Le Tour de France est une institution nationale au rayonnement international. Regards critiques sur ce mythe centenaire par des observateurs spécialistes du cyclisme.
Episode 2 : Bruno Genevois, Président de l’Agence Française de Lutte contre le Dopage (AFLD)
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Comment se présente le Tour 2013 ?
Bruno Genevois – Le Tour est une compétition internationale. En vertu du Code mondial antidopage, le contrôle des compétitions internationales appartient à la fédération de la discipline concernée, en l’espèce, l’UCI. Une agence nationale comme l’AFLD ne peut agir que dans le cadre d’un accord avec la fédération internationale ou pour procéder à des contrôles « additionnels » avec son assentiment ou celui de l’Agence mondiale antidopage (AMA). Cette année, on a abouti à un accord, le 25 avril dernier. Cet accord présupposait que l’UCI donne suite aux demandes du collège de l’AFLD. L’AFLD n’entendait pas intervenir si les procédures de contrôle ne présentaient pas certaines garanties de fiabilité. Les conditions ont été réunies et nous partons sur ces bases. Le Dauphiné (course à étapes courue en avril) vient de nous permettre de vérifier la bonne volonté de l’UCI.
2013 ne sera que la 1ère édition du Tour où interviendra l’AFLD ?!
Non, il y a eu des hauts et des bas dans le passé. Il y avait eu une convention en 2009, dont la mise en œuvre avait conduit à des désaccords. D’où pas de consensus en 2010. Des experts de l’AMA avaient rendu un rapport en 2010 disant que les contrôles devaient être moins prévisibles et impliquer à l’avenir l’AFLD.
Que prévoit l’accord antidopage 2013 ?
D’abord, des contrôles pré-Tour. Le dopage consiste souvent en prises de substances en amont des compétitions. Il s’agit de dresser un profil biologique des coureurs, ce que les anglo-saxons appellent passeport biologique. L’UCI s’est engagée à nous fournir les informations sur la géo-localisation et les données biologiques de coureurs flirtant avec les limites. C’est en cours, donne des résultats et joue un rôle dissuasif. Ensuite, il y a les contrôles pré-start. Il s’agit là de soumettre tous les coureurs à un contrôle sanguin juste avant le départ. Si le résultat est positif, ça peut conduire un coureur à ne pas prendre le départ. Enfin, il y a les contrôles en course. Nous avons convaincu l’UCI de cibler les contrôles en fonction des données disponibles, y compris les données de dernière minute d’une étape (démarrages foudroyants, défaillances, etc). On tirera le bilan en fin de Tour. En parallèle à cette action de l’AFLD, les gendarmes et les agents des douanes seront aussi sollicités afin de surveiller d’éventuels trafics. Armstrong a pu gommer certains paramètres en s’inoculant du sérum physiologique au dernier moment. Nous serons attentifs à cela. Je précise que le ministère des sports et ASO (organisation du Tour) ont œuvré en faveur de l’accord.
On a envie de vous croire, mais depuis quinze ans, on nous promet chaque année un Tour propre. Et à chaque fois, le Tour s’avère sale, très sale…
Oui, certes, mais on fait quand même des progrès dans des domaines qui paraissent perdus d’avance. Je suis juriste, on a avancé par exemple en matière d’écoutes téléphoniques, qui furent pendant longtemps soustraites à tout contrôle, avec la loi de juillet 91. C’est vrai que l’antidopage court après le dopage. Mais justement, on essaye de se doter d’instruments qui permettent d’être mieux armés.
Que pensez-vous du procès Fuentès en Espagne, ou plutôt de ce qui a semblé une parodie de procès ?
C’est une affaire pénale qui reste en cours. Je ne veux pas m’immiscer dans les affaires de justice en Espagne, mais je note qu’il y a eu appel. L’Agence mondiale antidopage est présente à la procédure.
Les intérêts nationaux et chauvinistes ne freinent-ils pas la lutte antidopage ?
Depuis ma prise de fonction il y a deux ans et demi, je constate une inégalité des efforts consentis selon les disciplines et selon les pays. Face à ça, deux choses. Exiger plus de transparence dans les statistiques et bilans au niveau mondial, afin que l’AMA et les agences nationales puissent mieux travailler. En ce domaine, la presse peut jouer un rôle important. Ensuite, il faut prendre le mouvement sportif au mot : il a vocation à être universel, très bien, faisons entrer cette vocation dans les faits y compris en matière de lutte antidopage.
Le mouvement sportif nous a habitués de longue date à tenir des discours vertueux masquant des actes délictueux.
Il est exact que dans la lutte contre le dopage, il y a davantage de croyants que de pratiquants. Mais ça ne m’arrête pas. Il faut s’appuyer sur les personnes et institutions qui veulent œuvrer dans le bon sens, comme dans l’affaire Armstrong. Le profil biologique se développe. Je suis convaincu de la nécessité de lutter contre le dopage, parce que ça met en cause la santé des sportifs et la santé publique, et parce que ça fausse l’équité de la compétition sportive ; le combat est juste dans son principe. S’il est juste, il faut œuvrer dans ce sens, patiemment et avec détermination.
Suivez-vous le Tour en passionné ?
Les affaires de dopage me causent toujours un trouble. Quand Marion Jones a avoué (sprinteuse championne olympique et du monde destituée de ses médailles après ses aveux), on s’est rendu compte que par ricochet, elle avait volé des victoires à Christine Arron. C’est difficile à admettre. Le Tour peut me passionner. Je me souviens en particulier de cette arrivée très serrée entre Greg Lemond et Laurent Fignon en 89 où le Tour s’est joué dans un mouchoir. Je ne souhaite pas que ces souvenirs puissent être entachés par la tricherie. Le Tour a connu des périodes noires, c’est évident, mais si on se fait à l’idée que de telles dérives sont une fatalité, ce serait renoncer à l’action ! Il faut que les acteurs du sport mettent leurs actes en conformité avec leurs discours, il faut que tous les pays et toutes les disciplines s’engagent dans ce combat. Rien n’est inexorable, il faut se battre.
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