En Marche! avait promis d’ouvrir ses candidatures à la société civile. Mais les règles pour s’inscrire relèvent plus du parcours du combattant que de la réappropriation démocratique.
Quatorze. C’est le nombre de candidats que le mouvement En Marche! a dévoilé à ce jour. Quatorze Français « issus de la société civile », comprenez qui n’ont encore aucun mandat électif. Sur fond jaune, cadrés de près, les futurs candidats en lice pour la députation se succèdent dans une vidéo de présentation dynamique. De 31 à 69 ans, ils sont agriculteurs, directrices des ressources humaines, entrepreneurs ou avocats… Tous, ou presque, ont passé les épreuves de recrutement de la commission d’investiture. Ils auront la lourde tâche de former la future majorité présidentielle à l’Assemblée nationale les 11 et 18 juin prochains – ce qui n’est pas gagné.
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Des profils passés au peigne fin
Depuis le 19 janvier, Jean-Paul Delevoye, président de la Commission d’investiture des candidats aux législatives d’En Marche!, assure avoir reçu plus de 14 000 dossiers de candidatures au Canard Enchaîné, et même jusqu’à 90 postulants pour une même circonscription. L’ex-ministre chiraquien assure que 450 prétendants ont déjà été trouvés (sur 577) à l’hebdomadaire satirique. À Paris Match, il confiait en recevoir encore « 200 à 300 par jour » le 9 mars dernier. En Marche! espère boucler sa liste d’ici cette semaine.
Nos candidats seront choisis en fonction de 5 critères. #LaMajoritéEnMarche pic.twitter.com/0ah8b7vo5Z
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) January 19, 2017
Une sélection qui représenterait à elle seule « plus de 500 heures de travail » pour la commission composée de douze membres, plus une équipe de renfort de quinze personnes chargée de passer au crible chaque circonscription: « couleur politique du candidat sortant, la profession du postulant, son positionnement politique, mentionne le « Canard ». Un véritable travail de marketing! ». Paris Match relève même que des DRH ont été mobilisés pour « tester certains candidats, évaluer leur charisme ». Le directeur de la commission s’arroge d’ailleurs le droit d’aller sur le terrain pour se faire sa propre opinion.
Profil, investissement, tout y passe
Pour commencer, chaque « candidat à la candidature » doit s’inscrire sur la plateforme internet du site. C’est le cas de Pascal Jan, professeur de droit constitutionnel à l’Institut d’études politiques de Bordeaux, qui postule pour la 3ème circonscription de Gironde. Il rentre nom, prénom, âge, profession, extrait de casier judiciaire pour jurer sa probité du candidat. Il intègre aussi un CV, une lettre de motivation et quand il le peut, des lettres de recommandation d’élus locaux ou des preuves d’implication associatives ou politiques sur le territoire dans lequel il postule. Pascal Jan, qui a reçu des recommandations d’élus girondins. Ensuite, un membre de la commission lui téléphone pour préciser son profil et ses idées.
[NOUVEAU DÉBAT – VIe République 🇫🇷] Découvrez les tribunes de @albertpaulallie et @PascalJan_Tweet ici 👉 https://t.co/cTkmD8g3Uw 👈 pic.twitter.com/sQB5F5e9JL
— Le Drenche (@LeDrenche) April 20, 2017
« Ce n’était pas exactement un entretien d’embauche, se remémore le constitutionnaliste. C’était plutôt un moyen de sonder ma candidature, de la confirmer et de jauger si elle était raisonnée ou non. C’est un préalable indispensable pour écarter les candidatures farfelues ou fantaisistes. » Sur ce point, le Girondin a répondu franchement à toutes ces questions. Seulement, il n’est pas certain d’être retenu pour une circonscription qui a voté majoritairement pour Jean-Luc Mélenchon, défendeur de la VIème République. C’est précisément ce point et son désir de renouveler la représentation parlementaire qui ont poussé Pascal Jan à se présenter en février dernier:
« Je suis absolument contre cette idée. Je désirais attendre l’issue de la Primaire à gauche avant de me lancer, qui m’a conforté dans mon idée de me présenter (Benoît Hamon est aussi un défenseur de la VIème République, ndlr). En tant que constitutionnaliste par exemple, je pourrais apporter mon expertise au sein d’une commission parlementaire en charge de la moralisation de la vie publique par exemple. »
Du côté de Paris, certains candidats ont réussi le casting. Laetitia Avia, 31 ans, fait partie des plus jeunes candidats aux législatives que présente En Marche! Militante de la première heure, elle a décidé de déposer son dossier de candidature. Après avoir fait partie du comité de sélection des référents département du mouvement puis un court instant de la commission nationale pour l’investiture l’avocate a finalement été sélectionnée. « Je n’ai pas eu d’entretien, admet-elle, car je faisais partie du mouvement depuis longtemps, tout le monde me connaissait. Mais, comme tout le monde, j’ai dû remplir mon dossier, rédiger mon CV, ma lettre de motivation. Je ne me souviens plus combien de fois je l’ai refaite! Je me mettais encore plus la pression. » Sourire communicatif et « bienveillante », la Parisienne a aussi complété son dossier avec six recommandations.
