60 mètres de large sur 30 mètres de haut, reliés par des […]
Les magasins généraux de Pantin ont mis les bombes de peinture sous la porte. Le chantier a débuté en décembre 2013 et ce temple du graff ne sera bientôt plus qu’un lointain souvenir. Immersion dans ces deux énormes cubes en béton armé de 60 mètres de large sur 30 mètres de haut, reliés par des passerelles suspendues dans le vide.
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Le voilà. Dès la sortie du métro Eglise de Pantin il bouche le paysage, s’impose dans notre champ de vision. Amarré au canal de l’Ourcq comme un énorme paquebot, le bâtiment des Magasins Généraux surplombe Pantin. Gris, austère – et pourtant si coloré –, mais majestueux, comme ces bateaux qui ont de l’histoire et qui rouillent au large des côtes ou dans les ports. Ses murs recouverts sont autant d’histoires de personnes qui ont arpentés ses couloirs.
« On a même trouvé des matelas »
Depuis 2006, le bâtiment des Magasins Généraux de Pantin est devenu un spot incontournable du street-art de la région parisienne. Le sol crépite sous les pas. Eclats de verres, cadavres de bouteilles et canettes trainent encore dans les couloirs. Quelques étages plus hauts un tapis, des bombes de peintures, des sauts, des pinceaux hantent toujours les lieux. « On a même trouvé des matelas », observe Romain Duriez coordinateur des travaux. Vestiges d’un temps révolu où graffeurs et squatteurs fréquentaient au quotidien les murs de ce lieu. A l’intérieur, les énormes salles et les poteaux ne sont pas encore entièrement recouverts contrairement à l’épiderme extérieur, où presque chaque centimètre porte la trace des artistes qui ont parcouru les coursives du bâtiment.
Depuis la mi-décembre 2013, les graffeurs ne sont plus autorisés à entrer dans l’ex-bâtiment abandonné, qui refait peau neuve. Ce paquebot s’impose comme le point de départ d’une promenade le long des berges qui rassemble le gratin du graff et du pochoir. Un homme passe, appareil photo à la main avec l’allure de celui qui connaît l’endroit. Un clic, et il immortalise ce qui devait être une de ses œuvres pour son book. Un peu plus loin sur les berges, deux graffeurs, la trentaine, discutent à coup de bubble, de flop et de tag. Aujourd’hui ces artistes sans pinceau doivent se contenter de cet espace extérieur pour s’exprimer. « Les Magasins sont un lieu mythique. Des artistes du monde entier sont venus laisser leur signature », raconte « Zdare » un peu plus loin face à l’emplacement qu’il a choisi pour peindre son typique bonhomme bleu.
A ses cotés son acolyte « Pepser ». Bonnet rasta enfoncé et double polaire, il brave le froid hivernal. Dans sa main droite une feuille blanche A4 avec le croquis de son dessin, son « plan d’attaque ». Souvent comparée au 5 Pointz dans le Queens à New York, pour le jeune homme « la cathédrale du graff » lui rappelle « surtout la piscine Molitor dans le 16e ». « C’était magique d’aller taguer là-bas grâce à sa verrière ». Des endroits comme celui-ci il en existe plusieurs selon les deux graffeurs. Ne subsistent plus que des lieux difficilement accessibles ou très distants : « Ce terrain est connu car il se situe en proche banlieue. C’est facile de venir », explique Zdare. Depuis 2009-2010, il vient chaque weekend à Pantin. « C’est un peu un no man’s land. On parle moins de dégradation ici que de lieu d’expression. » Pepser rajoute : « Il y a une différence entre tout ce qui est légal et tout ce qui est vandale. Ici, personne ne nous embête. Même les joggeurs nous donnent des idées de dessins et nous félicitent. » Le jour commence à tomber. Pepser enfile ses gants, sort d’un sac beige tout son attirail et teste les couleurs sur le bitume.
Entre conservation et réaménagement
Désormais l’accès au bâtiment est interdit, les curieux doivent se contenter d’une ballade virtuelle. « Graffiti Général », le portail web créé par BETC, l’agence de pub qui viendra s’installer dans le lieu, immortalise ce « temple » du street-art avant sa disparition. Le vice va même plus loin : les internautes peuvent créer leurs oeuvres virtuelles sur les murs du bâtiment grâce à des bombes numériques. Leurs productions sont sauvegardées dans la base de données et visibles par les autres visiteurs. Au total, un an de travail pour numériser plus de 20 000 mètres carrés en 5 200 photos. La multinationale a engagé Karim Boukercha, auteur du livre Descente interdite, pour raconter l’histoire de certains tags.
Aujourd’hui les ouvriers valsent entre les étages, les cages d’escaliers et les couloirs. Certains contrôlent le taux d’amiante, d’autres s’appliquent à enlever les grandes portes en fer. Ces mêmes portes qui rythmaient le ballet des marchandises et des dockers seront conservées pour être exposées. Car en plus du site internet, l’agence de pub BETC compte conserver quelques portes, fenêtres et pans de murs tagués. Les grands noms du graff se sont côtoyés : Lek et ses flèches rouges et noires, Thomas Vuille et son Mr Chat au museau jaune et au sourire narquois, Big et ses peintures chaudes orange, rouge, mauve aux formes arrondies. Sans oublier les insectes à la bombe noire d’Itvan Kebadian présents à plusieurs étages.
Les entrepôts de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris (CCIP) s’étaient installés sur les rives du canal de l’Ourcq en 1929. Le site se composait, à l’origine, de deux entrepôts monumentaux situés de part et d’autre du canal. Ceux de la rive gauche ont été détruits par un violent incendie en juin 1995. Les magasins avaient pour fonction de recevoir du grain et de la farine qui était par la suite stockés dans ses cinq étages. Le grain y était à l’origine acheminé par bateaux. L’ère industrielle étant révolue, la reconquête des berges du canal l’Ourcq est à l’ordre du jour. Depuis le toit des magasins généraux se dessinent de nouvelles structures abritant de grandes entreprises. BNP Paribas, Hermès et Chanel ont déjà fait de Pantin leur QG.
La visite est terminée. Les passants n’ont plus que quelques mois pour profiter de ce mastodonte aux milles couleurs, car bientôt il sera recouvert de draps blancs pour les travaux. Rendez-vous en 2015 pour découvrir son nouveau visage.
Elena Fusco
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