Avant la sortie désormais imminente de Cyberpunk 2077, deux livres se penchent sur la relation qu’entretiennent depuis des décennies la culture cyberpunk et le jeu vidéo. Et aussi : cinq jeux cyberpunk récents qui ne sont pas celui que tout le monde attend.
Maintes fois repoussé, du 16 avril au 17 septembre puis au 16 novembre et enfin au 10 décembre, Cyberpunk 2077 est enfin sur le point d’arriver. Annoncée pour la première fois en 2012 par les Polonais de CD-Projekt qui, entre-temps, ont subjugué la planète jeu vidéo avec The Witcher 3 (2015), cette adaptation de la très populaire série de jeux de rôle Cyberpunk 2020 s’est fait attendre.
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Mais le jeu vient en réalité de beaucoup plus loin que ça : de toute une culture SF initialement déviante qui, dans le sillage des romans de William Gibson et de quelques films comme Blade Runner, Tron ou Akira, a émergé dans les années 1980, mais dont les sources remontent encore bien plus loin. Deux livres récents tout aussi recommandables l’un que l’autre se penchent justement sur le mouvement cyberpunk : son origine, ses principales caractéristiques, son évolution, sa descendance et, en particulier pour le premier, sa relation avec le jeu vidéo.
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“Amalgame de concepts”
Luxueux hors-série du mook Pix’n Love, L’Histoire du cyberpunk de Raphaël Lucas est le plus dense et, aussi, le plus engagé des deux, un essai richement illustré en forme de voyage dans le temps où s’entrelacent références ludiques et littéraires. La première date est 1958. L’année de ce qui pourrait être le premier jeu vidéo, Tennis for Two. L’année, aussi, où l’artiste beat Brion Gysin conçut sa Dreamachine et où William Burroughs publia les premiers extraits de son révolutionnaire Festin Nu. Burroughs, qui fut l’une des influences majeures de William Gibson, figure de proue de la littérature cyberpunk et auteur du Neuromancien, dont l’une des autres grandes sources d’inspiration fut justement le jeu vidéo.
Extrêmement stimulant, l’ouvrage de Raphaël Lucas nous emmène, sur le motif du yoyo ou de la balle rebondissante, de Philip K. Dick à Final Fantasy VII, de J.G. Ballard à Ghost in the Shell, de La Jetée de Chris Marker (une autre influence revendiquée de Gibson) aux jeux System Shock et Deus Ex en passant par le pape du LSD Timothy Leary (qui travailla sur une adaptation en jeu vidéo du Neuromancien avant de voir le projet final lui échapper), RoboCop, Max Headroom, B.A.T. (un jeu français de la fin des années 1980) ou la trilogie Matrix.
L’un des sentiments qui en ressortent est que le jeu vidéo a toujours été là : qu’il est, depuis l’origine, une composante essentielle du cyberpunk, cet “amalgame de thématiques, de concepts pêchés ici et là, agglomérés, mixés, digérés, régurgités et transformés”. L’un des premiers modes d’expression et peut-être aujourd’hui le dernier, alors que certains disent le “vrai” cyberpunk (avant-gardiste, subversif, crasseux) mort depuis la fin des années 1980, à encore “s’intéresser à ces augmentations, à ces nanomachines, à ces intelligences artificielles en quête de corps, au transhumanisme, à ces univers anciennement futuristes” et “aujourd’hui dépassés par la réalité”.
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“Faire grandir le jeu vidéo”
Co-signé par Jean Zeid, Stéphanie Chaptal et Sylvain Nawrocki, Cyberpunk – Histoire(s) d’un futur imminent adopte, lui, une forme hybride de guide et de beau livre à la fois entrecoupé d’entretiens (notamment avec Jehanne Rousseau, David Cage ou Paul Cuisset, pour le jeu vidéo) où les jeux occupent une place équivalente à celles de la littérature, des films, des séries télé ou de la musique. Avec, à chaque fois, trois critères pour décider de rattacher ou non une œuvre au cyberpunk : le rapport “high-tech / low life”, celui entre l’homme et la machine et l’anticipation. De la partie consacrée aux jeux émerge une hypothèse : la “dystopie cyberpunk” aurait été, notamment dans les années 1990, “un élément structurel” utile aux développeurs pour “construire un gameplay et des scénarios traduisant les réalités politiques et sociales” de leur temps. En clair : un moyen de “faire grandir le jeu vidéo”.
Très complémentaires, les deux ouvrages se recoupent mais se distinguent aussi, et l’on pourra s’amuser à constater les différences de corpus entre eux, à voir que l’un inclut Mirror’s Edge là où l’autre s’attarde plutôt, citations à la clé, sur l’œuvre de Tetsuya Mizuguchi (Rez, Child of Eden) ou à mettre en parallèle la déclaration d’amour de Raphaël Lucas au jeu d’arcade Strider et le plaidoyer de Jean Zeid pour la série Megami Tensei. En attendant de découvrir, avec Cyberpunk 2077, qui suscite beaucoup d’excitation mais aussi une pointe de méfiance, la prochaine étape de cette longue histoire.