Investir des candidats neufs et crédibles
En Gironde, la 3ème circonscription n’est pas aux mains de n’importe qui. Même si Noël Mamère, maire de Bègles et véritable figure locale, ne briguera pas de nouveau mandat, il sera le suppléant de Naïma Charaï, porte-parole de Benoît Hamon qui prendra la relève. Dans ce contexte, le professeur de droit « constit » ne sait pas si sa candidature conviendrait assez à ce territoire: « Je n’ai toujours pas de nouvelles. Plusieurs profils peuvent être recherchés, le mien comme d’autres aux compétences différentes en mesure de faire face à Noël Mamère. » Sachant qu’un autre critère intervient dans cette prise de décision. Emmanuel Macron a beaucoup insisté sur l’équilibre entre femmes et hommes. Une parité à laquelle peuvent s’ajouter localement des logiques politiques.
Le 1er tour présidentiel en Gironde à travers le filtre des législatives. Analyse @ScPoBx & #FranceBleuGironde https://t.co/REazWn7jZa
— Sciences Po Bordeaux (@ScPoBx) April 26, 2017
Laetitia Avia devra quant à elle se confronter à Sandrine Mazetier, députée de la 8e circonscription parisienne depuis dix ans et vice-présidente de l’Assemblée nationale. « Elle incarnait le renouveau du Parti socialiste il y a dix ans, maintenant, c’est à moi de le faire », affirme la candidate. Dans un arrondissement qui a voté à 35,9% des voix pour Emmanuel Macron (contre 11,48% pour Benoît Hamon), l’avocate pense avoir toutes ses chances. « Il était important de présenter des femmes dans des circonscriptions gagnables », ajoute-t-elle.
Des candidats capables de financer leur propre campagne
Et le nerf de la guerre dans tout ça? « Bien sûr, ils m’ont demandé si je pouvais financer ma campagne, sachant qu’une partie des dépenses est remboursée au-delà des 5% des suffrages exprimés, assure sereinement le maître de conférence. Pour une formation politique neuve, cela peut difficilement en être autrement. » Chaque campagne pour l’élection législative est plafonnée en fonction, entre autre, de la circonscription, de sa population et de l’indice des prix. « Pour la mienne, cela représente presque 72 000 euros », estime Pascal Jan.
Pour Laetitia Avia, le plafond de la campagne s’élève à 35 000 euros, que l’Etat lui remboursera si elle réunit 5% des suffrages. Une campagne qu’elle finance grâce à un prêt bancaire et un appel aux dons. Les dépenses vont vite. Rien que pour imprimer des tracts et les distribuer dans toutes les boîtes aux lettres de sa circonscription, la candidate en a eu pour 10 000 euros. « C’est mon plus gros poste de dépenses. Je compte refaire une opération de ce type et un meeting, pas plus », justifie l’avocate.
Jean-Paul Delevoye regrette que la question financière puisse être un frein pour certains candidats, citant notamment celle d’une jeune femme au RSA qu’il qualifie de « pépite qu’il n’aimerait pas laisser passer ». Pour ce genre de candidature, il réfléchit à différents moyens de les aider: crowdfunding ou parrainages parlementaires seraient à l’étude. Mais pour le moment, chacun se débrouille.
Des ambitions revues à la baisse
Face à la montagne de travail, En Marche! a promis d’investir 50% de candidats issus de la société civile. Aucun candidat ne se présentera sous une double étiquette. Les ralliements de tous bords ont mis à mal cette volonté : Manuel Valls, ex-Premier ministre socialiste (pour lui, cela semble compromis puisqu’En Marche! a déjà annoncé investir un autre candidat dans sa circonscription), son ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, mais aussi le centriste François Bayrou, l’écologiste Daniel Cohn-Bendit, et à droite Jean-Paul Delevoye, ancien ministre sous Jacques Chirac ou encore Jérôme Grand d’Esnon, directeur de campagne de Bruno Le Maire. De par leur réseau et leur connaissance du monde politique, il serait difficile pour Emmanuel Macron de s’en passer.
C’est pour le principal défi qu’Emmanuel Macron doit relever: instaurer un renouveau démocratique. Erwan Lecœur, sociologue proche d’Europe Ecologie-Les Verts, analyse la victoire du candidat d’En Marche! comme une volonté de renouveau démocratique de la part des Français. Ce à côté de quoi « il ne peut pas passer », décrypte-t-il ainsi :
« Nous sommes à un moment particulier de l’histoire politique. Pour le moment, Emmanuel Macron incarne le renouveau, mais il faut qu’il concrétise tout cela en nommant des personnalités de la société civile. S’il échoue, il tombera dans l’oublie et préparera l’arrivée au pouvoir de Marine Le Pen dans cinq ans », conclut Erwan Lecœur.
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