Malgré la pression de certains riverains en colère, la salle de consommation de drogues à moindre risque a ouvert ses portes le 17 octobre dans le Xe arrondissement de Paris. Deux mois plus tard, l’espace accueille plus d’une centaine d’usagers par jour, et ce, dans un climat plus apaisé.
Situé dans l’enceinte de l’hôpital Lariboisière, le local n’a rien d’extraordinaire. Chacun pourrait même passer devant sans imaginer son usage. La salle de consommation à moindre risque, “de shoot” comme l’appelle ses détracteurs, a ouvert ses portes depuis maintenant deux mois, rue Ambroise-Paré à Paris. L’espace, à deux pas de la gare du Nord, permet à des personnes de consommer leur drogue en leur fournissant chaque jour un cadre sécurisé et de meilleures conditions d’hygiène.
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Romain, la quarantaine, souffre d’une addiction au crack et à la morphine. Depuis l’ouverture du lieu, il s’y rend presque tous les jours. “C’est une bonne alternative. L’endroit est propre, les gens sont sympas, on nous écoute. Je regrette juste qu’elle n’ouvre qu’à 13h30”, avoue-t-il. Comme Romain, chaque usager s’enregistre d’abord sous un simple pseudonyme et apporte la drogue qu’il souhaite prendre. Ici, la plupart s’injectent du Subutex, un produit de substitution à l’héroïne, ou du Skénan, un médicament à base de morphine.
L’équipe d’infirmiers ne fournit sur place que le matériel d’injection, pas la drogue. Après avoir consommé sa dose, chacun peut s’installer dans la “salle de repos” ou s’entretenir avec un médecin ou un assistant social. “Ce n’est pas qu’un lieu où on prend notre truc, des gens nous écoutent et nous aident à nous réinsérer”, explique Romain, en sortant du local.
Entre 120 et 130 usagers accueillis chaque jour
Aujourd’hui, grâce au bouche à oreille et au travail sur le terrain de l’association Gaïa qui porte le projet, la salle accueille de plus en plus de monde. Selon Céline Debaulieu, coordinatrice du projet, “entre 120 et 130 personnes viennent chaque jour”, contre 40 lors de l’ouverture. Certains s’y rendant plusieurs fois dans la même journée, “on compte en moyenne entre 150 à 170 passages quotidiens”. Un chiffre grandissant qui prouve que ce lieu “répond bien à un besoin”, assure-t-elle.
Un constat loin d’être partagé par tous. Avant sa mise en place, l’espace se heurtait à un bon nombre d’oppositions de la part de riverains et de commerçants craignant davantage de nuisances dans le quartier. Une pétition avait même été lancée un an auparavant par un collectif d’habitants, réclamant le déplacement du projet.
Etienne*, serveur au bar-restaurant Magenta situé en face du local, peine encore à garder son calme. S’il concède un changement (“avant, certains venaient se piquer dans les toilettes du restaurant”), le jeune homme se plaint d’avoir “perdu énormément de clients” depuis l’ouverture du dispositif. “Vous imaginez vous poser en terrasse et là, quatre ou cinq personnes viennent vous demander de l’argent ou du feu ? C’est insupportable, moi je ne reviendrais pas.”
A quelques mètres de l’établissement, deux ou trois panneaux placardés aux fenêtres des immeubles, invitent toujours les passants à dire “Non à la salle de shoot”. Le quartier comptait une trentaine de banderoles avant le mois d’octobre. Les craintes se seraient-elles, en partie, apaisées ?
“Cela reste plus compliqué le soir, dès la fermeture”
Avant l’ouverture de l’espace, certains, à l’image de Serge Lebigot, président de l’association Parents contre la drogue (contactée à plusieurs reprises, sans succès), prédisaient une “augmentation du nombre de dealers” ou encore une “hausse de la criminalité”. De son côté, le maire (PS) du Xe arrondissement Rémi Féraud, assure que “la salle n’a pas provoqué de problème supplémentaire”. Selon l’élu, si tout le monde n’est pas pleinement convaincu, beaucoup d’habitants seraient aujourd’hui plutôt “rassurés”. “Il y a moins d’usagers de drogues dans les rues pendant les heures d’ouverture”.
Derrière son comptoir, Fabrice* employé au café Ambroise Paré confie “ne pas avoir rencontré de souci particulier”. Même constat pour Natacha qui travaille à la “Retoucherie” en face du local : “Au moins maintenant, ces gens ne traînent plus dans la rue ou devant notre boutique. C’est mieux comme ça.” Autre facteur rassurant pour les riverains : la présence très régulière de policiers aux abords de la salle. Paul*, patron d’une supérette à proximité, juge que la situation s’est “améliorée pendant la journée”, même si “cela reste plus compliqué le soir, dès la fermeture après 20h30”.
“Il y a toujours eu du trafic ici, tranche Anne-Marie qui réside dans le quartier depuis plus de dix ans. Mais, de mon côté, je n’ai pas remarqué plus de nuisances depuis l’ouverture de l’espace. Je dirais même que cela va mieux.”
La salle qui constitue une expérimentation devrait rester opérationnelle pour six ans. Après quoi, une évaluation de son impact sur la santé et l’ordre public déterminera sa possible reconduction.
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