L’Histoire du cyberpunk – Des origines littéraires aux dérivés vidéoludiques de Raphaël Lucas (Pix’n Love), 192 p., 29,90€
Cyberpunk – Histoire(s) d’un futur imminent de Jean Zeid, Stéphanie Chaptal et Sylvain Nawrocki (Ynnis Editions), 208 p., 29,90€
Cinq jeux pour patienter jusqu’à Cyberpunk 2077
Observer : System Redux
Nouvelle version revue et embellie d’un titre paru en 2017, Observer : System Redux entraîne le cyberpunk sur le terrain du jeu d’épouvante, spécialité du studio (polonais, comme les créateurs de Cyberpunk 2077) Bloober Team, également responsable de Layers of Fear et Blair Witch. Dans la peau d’un enquêteur joué par le regretté Rutger Hauer en citation humaine de Blade Runner, nous voilà bientôt dans un monde glauque et fascinant – mention spéciale à la direction artistique du jeu – où les frontières se brouillent toujours plus entre le réel, le virtuel, les souvenirs des autres que notre personnage visite et ce qui se passe dans sa tête à lui. Le résultat se révèle aussi impressionnant que profondément perturbant.
Sur Xbox Series S/X, PS5 et Windows, Bloober Team, environ 30€
Ghostrunner
Jeu de parkour rebelle en terrain SF et totalitaire, Mirror’s Edge rompait avec les codes du cyberpunk avec son sens de l’espace et son ciel bleu. Ghostrunner, que l’on doit également à un studio polonais, en rapatrie le principe de course acrobate en vue subjective dans un univers plus traditionnellement cyberpunk – nocturne, métallique et parsemé de néons. Et cette fois, notre héros, qui navigue en samouraï des temps futurs entre le monde réel et le cyberespace, est armé d’un sabre. Tout l’enjeu résidera dans l’enchaînement des mouvements : courir, glisser, sauter, frapper… Mais attention : en cas d’imprécision, Ghostrunner est impitoyable– comme Super Meat Boy ou Hotline Miami, disons. Nos réussites n’en sont que plus gratifiantes.
Sur PS4, PS5, Xbox One, Xbox Series S/X, Switch et Windows, One More Level / All In! Games / 505 Games, environ 30€
Ruiner
Cyberpunk et Pologne, épisode 4. Adapté sur Switch il y a quelques mois et disponible depuis trois ans sur les autres plateformes, l’œuvre du studio Reikon fondé notamment par des anciens de CD-Projekt n’est que rage et brutalité. Dans un monde sordide d’humains abandonnés et/ou améliorés, le héros masqué et pas bien bavard de Ruiner se battra jusqu’au bout pour retrouver son frère tombé aux mains d’un sinistre conglomérat. L’ambiance est lourde, l’image teintée d’un rouge obsédant et les affrontements se révèlent aussi nerveux qu’exigeants. Quelque part entre l’antique Smash TV (qui, à y repenser avait aussi quelque chose de cyberpunk) et, à nouveau, Hotline Miami, Ruiner est un jeu absolument épuisant – mais dans le bon sens du terme.
Sur PS4, PS5, Xbox One, Xbox Series S/X, Switch, Linux et Windows, Reikon Games / Devolver Digital, environ 20€
Cloudpunk
Qui n’a jamais rêvé de conduire les voitures volantes de Blade Runner ? C’est précisément ce que nous invite à faire Cloudpunk qui, aussi étonnant que cela puisse paraître, ne vient pas de Pologne mais de Berlin. Notre mission : assurer des livraisons pas bien légales à travers une ville qui coche toutes les cases de la cité cyberpunk. Mais, avec son allure vaguement minecraftienne et son sens acéré de la conversation évocatrice, le facétieux Cloudpunk se révèle surtout un formidable réservoir de micro-fictions qui s’intègrent harmonieusement dans un récit logiquement assez sombre. A noter : notre héroïne a transféré dans son véhicule l’esprit de son chien Camus, avec qui c’est toujours une joie de converser.
Sur PS4, PS5, Xbox One, Xbox Series S/X, Switch et Windows, Ion Lands / Merge Games, environ 25€
Beyond a Steel Sky
Un peu de légèreté dans ce monde plutôt désespéré avec la suite, un quart de siècle plus tard, d’un jeu d’aventure cyberpunk culte des années 1990, Beneath a Steel Sky, dont l’auteur (britannique) Charles Cecil est davantage connu pour Les Chevaliers de Baphomet. S’il adopte un style de jeu plus moderne, avec déplacements libres dans un univers en 3D, Beyond a Steel Sky conserve le rythme (plutôt lent) et la philosophie de son ancêtre. On aime assez son dessin très BD, pas si loin des jeux The Walking Dead, et encore plus sa manière de faire exister en quelques détails des personnages singuliers. Mais attention : notre tâche, ici, sera d’abord de résoudre des énigmes pour progresser. On regrette par moments que notre cerveau n’ait pas (encore) été augmenté.
Sur Windows, Linux et Apple Arcade, Revolution Software, environ 30€
https://youtu.be/_33QX8Sxx1M
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